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le temps du moment au moment, lorsqu'il s'agit de la restitution et de l'administration des biens du pupille; au lieu qu'elle regarde l'année commencée comme une année complète, lorsqu'il s'agit d'acquérir des honneurs. Je n'ai garde de censurer une disposition qui ne paroît pas avoir eu jusqu'ici d'inconvénient; je dirai seulement que la raison alléguée par le chancelier de l'Hôpital n'étoit pas la vraie: il s'en faut bien que le gouvernement des peuples ne soit qu'un

honneur.

En fait de présomption, celle de la loi vaut mieux que celle de l'homme. La loi française regarde comme frauduleux tous les actes faits par un marchand dans les dix jours qui ont précédé sa banqueroute a: c'est la présomption de la loi. La loi romaine infligeoit des peines au mari qui gardoit sa femme après l'adultère, à moins qu'il n'y fût déterminé par la crainte de l'événement d'un procès, ou par la négligence de sa propre honte; et c'est la présomption de l'homme. II falloit que le juge présumât les motifs de la conduite du mari, et qu'il se déterminât sur une manière de penser très-obscure. Lorsque le juge présume, les jugements deviennent arbitraires; lorsque la loi présume, elle donne au juge une règle fixe.

La loi de Platon a, comme j'ai dit, vouloit qu'on punît celui qui se tueroit, non pas pour éviter

a Elle est du mois de novembre 1702.

b Liv. IX des Lois.

l'ignominie, mais par foiblesse. Cette loi étoit vicieuse, en ce que, dans le seul cas où l'on ne pouvoit pas tirer du criminel l'aveu du motif qui l'avoit fait agir, elle vouloit que le juge se déterminât sur ces motifs.

Comme les lois inutiles affoiblissent les lois nécessaires, celles qu'on peut éluder affoiblissent la législation. Une loi doit avoir son effet, et il ne faut pas permettre d'y déroger par une convention particulière.

La loi Falcidie ordonnoit, chez les Romains, que l'héritier eût toujours la quatrième partie de l'hérédité; une autre loi a permit au testateur de défendre à l'héritier de retenir cette quatrième partie : c'est se jouer des lois. La loi Falcidie devenoit inutile; car, sì le testateur vouloit favoriser son héritier, celui-ci n'avoit pas besoin de la loi Falcidie; et s'il ne vouloit pas le favoriser, il lui défendoit de se servir de la loi Falcidie.

Il faut prendre garde que les lois soient conçues de manière qu'elles ne choquent point la nature des choses. Dans la proscription du prince d'Orange, Philippe II promet à celui qui le tuera de donner à lui, ou à ses héritiers, vingt-cinq mille écus et la noblesse, et cela en parole de roi, et comme serviteur de Dieu. La noblesse promise pour une telle action! une telle action ordonnée en qualité de serviteur de Dieu! tout cela renverse également les idées de l'honneur, celles de la morale, et celles de la religion.

a C'est l'authentique sed cum testator.

Il est rare qu'il faille défendre une chose qui n'est pas mauvaise, sous prétexte de quelque perfection qu'on imagine.

Il faut dans les lois une certaine candeur. Faites pour punir la méchanceté des hommes, elles, doivent avoir elles-mêmes la plus grande innocence. On peut voir dans la loi a des Wisigoths cette requête ridicule par laquelle on fit obliger les Juifs à manger toutes les choses apprêtées avec du cochon, pourvu qu'ils ne mangeassent pas du cochon même. C'étoit une grande cruauté: on les soumettoit à une loi contraire à la leur; on ne leur laissoit garder de la leur que ce qui pouvoit être un signe pour les reconnoître.

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Mauvaise manière de donner des lois.

LES empereurs romains manifestoient, comme

nos princes, leurs volontés par des décrets et des édits: mais ce que nos princes ne font pas, ils per mirent que les juges ou les particuliers, dans leurs différents, les interrogeassent par lettres; et leurs réponses étoient appelées des rescripts. Les décrétales des papes sont, à proprement parler, des rescripts. On sent que c'est une mauvaise sorte de législation. Ceux qui demandent ainsi des lois sont de mauvais guides pour le législateur; les faits sont toujours mal exposés. Trajan, dit Jules

a Liv. XII, tit. II, §. 16.

Capitolin

Capitolina, refusa souvent de donner de ces sortes de rescripts, afin qu'on n'étendît pas. à tous les cas une décision et souvent une faveur particulière. Macrin avoit résolu d'abolir tous ces re

b;

scripts ; il ne pouvoit souffrir qu'on regardât comme des lois les réponses de Commode, de Caracalla, et de tous ces autres princes pleins d'impéritie. Justinien pensa autrement, et il en remplit sa compilation.

Je voudrois que ceux qui lisent les lois romaines distinguassent bien ces sortes d'hypothèses d'avec les sénatus-consultes, les plébiscites, les constitutions générales des empereurs, et toutes les lois fondées sur la nature des choses, sur la fragilité des femmes, la foiblesse des mineurs, et l'utilité publique.

CHAPITRE XVIII.

Des idées d'uniformité.

Il y a de certaines idées d'uniformité qui, saisis

L

sent quelquefois les grands esprits (car elles ont touché Charlemagne), mais qui frappent infailliblement les petits. Ils y trouvent un genre. de perfection qu'ils reconnoissent, parce qu'il est impossible de ne le pas découvrir; les mêmes poids dans la police, les mêmes mesures dans le commerce, les mêmes lois dans l'état; la même religion dans toutes ses parties. Mais cela est-il

a Voyez Jules Capitolin, in Macrino.

b Ibid.

toujours à propos sans exception? Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir? Et la grandeur du génie ne consisteroit-elle pas mieux à savoir dans quel cas il faut de l'uniformité, et dans quel cas il faut des différences? A la Chine, les Chinois sont gouvernés par le cérémonial chinois, et les Tartares par le cérémonial tartare: c'est pourtant le peuple du monde qui a le plus la tranquillité pour objet. Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même?

CHAPITRE XIX.

Des législateurs.

ARISTOTE vouloit satisfaire tantôt sa jalousie con

tre Platon, tantôt sa passion pour Alexandre. Platon étoit indigné contre la tyrannie du peuple d'Athènes. Machiavel étoit plein de son idole, le duc de Valentinois. Thomas More, qui parloit plutôt de ce qu'il avoit lu, que de ce qu'il avoit pensé, vouloit gouverner tous les états avec la simplicité d'une ville grecque ". Arringhton ne voyoit que la république d'Angleterre, pendant qu'une foule d'écrivains trouvoient le désordre par-tout où ils ne voyoient point de couronne. Les lois rencontrent toujours les passions et les préjugés du législateur. Quelquefois elles passent au travers, et s'y teignent; quelquefois elles y restent, et s'y incorporent.

a Dans son Utopie.

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