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ses domaines, et pour ceux de ses barons; et il eut un tel succès que Beaumanoir2, qui écrivoit très-peu de temps après la mort de ce prince, nous dit que la manière de juger établie par S. Louis étoit pratiquée dans un grand nombre do cours des seigneurs.

Ainsi ce prince remplit son objet, quoique ses réglements pour les tribunaux des seigneurs n'eussent pas été faits pour être une loi générale du royaume, mais comme un exemple que chacun pourroit suivre, et que chacun même auroit intérêt de suivre, Il ôta le mal en faisant sentir le meilleur. Quand on vit dans ses tribunaux, quand on vit dans ceux des seigneurs, une manière de procéder plus naturelle, plus raisonnable, plus conforme à la morale, à la religion, à la tranquillité publique, à la sûreté de la personne et des biens, on la prit, et on abandonna l'autre.

Inviter quand il ne faut pas contraindre, conduire quand il ne faut pas commander, c'est l'habileté suprême. La raison a un empire naturel; elle a même un empire tyrannique : on lui résiste, mais cette résistance est son triomphe; encore un peu de temps, et l'on sera forcé de revenir à elle.

S. Louis, pour dégoûter de la jurisprudence française, fit traduire les livres du droit romain, afin qu'ils fussent connus des hommes de loi de

a Ch. LXI, p. 309.

a

ees temps-là. Défontaines, qui est le premier auteur de pratique que nous ayons, fit un grand usage de ces lois romaines: son ouvrage est, en quelque façon, un résultat de l'ancienne jurisprudence française, des lois ou des établissements de S. Louis, et de la loi romaine. Beaumanoir fit peu d'usage de la loi romaine; mais il concilia l'ancienne jurisprudence française avec les réglements de S. Louis.

C'est dans l'esprit de ces deux ouvrages, et sur-tout de celui de Défontaines, que quelque bailli, je crois, fit l'ouvrage de jurisprudence que nous appelons les Établissements. Il est dit dans le titre de cet ouvrage, qu'il est fait selon l'usage de Paris, et d'Orléans, et de cour de baronnie; et dans le prologue, qu'il y est traité des usages de tout le royaume, et d'Anjon, et de cour de baronnie. Il est visible que cet ouvrage fut fait pour Paris, Orléans et Anjou, comme les ouvrages de Beaumanoir et de Défontaines furent faits pour les comtés de Clermont et de Vermandois et comme il paroît par Beaumanoir que plusieurs lois de S. Louis avoient pénétré dans les cours de baronnie, le compilateur a eu quelque raison de dire que son ouvrage regardoit aussi les cours de baronnie.

a Il dit lui-même dans son prologue: Nus lui en prit oncques, mais cette chose dont j'ay.

b Il n'y a rien de si vague que le titre et le prologue. D'abord ce sont les usages de Paris et d'Orléans, et de cour de baronnie; ensuite ce sont les usages de toutes les cours laies du royaume,

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Il est clair que celui qui fit cet ouvrage compila les coutumes du pays avec les lois et les établissements de S. Louis. Cet ouvrage est trèsprécieux, parce qu'il contient les anciennes coutumes d'Anjou et les établissements de S. Louis tels qu'ils étoient alors pratiqués, et enfin ce qu'on y pratiquoit de l'ancienne jurisprudence française.

La différence de cet ouvrage d'avec ceux de Défontaines et de Beaumanoir, c'est qu'on y parle en termes de commandement comme les législateurs; et cela pouvoit être ainsi, parce qu'il étoit une compilation de coutumes écrites et de lois.

Il y avoit un vice intérieur dans cette com→ pilation: elle formoit un code amphibie où l'on avoit mêlé la jurisprudence française avec la loi romaine; on rapprochoit des choses qui n'avoient jamais de rapport, et qui souvent étoient contradictoires.

Je sais bien que les tribunaux français des hommes ou des pairs, les jugements sans appel à un autre tribunal, la manière de prononcer par ces mots je condamne a ou j'absous, avoient de la conformité avec les jugements populaires des Romains. Mais on fit peu d'usage de cette ancienne jurisprudence; on se servit plutôt de celle qui fat introduite depuis par les empereurs, et de la prévôté de France; ensuite ce sont les usages de tout le royaume, et d'Anjou, et de cour de baronnie.

a Établissements, liv. II, ch. XV.

qu'on employa par-tout dans cette compilation .pour régler, limiter, corriger, étendre la jurisprudence française.

Les

CHAPITRE X X X I X.

Continuation du même sujet.

ES formes judiciaires introduites par S. Louis cessèrent d'être en usage. Ce prince avoit eu moins en vue la chose même, c'est-à-dire, la meilleure manière de juger, que la meilleure manière de suppléer à l'ancienne pratique de juger. Le premier objet étoit de dégoûter de l'ancienne jurisprudence, et le second d'en former une nouvelle. Mais les inconvénients de celle-ci ayant paru on en vit bientôt succéder une autre.

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Ainsi les lois de S. Louis changèrent moins la jurisprudence française qu'elles ne donnèrent des moyens pour la changer; elles ouvrirent de nouveaux tribunaux, ou plutôt des voies pour y arriver; et, quand on put parvenir aisément à celui qui avoit une autorité générale, lès jugements, qui auparavant ne faisoient que les usages d'une seigneurie particulière, formèrent une jurisprudence universelle. On étoit parvenu, par la force des Etablissements, à avoir des décisions générales qui manquoient entièrement dans le royaume: quand le bâtiment fut construit, on laissa tomber l'échafaud.

Ainsi les lois que fit S. Louis eurent des effets qu'on n'auroit pas dû attendre du chef

d'oeuvre de la législation. Il faut quelquefois bien des siècles pour préparer les changements; les événements mûrissent, et voilà les révolutions.

pres

Le parlement jugea en dernier ressort de que toutes les affaires du royaume. Auparavant il ne jugeoit que de celles a qui étoient entre les ducs, comtes, barons, évêques, abbés, ou entre le roi et ses vassaux, plutôt dans le rapport qu'elles avoient avec l'ordre politique qu'avec l'ordre civil. Dans la suite, on fut obligé de le rendre sédentaire, et de le tenir toujours assemblé; et enfin on en créa plusieurs pour qu'ils pussent suffire à toutes les affaires.

A peine le parlement fut-il un corps fixe qu'on commença à compiler ses arrêts. Jean de Montluc, sous le règne de Philippe le Bel, fit le recueil qu'on appelle aujourd'hui les registres Olim c.

CHAPITRE X L.

Comment on prit les formes judiciaires des

décrétales.

MAIS d'où vient qu'en abandonnant les formes

judiciaires établies on prit celles du droit canonique plutôt que celles du droit romain? C'est

a Voyez du Tillet sur la cour des pairs. Voyez aussi la RocheFlavin, liv. I, ch. III; Budée et Paul Émile.

b Les autres affaires étoient décidées par les tribunaux ordi naires.

c Voyez l'excellent ouvrage de M. le président Hénault, sur l'an 1313.

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