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LIVRE X X X.

Théorie des lois féodales chez les Francs, dans le rapport qu'elles ont avec l'établissement de la

monarchie.

J

CHAPITRE PREMIER.

Des lois féodales.

E croirois qu'il y auroit une imperfection dans mon ouvrage, si je passois sous silence un événement arrivé une fois dans le monde, et qui n'arrivera peut-être jamais; si je ne parlois de ces lois que l'on vit paroître en un moment dans toute l'Europe, sans qu'elles tinssent à celles que l'on avoit jusqu'alors connues; de ces lois qui ont fait des biens et des maux infinis; qui ont laissé des droits quand on a cédé le domaine; qui, en donnant à plusieurs personnes divers genres de seigneurie sur la même chose ou sur les mêmes personnes, ont diminué le poids de la seigneurie entière; qui ont posé diverses limites dans des empires trop étendus; qui ont produit la règle avec une inclinaison à l'anarchie, et l'anarchie avec une tendance à l'ordre et à l'harmonie.

Ceci demanderoit un ouvrage exprès; mais, vu la nature de celui-ci, on y trouvera plutôt ces lois comme je les ai envisagées que comme je les ai traitées.

C'est un beau spectacle que celui des lois féodales. Un chêne antique s'élève a; l'oeil en voit de loin les feuillages: il approche; il en voit la tige, mais il n'en apperçoit point les racines: il faut percer la terre pour les trouver.

LES

CHAPITRE I I.

Des sources des lois féodales.

ES peuples qui conquirent l'empire romain étoient sortis de la Germanie. Quoique peu d'auteurs anciens nous aient décrit leurs moeurs, nous en avons deux qui sont d'un très-grand poids. César, faisant la guerre aux Germains, décrit les moeurs des Germains ; et c'est sur ces moeurs qu'il a réglé quelques-unes de ses entreprises . Quelques pages de César sur cette matière sont des volumes.

Tacite fait un ouvrage exprès sur les moeurs des Germains. Il est court, cet ouvrage; mais c'est l'ouvrage de Tacite, qui abrégeoit tout, parce qu'il voyoit tout.

Ces deux auteurs se trouvent dans un tel concert avec les codes des lois des peuples barbares que nous avons, qu'en lisant César et Tacite on trouve par-tout ces codes, et qu'en lisant ces codes on trouve par-tout César et Tacite.

Quantum vertice ad auras

Aethereas, tantum radice in tartara tendit.

b Liv. VI.

Virgile.

e Par exemple, sa retraite d'Allemagne, ibid.

Que si, dans la recherche des lois féodales, je me vois dans un labyrinthe obscur, plein de routes et de détours, je crois que je tiens le bout dụ fil, et que je puis marcher.

CÉSAR

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CHAPITRE II I.

Origine du vasselage.

ÉSAR dit que,, les Germains ne s'attachoient point à l'agriculture; que la plupart vivoient de ,, lait, de fromage et de chair; que personne n'a,, voit de terres ni de limites qui lui fussent pro,, pres; que les princes et les magistrats de chaque ,, nation donnoient aux particuliers la portion de ,, terres qu'ils vouloient et dans le lieu qu'ils vouloient, et les obligeoient l'année suivante de ,, passer ailleurs". Tacite dit b ,, que chaque prince avoit une troupe de gens qui s'attachoient ,, à lui et le suivoient ". Cet auteur, qui, dans sa langue leur donne un nom qui a du rapport avec leur état, les nomme C- compagnons. Il y avoit entre eux une émulation & singulière pour obtenir quelque distinction auprès du prince, et une même émulation entre les princes sur le nombre et la bravoure de leurs compagnons. C'est, ajoute

d

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a Liv.VI de la Guerre des Gaules. Tacite ajoute: Nulli domus, aut ager, aut aliqua cura; prout ad quemque venere aluntur, De Mo❤ ribus Germ.

b De Moribus Germ.

c Comites.

d Ibid.

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,, Tacite, la dignité, c'est la puissance d'être toujours entouré d'une foule de jeunes gens que l'on a choisis; c'est un ornement dans la paix, c'est un rempart dans la guerre. On se rend célèbre dans sa nation et chez les peuples voisins, ,, si l'on surpasse les autres par le nombre et le cou,, rage de ses compagnons: on reçoit des présents; les ambassades viennent de toutes parts. Souvent la réputation décide de la guerre. Dans le combat il est honteux au prince d'être inférieur en courage; il est honteux à la troupe de ne point égaler la valeur du prince; c'est une infa mie éternelle de lui avoir survécu. L'engage,,ment le plus sacré, c'est de le défendre. Si une cité est en paix, les princes vont chez celles qui font la guerre ; c'est par-là qu'ils conservent un „grand nombre d'amis. Ceux-ci reçoivent d'eux le cheval du combat et le javelot terrible. Les repas ,, peu délicats, mais grands, sont une espèce de solde pour eux. Le prince ne soutient ses ,, libéralités que par les guerres et les rapines. Vous leur persuaderiez bien moins de labourer ,, la terre et d'attendre l'année, que d'appeler l'en,, nemi et de recevoir des blessures; ils n'acquer,, ront pas par la sueur ce qu'ils peuvent obtenir par le sang.

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Ainsi, chez les Germains, il y avoit des vassaux et non pas des fiefs. Il n'y avoit point de fiefs, parce que les princes n'avoient point de terres à donnier; ou plutôt les fiefs étoient des chevaux de bataille, des armes, des repas. Il y avoit des

vassaux, parce qu'il y avoit des hommes fidèles qui étoient liés par leur parole, qui étoient engagés pour la guerre, et qui faisoient à peu près le même service que l'on fit depuis pour les fiefs.

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CHAPITRE I V.

Continuation du même sujet.

CESAR P ÉSAR dit que, „ quand un des princes déclaroit à l'assemblée qu'il avoit formé le projet de ,, quelque expédition, et demandoit qu'on le suivît, ceux qui approuvoient le chef et l'entreprise se levoient et offroient leur secours. Ils étoient loués la multitude. Mais, s'ils ne ,, remplissoient pas leurs engagements, ils perdoient la confiance publique, et on les regardoit comme des déserteurs et des traîtres.

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par

M

Ce que dit ici César 9 et ce que nous avons dit dans le chapitre précédent après Tacite, est le germe de l'histoire de la première race.

Il ne faut pas être étonné que les rois aient toujours eu à chaque expédition de nouvelles armées à refaire, d'autres troupes à persuader, de nouvelles gens à engager; qu'il ait fallu pour acquérir beaucoup qu'ils répandissent beaucoup; qu'ils acquissent sans cesse, par le partage, des terres et des dépouilles, et qu'ils donnassent sans cesse ces terres et ces dépouilles; que leur domaine grossît. continuellement, et qu'il diminuât sans cesse ;

a De Bello Gallico, liv. VI.

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