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à sa cour, et à prendre ses plus vaillants hommes et les plus sages. Je cite ceci pour faire sentir le devoir des vassaux, combattre et juger; et ce devoir étoit même tel, que juger c'étoit combattre..

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Un seigneur qui plaidoit à sa cour contre son vassal, et qui y étoit condamné, pouvoit appeler un de ses hommes de faux jugement. Mais, à cause du respect que celui-ci devoit à son seigneur pour la foi donnée, et la bienveillance que le seigneur devoit à son vassal pour la foi reçue, on faisoit une distinction: ou le seigneur disoit en général que le jugement étoit faux et mauvais; ou il imputoit à son homme des prévarications personnelles. Dans le premier cas il offensoit sa propre cour et en quelque façon luimême, et il ne pouvoit y avoir de gages de ba taille il y en avoit dans le second, parce qu'il attaquoit l'honneur de son vassal; et celui des deux qui étoit vaincu perdoit la vie et les biens pour maintenir la paix publique.

Cette distinction, nécessaire dans ce cas particulier, fut étendue. Beaumanoir dit que, lorsque celui qui appeloit de faux jugement attaquoit un des hommes par des imputations personnelles, il y avoit bataille; mais que, s'il n'attaquoit

a Voyez Beaum. ch. LXVII, p. 337.

C

b Chi jugement est faux et mauvais. Ib. ch. LXVII, p. 337• c Vous avez fait ce jugement faux et mauvais, comme mauvais que vous êtes, ou par lovier ou par promesse. Beaum. ch. LXVII, p. 337.

que le jugement, il étoit libre a à celui des pairs qui étoit appelé de faire juger l'affaire par bataille ou par droit. Mais, comme l'esprit qui régnoit du temps de Beaumanoir étoit de restreindre l'usage du combat judiciaire, et que cette liberté donnée au pair appelé de défendre par le combat le jugement ou non, est également contraire aux idées de l'honneur établi dans ces temps-là, et à l'engagement où l'on étoit envers son seigneur de défendre sa cour, je crois que cette distinction de Beaumanoir étoit une jurisprudence nouvelle chez les Français.

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Je ne dis pas que tous les appels de faux jugement se décidassent par bataille; il en étoit de cet appel comme de tous les autres. On se souvient des exceptions dont j'ai parlé au chapitre XXV. Ici, c'étoit au tribunal suzerain à voir s'il falloit ôter, ou non, les gages de bataille.

On ne pouvoit point fausser les jugements. rendus dans la cour du roi; car, le roi n'ayant personne qui lui fût égal, il n'y avoit personne qui pût l'appeler; et le roi n'ayant point de supérieur, il n'y avoit personne qui pût appeler de sa cour.

Cette loi fondamentale, nécessaire comme loi politique, diminuoit encore, comme loi civile, les abus de la pratique judiciaire de ces temps-là Quand un seigneur craignoit qu'on ne faussât

b

a Beaum. ch. LXVII, p. 337 et 338.

Défont. ch. XXII, art. 14.

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sa cour ou voyoit qu'on se présentoit pour la fausser; s'il étoit du bien de la justice qu'on ne la faussât il pouvoit demander des hommes pas, de la cour du roi, dont on ne pouvoit fausser le jugement; et le roi Philippe, dit Défontaines a envoya tout son conseil pour juger une affaire dans la cour de l'abbé, de Corbie.

Mais si le seigneur ne pouvoit avoir des juges du roi, il pouvoit mettre sa cour dans celle du roi, s'il relevoit nuement de lui; et, s'il y avoit des seigneurs intermédiaires, il s'adressoit à son seigneur suzerain, allant de seigneur en seigneur jusqu'au roi.

Ainsi, quoiqu'on n'eût pas dans ces temps-la la pratique ni l'idée même des appels d'aujourd'hui, on avoit recours au roi, qui étoit toujours la source d'où tous les fleuves partoient, et la mer où ils revenoient.

CHAPITRE XXVIII.

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De l'appel de défaute de droit.

N appeloit de défaute de droit, quand, dans la cour d'un seigneur, on différoit, on évitoit, ou l'on refusoit de rendre justice aux parties.

Dans la seconde race, quoique le comte eût plusieurs officiers sous lui, la personne de ceuxci étoit subordonnée, mais la jurisdiction ne

a Défont. ch. XXII, art. 14.

l'étoit pas. Ces officiers, dans leurs plaids, assises ou placites, jugeoient en dernier ressort, comme le comte même; toute la différence étoit dans le partage de la jurisdiction: par exemple, le comte a pouvoit condamner à mort, juger de la liberté et de la restitution des biens, et le centenier ne le pouvoit pas.

Par la même raison il y avoit des causes majeures b qui étoient réservées au roi; c'étoient celles qui intéressoient directement l'ordre politique. Telles étoient les discussions qui étoient entre les évêques, les abbés, les comtes et autrès-grands, que les rois jugeoient avec les grands

vassaux C.

Ce qu'ont dit quelques auteurs, qu'on appe loit du comte à l'envoyé du roi, ou missus dominicus, n'est pas fondé. Le comte et le missus avoient une jurisdiction égale et indépendante l'une de l'autre d; toute la différence étoit que le missus tenoit ses placites quatre mois de l'année, et le comte les huit autres.

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a Capitulaire III, de l'an 812, art. 3, édition de Baluze, p. 497; et de Charles le Chauve, ajouté à la loi des Lom bards, liv. II, art. 3.

b Ibid. art. 2.

c Cum fidelibus. Capitulaire de Louis le Débonnaire, édition de Baluze, p. 667. .

d Voyez le capitulaire de Charles le Chauve, ajouté à la loi des Lombards, liv. II, art. 3.

e Capitulaire III, de l'an 812, art. 8.

Si quelqu'un a, condamné dans une assise b, y demandoit qu'on le rejugeât, et succomboit encore, il payoit une amende de quinze sous, ou recevoit quinze coups de la main des juges qui avoient décidé l'affaire.

Lorsque les comtes ou les envoyés du roi ne se sentoient pas assez de force pour réduire les grands à la raison, ils leur faisoient donner caution qu'ils se présenteroient devant le tribunal du roi: c'étoit pour juger l'affaire, et non pour la rejuger. Je trouve dans le capitulaire de Metz a l'appel de faux jugement à la cour du roi établi, et toutes autres sortes d'appels proscrits et punis. Si l'on n'acquiesçoit pas au jugement des échevins f et qu'on ne réclamât pas, on étoit mis en prison jusqu'à ce qu'on eût acquiescé; et, si l'on réclamoit, on étoit conduit sous une sûre garde devant le roi, et l'affaire se discutoit à sà

cour.

e

a Capitulaire ajouté à la loi des Lombards, liv. II, tit. LIX, b Placitum

c Cela paroît par les formules, les chartres et les capitulaires.

d De l'an 757, édition de Baluze, p. 180, art. IX et X et le synode apud Vernas, de l'an 755, art. XXIX, édition de Baluze, p. 175. Ces deux capitulaires furent faits sous le roi Pepin.

e Capitul. XI de Charlemagne, de l'an 805, édit. de Baluze. p. 423; et loi de Lothaire, dans la loi des Lombards, liv. II., tit. LII, art. 23.

f Officiers sous le comte, scabini.

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