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Des lois, dans le rapport qu'elles ont avec la religion établie dans chaque pays, considérée dans ses pratiques et en elle-même.

CHAPITRE PREMIER.

COMME

Des religions en général.

'OMME on peut juger parmi les ténèbres celles qui sont les moins épaisses, et parmi les abymes ceux qui sont les moins profonds, ainsi l'on peut chercher entre les religions fausses celles qui sont les plus conformes au bien de la société; celles qui, quoiqu'elles n'aient pas l'effet de mener les hommes aux félicités de l'autre vie, peuvent le plus contribuer à leur bonheur dans celle-ci.

Je n'examinerai donc les diverses religions du monde que par rapport au bien que l'on en tire dans l'état civil; soit que je parle de celle qui a sa racine dans le ciel, ou bien de celles qui ont la leur sur la terre.

Comme dans cet ouvrage je ne suis point théologien, mais écrivain politique, il pourroit y avoir des choses qui ne seroient entièrement vraies que dans une façon de penser humaine,

n'ayant point été considérées dans le rapport avec des vérités plus sublimes.

A l'égard de la religion, il ne faudra que très-peu d'équité pour voir que je n'ai jamais prétendu faire céder ses intérêts aux intérêts politiques, mais les unir: or, pour les unir, il faut. les connoître.

La religion chrétienne, qui ordonne aux hommes de s'aimer, veut sans doute que chaque peuple ait les meilleures lois politiques et les meilleures lois civiles, parce qu'elles sont, après elle, le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir.

M

CHAPITRE II.

a

Paradoxe de Bayle.

BAYLE a prétendu prouver qu'il valoit mieux être athée qu'idolâtre, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il est moins dangereux de n'avoir point du tout de religion que d'en avoir une mauvaise. ,, J'aimerois mieux, dit-il, que l'on dît de moi que je n'existe pas, que si l'on disoit de moi que je suis un méchant homme. Ce n'est qu'un sophisme fondé sur ce qu'il n'est d'aucune utilité au genre humain que l'on croie qu'un certain homme existe, au lieu qu'il est très-utile que l'on croie que Dieu

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a Pensées sur la comète, etc.

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est. De l'idée qu'il n'est pas suit l'idée de notre indépendance; ou, si nous ne pouvons pas avoir cette idée, celle de notre révolte. Dire que la religion n'est pas un motif réprimant, parce qu'elle ne réprime pas toujours, c'est dire que les lois civiles ne sont pas un motif réprimant non plus. C'est mal raisonner contre la religion de rassembler dans un grand ouvrage une longue énumération des maux qu'elle a produits, si l'on ne fait de même celle des biens qu'elle a faits. Si je voulois raconter tous les maux qu'ont produits dans le monde les lois civiles, la monarchie, le gouvernement républicain, je dirois des choses effroyables. Quand il seroit inutile que les sujets eussent une religion, il ne le seroit pas que les princes en eussent, et qu'ils blanchissent d'écume le seul frein que ceux qui ne craignent pas les lois humaines puissent avoir.

Un prince qui aime la religion et qui la craint, est un lion qui cède à la main qui le flatte ou à la voix qui l'appaise : celui qui craint la religion et qui la hait, est comme les bêtes sauvages qui mordent la chaîne qui les empêche de se jeter sur ceux qui passent celui qui n'a point du tout de religion est cet animal terrible qui ne sent sa liberté que lorsqu'il déchire et qu'il dévore.

La question n'est pas de savoir s'il vaudroit mieux qu'un certain homme ou qu'un certain peuple n'eût point de religion, que d'abuser de celle qu'il a; mais de savoir quel est le moindre

mal, que l'on abuse quelquefois de la religion, ou qu'il n'y en ait point du tout parmi les hommes.

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Pour diminuer l'horreur de l'athéisme on charge trop l'idolâtrie. Il n'est pas vrai que quand les anciens élevoient des autels à quelque vice cela signifiât qu'ils aimassent ce vice: cela signifioit au contraire qu'ils le haïssoient. Quand les Lacédémoniens érigèrent une chapelle à la Peur, cela ne signifioit pas que cette nation belliqueuse lui demandât de s'emparer dans les combats des coeurs des Lacédémoniens. Il y avoit des divinités à qui on demandoit de ne pas inspirer le crime, et d'autres à qui on demandoit de le détourner..

CHAPITRE III.

Que le gouvernement modéré convient mieux à la religion chrétienne, et le gouvernement despotique à la mahométane.

La religion chrétienne est éloignée du

pur

des

potisme c'est que la douceur étant si recommandée dans l'évangile, elle s'oppose à la colère despotique avec laquelle le prince se feroit justice

et exerceroit ses cruautés.

Cette religion défendant la pluralité des femmes, les princes y sont moins renfermés, moins séparés de leurs sujets, et, par conséquent, plus hommes; ils sont plus disposés à se faire

"des lois, et plus capables de sentir qu'ils ne peuvent pas tout.

Pendant que les princes mahométans donnent sans cesse la mort ou la reçoivent, la religion chez les chrétiens rend les princes moins timides', et par conséquent moins cruels. Le prince compte sur ses sujets, et les sujets sur le prince. Chose admirable! la religion chrétienne, qui ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci.

C'est la religion chrétienne qui, malgré la grandeur de l'empire et le vice du climat, a empêché le despotisme de s'établir en Ethiopie, et a porté au milieu de l'Afrique les moeurs de l'Europe et ses lois.

Le prince héritier d'Ethiopie jouit d'une principauté, et donne aux autres sujets l'exemple de l'amour et de l'obéissance. Tout près de-là on voit le mahométisme faire renfermer les enfants du roi de Sennara à sa mort, le conseil les envoie égorger en faveur de celui qui monte sur le trône.

Que d'un côté l'on se mette devant les yeux les massacres continuels des rois et des chefs grecs et romains, et de l'autre la destruction des peuples et des villes par ces mêmes chefs; Timur et Gengiskan, qui ont dévasté l'Asie; et nous verrons que nous devons au christianisme, et dans le gouvernement un certain droit politique, et dans la

a Relation d'Ethiopie, par le sieur Ponce, médecin, au quatrième recueil des lettres éantes.

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