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qui se recevoient par tradition. Il y avoit, du temps de Beaumanoir a, deux différentes manières de rendre la justice. Dans des lieux on jugeoit par pairs ↳, dans d'autres on jugeoit par baillis: quand on suivoit la première forme, les pairs jugeoient selon l'usage de leur jurisdiction ; dans la seconde, c'étoient des prud'hommes ou vieillards qui indiquoient au bailli le même usage. Tout ceci ne demandoit aucunes lettres, aucune capacité, aucune étude. Mais lorsque le code obscur des Établissements et d'autres ouvrages de jurispru→ dence parurent, lorsque le droit romain fut traduit, lorsqu'il commença à être enseigné dans les écoles, lorsqu'un certain art de la procédure et qu'un certain art de la jurisprudence commencèrent à se former, lorsqu'on vit naître des praticiens et des jurisconsultes, les pairs et les prud'hommes ne furent plus en état de juger; les pairs commencèrent à se retirer des tribunaux du seigneur; les seigneurs furent peu portés à les assembler, d'autant mieux que les jugements, au lieu d'être une action éclatante, agréable à la noblesse, intéressante pour les gens de guerre, n'étoient plus

qu'une

a Coutume de Beauvoisis, ch. I, de l'office des baillis. b Dans la commune, les bourgeois étoient jugés par d'autres bourgeois, comme les hommes de fief se jugeoient entre eux. Voyez la Thaumassière, ch. XIX.

c Aussi toutes les requêtes commençoient-elles par ces mots: " Sire juge, il est d'usage qu'en votre jurisdiction, etc." comme il paroît par la formule rapportée dans Boutillier, Somme rurale, liv. I, tit. XXI.

qu'une pratique qu'ils ne savoient nijne vouloient savoir. La pratique de juger par pairs devint moins en usage ; celle de juger par baillis s'étendit. Les baillis ne jugeoient pas ; ils faisoient l'instruction et prononçoient le jugement des prud'hommes: mais les prud'hommes n'étant plus en état de juger, les baillis jugèrent eux-mêmes.

Cela se fit d'autant plus aisément, qu'on avoit devant les yeux la pratique des juges d'église: le droit canonique et le nouveau droit civil concoururent également à abolir les pairs.

Ainsi se perdit l'usage constamment observé dans la monarchie, qu'un juge ne jugeoit jamais seul, comme on le voit par les lois saliques, les

a Le changement fut insensible. On trouve encore les pairs employés du temps de Boutillier, qui vivoit en 1402, date de son testament, qui rapporte cette formule au liv. I, tit. XXI: Sire juge, en ma justice haute, moyenne et basse, que j'ai en tel lieu, cour, plaids, baillis, hommes féodaux et ser"gents." Mais il n'y avoit plus que les matières féodales qui se jugeassent par pairs. Ibid. liv. I, tit. I, p. 16.

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b Comme il paroît par la formule des lettres que le seigneur leur donnoit, rapportée par Boutillier, Somme rurale, liv. I, tit. XIV. Ce qui se prouve encore par Beaumanoir, Coutume de Beauvoisis, ch. I, des haillis. Ils ne faisoient que la procédure. Le bailli est tenu, en la présence des hommes, à penre les paroles de chaux qui plaident, et doit demander as parties se ils veulent avoir droit selon les raisons que ils ont dites;

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et se ils disent, Sire, oil, le bailli doit contraindre les hom

» mes que ils fassent le jugement.

Voyez aussi les Établisse

ments de saint-Louis, liv. I, ch. CV; et liv. II, ch. XV. » juge, si ne doit pas faire le jugement.

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capitulaires, et par les premiers écrivains de pratique de la troisième race. L'abus contraire, qui n'a lieu que dans les justices locales, a été modéré, et en quelque façon corrigé, par l'introduction en plusieurs lieux d'un lieutenant du juge, que celui ci consulte, et qui représente les anciens prud'hommes, par l'obligation où est le juge de prendre deux gradués dans les cas qui peuvent mériter une peine afflictive; et enfin il est devenu nul par l'extrême facilité des appels.

