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y ont tout un autre motif que chez les Romains. Chez ceux-ci l'hérédité étoit jointe à de certains a sacrifices qui devoient être faits par l'héritier, et qui étoient réglés par le droit des pontifes: cela fit qu'ils tinrent à déshonneur de mourir sans héritier, qu'ils prirent pour héritiers leurs esclaves, et qu'ils inventèrent les substitutions. La substitution vulgaire, qui fut la première inventée, et qui n'avoit lien que dans le cas où l'héritier institué n'accepteroit pas l'héré dité, en est une grande preuve : elle n'avoit point pour objet de perpétuer l'héritage dans une famille du même nom, mais de trouver quelqu'un qui acceptât l'héritage.

CHAPITRE IX.

Que les lois grecques et romaines ont puni l'hor micide de soi-même, sans avoir le même motif.

Un homme, dit Platon, qui a tué celui qui

lui est étroitement lié, c'est-à-dire, lui-même, non par ordre du magistrat ni pour éviter l'ignominie, mais par foiblesse, sera puni. La loi romaine punissoit cette action, lorsqu'elle n'avoit pas été faite par foiblesse d'ame, par ennui de la vie, par impuissance de souffrir la douleur,

a Lorsque l'hérédité étoit trop chargée, on éludoit le droit des pontifes par de certaines ventes: d'où vint le mot, sine sacris haereditas.

Liv. IX. des Lois

mais par le désespoir de quelque crime. La loi romaine absolvoit dans le cas où la grecque condamnoit, et condamnoit dans le cas où l'autre absolvoit.

La loi de Platon étoit formée sur les institutions lacédémoniennes, où les ordres du magistrat étoient totalement absolus, où l'ignominie étoit le plus grand des malheurs, et la foiblesse le plus grand des crimes. La loi romaine abandonnoit toutes ces belles idées; elle n'étoit qu'une loi fiscale.

Du temps de la république il n'y avoit point de loi à Rome qui punît ceux qui se tuoient euxmêmes cette action chez les historiens est toujours prise en bonne part, et l'on n'y voit jamais de punition contre ceux qui l'ont faite.

:

Du temps des premiers empereurs, les grandes familles de Rome, furent sans cesse exterminées par des jugements. La coutume s'introduisit de prévenir la condamnation par une mort volontaire. On y trouvoit un grand avantage; on obtenoit a l'honneur de la sépulture, et les testaments étoient exécutés cela venoit de ce qu'il n'y avoit point de loi civile à Rome contre ceux qui se tuoient eux-mêmes. Mais, lorsque les empereurs devinrent aussi avares qu'ils avoient été cruels, ils ne laissèrent plus à ceux dont ils vouloient se défaire le moyen de conserver leurs biens,

et

a Eorum qui de se statuebant, humabantur corpora, manebant testamenta, pretium festinandi. Tacite.

et ils déclarérent que ce seroit un crime de s'ôter la vie par les remords d'un autre crime.

Ce que je dis du motif des empereurs est si vrai, qu'ils consentirent que les biensa de ceux qui se seroient tués eux-mêmes ne fussent pas confisqués, lorsque le crime pour lequel ils s'étoient tués n'assujettissoit point à la confiscation.

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Que les lois qui paroissent contraires dérivent quelquefois du même esprit.

Ox va aujourd'hui dans la maison d'un hom

me pour l'appeler en jugement; cela ne pouvoit se faire chez les Romains b.

L'appel en jugement étoit une action violente c et comme une espèce de contrainte par corps ; et on ne pouvoit pas plus aller dans la maison d'un homme pour l'appeler en jugement, qu'on ne peut aller aujourd'hui contraindre par corps dans sa maison un homme qui n'est condamné que pour des dettes civiles.

a Rescript de l'empereur Pie, dans la loi III, §. 1. et 2, ff. de bonis eorum qui ante sentertiam mortem sibi consciverunt.

b Leg. XVIII, ff. de in jus vocando.

Voyez la loi des douze tables:

a Rapit in jus, (Horat. sat. IX, lib. I.) C'est pour cela qu'on ne pouvoit appeler en jugement ceux à qui on devoit un certain

respect.

3.

.

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Les lois romaines a et les nôtres admettent également ce principe, que chaque citoyen á sa maison pour asyle, et qu'il n'y doit recevoir aucune violence b

CHAPITRE X I.

De quelle manière deux lois diverses peuvent être comparées.

EN France la peine contre les faux témoins

est capitale; en Angleterre, elle ne l'est point. Pour juger laquelle de ces deux lois est la meilleure, il faut ajouter, en France la question contre les criminels est pratiquée; en Angleterre, elle ne l'est point; et dire encore, en France l'accusé ne produit point ses témoins, et il est très-rare qu'on y admette ce que l'on appelle les faits justificatifs; en Angleterre, l'on reçoit les témoignages de part et d'autre. Les trois lais françaises forment un systême très-lié et très-suivi; les trois lois anglaises en forment un qui ne l'est pas moins. La loi d'Angleterre, qui ne connoît point la question contre les criminels, n'a que peu d'espérance de tirer de l'accusé la confession de son crime; elle appelle donc de tous côtés les témoignages étrangers, et elle n'ose les décourager par la crainte d'une peine capitale. La loi française, qui a une ressource de plus, ne craint

a Voyez la loi XVIII, ff. de in jus vocando.
b Cette jurisprudence a changé à Paris en 1772.

a

pas tant d'intimider les témoins; au contraire la raison demande qu'elle les intimide: elle n'écoute que les témoins d'une part ; ce sont ceux que produit la partie publique, et le destin de l'ac cusé dépend de leur seul témoignage. Mais en Angleterre on reçoit les témoins des deux parts, et l'affaire est, pour ainsi dire, discutée entre eux: le faux témoignage y peut donc être moins dangereux; l'accusé y a une ressource contre le faux témoignage, au lieu que la loi française n'en donne point. Ainsi, pour juger lesquelles Ide ces lois sont les plus conformes à la raison, il ne faut pas comparer chacune de ces lois à chacune; il faut les prendre toutes ensemble, et les comparer toutes ensemble.

CHAPITRE XII,

Que les lois qui paroissent les mêmes sont réelle ment différentes.

Les lois grecques et romaines punissoient le re

celeur

du vol comme le voleur : la loi française fait de même. Celles-là étoient raisonnables, celle-ci ne l'est pas. Chez les Grecs et chez les Romains, le voleur étant condamné à une peine

a Par l'ancienne jurisprudence française les témoins étoient ouis des deux parts. Aussi voit-on, dans les Établissements de S. Louis, liv. I, ch. VII, que la peine contre les faux témoins en justice étoit pécuniaire.

b Leg. I, ff. de receptatoribus.

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