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qu'on avoit toujours devant les yeux les tribunaux clercs, qui suivoient les formes du droit canonique, et que l'on ne connoissoit aucun tribunal qui suivît celles du droit romain. De plus, les bornes de la jurisdiction ecclésiastique et de la séculière étoient, dans ces temps-là, très-peu connues il y avoit des gens a qui plaidoient indifféremment dans les deux cours ; il y avoit des matières pour lesquelles on plaidoit de même. Il semble que la jurisdiction laie ne se fût gardé, privativement à l'autre, que le jugement des matières féodales et des crimes commis par les laïcs dans les cas qui ne choquoient pas la religion: car si, pour raison des conventions.et des contrats, il falloit aller à la justice laie, les parties pouvoient volontairement procéder devant les tribunaux clercs, qui, n'étant pas en droit d'obliger la justice laie à faire exécuter la sentence, contraignoient d'y obéir par voie d'excommunication e. Dans ces circonstances, lorsque, dans les tribunaux laïcs, on voulut changer de pratique, on prit celle des clercs, parce qu'on

a Beaum. ch. XI, p. 58.

b Les femmes veuves, les croisés, ceux qui tenoient les biens des églises, pour raison de ces biens. Ibid.

c Voyez tout le ch. XI. de Beaumanoir.

d Les tribunaux clercs, sous prétexte du serment, s'en étoient même saisis, comme on le voit par le fameux concordat passé entre Philippe Auguste, les clercs et les barons, qui se trouve dans les ordonnances de Laurière.

e Beaum. ch. XI, p. 60.

la savoit; et on ne prit pas celle du droit romain, parce qu'on ne la savoit point; car, en fait de pratique, on ne sait que ce que l'on pratique.

CHAPITRE XL I.

Flux et reflux de la jurisdiction ecclésiastique et de la jurisdiction laie.

LA

A puissance civile étant entre les mains d'une infinité de seigneurs, il avoit été aisé à la jurisdiction écclésiastique de se donner tous les jours plus d'étendue; mais, comme la jurisdiction ecclésiastique énerva la jurisdiction des seigneurs et contribua par-là à donner des forces à la jurisdiction royale, la jurisdiction royale restreignit peu-à-peu la jurisdiction ecclésiastique, et celleci recula devant la première. Le parlement, qui avoit pris dans sa forme de procéder tout ce qu'il y avoit de bon et d'utile dans celle des tribunaux des clercs, ne vit bientôt plus que ses abus; et la jurisdiction royale se fortifiant tous les jours, elle fut toujours plus en état de corriger ces mêmes abus. En effet, ils étoient intolérables; et, sans en faire l'énumération, je renverrai à Beaumanoir a, à Bontillier, aux ordonnances de nos rois je ne parlerai que de ceux

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a Voyez Boutillier, Somme rurale, tit. IX, quelles personnes ne peuvent faire demande en cour laie; et Beaum. ch. XI. p. 56; et les réglements de Philippe Auguste à ce sujet; et l'établissement de Philippe Auguste fait entre les clercs, le roi et les barons.

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qui intéressoient plus directement la fortune publique. Nous connoissons ces abus par les arrêts qui les réformérent : l'épaisse ignorance les avoit introduits; une espèce de clarté parut, et ils ne furent plus. On peut juger, par le silence du clergé, qu'il alla lui-même au devant de la correction; ce qui, vu la nature de l'esprit humain, mérite des louanges. Tout homme qui mouroit sans donner une partie de ses biens à l'église, ce qui s'appeloit mourir déconfés, étoit privé de la communion et de la sépulture. Si l'on mouroit sans faire de testament, il falloit que les parents obtinssent de l'évêque qu'il nommât, concurremment avec eux, des arbitres pour fixer ce que le défunt auroit dû donner en cas qu'il eût fait un testament. On ne pouvoit pas coucher ensemble la première nuit des nôces, ni même les deux suivantes, sans en avoir acheté la permission. C'étoit bien ces trois nuits-là qu'il falloit choisir; car pour les autres on n'auroit pas donné beaucoup d'argent. Le parlement corrigea tout cela on trouve dans le Glossaire a du droit français de Ragueau, l'arrêt qu'il rendit contre l'évêque d'Amiens b.

Je reviens au commencement de mon chapitre. Lorsque dans un siècle ou dans un gouvernement, on voit les divers corps de l'état chercher à augmenter leur autorité et à prendre les uns sur les autres de certains avantages, on sé

a Au mot exécuteurs testamentaires.

b Du 19 mars 1409.

tromperoit souvent, si l'on regardoit leurs entreprises comme une marque certaine de leur corruption. Par un malheur attaché à la condition humaine, les grands hommes modérés sont rares; et, comme il est toujours plus aisé de suivre sa force que de l'arrêter, peut-être, dans la classe des gens supérieurs, est-il plus facile de trouver des gens extrêmement vertueux que des hommes. extrêmement sages.

L'ame goûte tant de délices à dominer les autres ames, ceux même qui aiment le bien s'aiment si fort eux-mêmes, qu'il n'y a personne qui ne soit assez malheureux pour avoir encore à se défier de ses bonnes intentions; et en vérité nos actions tiennent à tant de choses, qu'il est mille fois plus aisé de faire le bien que de le bien faire.

CHAPITRE XL I I.

Renaissance du droit romain, et ce qui en résulta. Changements dans les tribunaux.

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E Digeste de Justinien ayant été retrouvé vers l'an 1137, le droit romain sembla prendre une seconde naissance. On établit des écoles en Italie où on l'enseignoit : on avoit déjà le code Justinien et les Novelles. J'ai déjà dit que ce droit y prit une telle faveur, qu'il fit éclipser la loi des Lombards.

Des docteurs italiens portèrent le droit de Justinien en France, où l'on n'avoit connua que le code théodosien, parce que ce ne fut b`qu'après l'établissement des barbares dans les Gaules que les lois de Justinien furent faites. Ce droit reçut quelques oppositions; mais il se maintint malgré les excommunications des papes, qui protégeoient leurs canons . S. Louis chercha à l'accréditer par les traductions qu'il fit faire des ouvrages de Justinien, que nous avons encore manuscrites dans nos bibliothèques; et j'ai déjà dit qu'on en fit un grand usage dans les Établissements. Philippe le Beld fit enseigner les lois de Justinien, seulement comme raison écrite, dans les pays de la France qui se gouvernoient par les coutumes; et elles furent adoptées comme loi dans les pays où le droit romain étoit la loi,

J'ai dit ci-dessus que la manière de procèder. par le combat judiciaire demandoit, dans ceux qui jugeoient, très-peu de suffisance; on décidoit les affaires dans chaque lieu, selon l'usage de chaque lieu, et suivant quelques coutumes simples

a On suivoit en Italie le code de Justinien: c'est pour cela que le pape Jean VIII, dans sa constitution, donnée après le synode de Troies, parle de ce code, non pas parcequ'il étoit connu en France, mais parcequ'il le connoissoit lui-même; et sa constitution étoit générale.

b Le code de cet empereur fut publié vers l'an 530.

• Décrétales, liv. V, tit. de privilegiis, cap, super specula.

d Par une chartre de l'an 1312. en faveur de l'université d'Orléans, rapportée par du Tillet.

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