CHAPITRE

XLIII.

Continuation du même sujet.

AINSI ce ne fut point une loi qui défendit aux

seigneurs de tenir eux-mêmes leur cour; ce ne fut point une loi qui abolit les fonctions que leurs pairs y avoient; il n'y eut point de loi qui ordonnât de créer des baillis; ce ne fut point par une loi qu'ils eurent le droit de juger. Tout cela se fit peu à peu et par la force de la chose. La connoissance du droit romain, des arrêts des cours, des corps de coutumes nouvellement écrites, demandoient une étude dont les nobles et le peuple sans lettres n'étoient point capables..

La seule ordonnance que nous ayons sur cette matière best celle qui obligca les seigneurs de choisir

a Beaumanoir, ch. LXVII, p. 336; et ch. LXI, p. 315 et 3165 les Établissements, liv. II, ch. XV.

b Elle est de l'an 1287.

leurs baillis dans l'ordre des laïcs. C'est mal-àpropos qu'on l'a regardée comme la loi de leur création; mais elle ne dit que ce qu'elle dit. De plus, elle fixe ce qu'elle prescrit par les raisons qu'elle en donne : C'est afin, est-il dit, que les baillis puissent être punis de leurs prévarications a, quil faut qu'ils soient pris dans l'ordre des laïcs". On sait les privièlges des ecclésiastiques dans ces temps-là.

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Il ne faut pas croire que les droits dont les seigneurs jouissoient autrefois, et dont ils ne jouissent plus aujourd'hui leur aient été ôtés comme des usurpations: plusieurs de ces droits ont été perdus par négligence, et d'autres ont été abandonnés parce que divers changements s'étant introduits dans le cours de plusieurs siècles, ils ne pouvoient subsister avec ces changements.

CHAPITRE X LIV.

De la preuve par témoins.

Lrs juges, qui n'avoient d'autres règles que les

usages, s'en enquéroient ordinairement par témoins dans chaque question qui se présentoit.

Le combat judiciaire devenant moins en usage, on fit les enquêtes par écrit. Mais une preuve vocale mise par écrit n'est jamais qu'une preuve vocale; cela ne faisoit qu'augmenter les frais de la procédure. On fit des réglements qui rendirent

b Ut, si ibi delinquant, superiores sui possint animadvertere in eosdem.

la plupart de ces enquêtes a inutiles; on établit des registres publics dans lesquels la plupart des faits se trouvoient prouvés, la noblesse, l'âge, la légitimité, le mariage. L'écriture est un témoin qui est difficilement corrompu. On fit rédiger par écrit les coutumes. Tout cela étoit bien raisonnable: il est plus aisé d'aller chercher dans les registres de baptême si Pierre est fils de Paul, que d'aller prouver ce fait par une longue enquête. Quand, dans un pays, il y a un très-grand nombre d'usages, il est plus aisé de les écrire tous dans un code que d'obliger les particuliers à prouver chaque usage. Enfin on fit la fameuse ordonnance qui défendit de recevoir la preuve par témoins pour une dette au-dessus de cent livres, à moins qu'il n'y eût un commencement de preuve par écrit.

CHAPITRE XL V.

Des coutumes de France.

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LA France étoit régie, comme j'ai dit, par des

coutumes non écrites; et les usages particuliers de chaque seigneurie formoient le droit civil. Chaque seigneurie avoit son droit civil, comme le dit Beaumanoir, et un droit si particulier, que cet auteur, qu'on doit regarder comme la lumière de ce temps-là, et une grande lumière, dit qu'il ne

a Voyez comment on prouvoit l'âge et la parenté. Établissements, liv. I, ch. LXXI et LXXII.

b Prologue sur la coutume de Beauvoisis.

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