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fidèles et par la prérogative de pouvoir se recommander pour un fief. Je ferai voir dans le livre suivant comment, par les circonstances des temps, il y eut des hommes libres qui furent admis à jouir de cette grande prérogative, et par conséquent à entrer dans l'ordre de la noblesse. Cela n'étoit point ainsi du temps de Gontran et de Childebert son neveu; et cela étoit ainsi du temps de Charlemagne. Mais quoique dès le temps de ce prince les hommes libres ne fussent pas incapables de posséder des fiefs, il paroît, par le passage de Tégan rapporté ci-dessus, que les serfs affranchis en étoient absolument exclus. M. l'abbé Dubos ↳ qui va en Turquie pour nous donner une idée de ce qu'étoit l'ancienne noblesse française, nous dira-t-il qu'on se soit jamais plaint en Turquie de ce qu'on y élevoit aux honneurs et aux dignités des gens de basse naissance, comme on s'en plaignoit sous les règnes de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve? On ne s'en plaignoit pas du temps de Charlemagne, parce que ce prince distingua toujours les anciennes familles d'avec les nouvelles; ce que Louis le Débonnaire et Charles le Chauve ne firent pas.

Le public ne doit pas oublier qu'il est redevable à M. l'abbé Dubos de plusieurs compositions excellentes. C'est sur ces beaux ouvrages qu'il doit

a Cháp. XXIII.

b Histoire de l'Établissement de fa monarchie française, tome III, liv. VI, ch. IV, p. 302.

le juger, et non pas sur celui-ci. M. l'abbé Dubos y est tombé dans de grandes fautes, parce qu'il a plus eu devant les yeux M. le comte de Boulainvilliers que son sujet. Je ne tirerai de toutes mes critiques que cette réflexion: Si ce grand homme a erré, que ne dois-je pas craindre?

LIVRE X X X I.

Théorie des lois féodales chez les Francs, dans le rapport qu'elles ont avec les révolutions de leur monarchie.

CHAPITRE PREMIER.

Changements dans les offices et les fiefs.

D'ABORD les comtes n'étoient envoyés dans

leurs districts que pour un an; bientôt ils achetėrent la continuation de leurs offices. On en trouve un exemple dès le règne des petits-enfants de Clovis. Un certain Peonius a étoit comte dans la ville d'Auxerre il envoya son fils Mummolus porter de l'argent à Gontran pour être continué dans son emploi; le fils donna de l'argent pour luimême, et obtint la place du père. Les rois avoient déjà commencé à corromprę leurs propres

graces.

Quoique par la loi du royaume les fiefs fussent amovibles, ils ne se donnoient pourtant ni ne s'ôtoient d'une manière capricieuse et arbitraire; et c'étoit ordinairement une des principales choses qui se traitoient dans les assemblées de la nation. On peut bien penser que la corruption se

a Grégoire de Tours, liv. IV, ch. XLII. ́

glissa dans ce point comme elle s'étoit glissée dans l'autre, et que l'on continua la possession des fiefs pour de l'argent, comme on continuoit la possession des comtés.

Je ferai voir, dans la suite de ce livre, qu'indépendamment des dons que les princes firent pour un temps, il y en eut d'autres qu'ils firent pour toujours. Il arriva que la cour voulut révaquer les dons qui avoient été faits: cela mit un mécontentement général dans la nation, et l'on en vit bientôt naître cette révolution fameuse dans l'histoire de France, dont la première époque fut le spectacle étonnant du supplice de Brunehauld.

Il paroît d'abord extraordinaire que cette reine, fille, soeur, mère de tant de rois, fameuse encore aujourd'hui par des ouvrages dignes d'un édile ou d'un proconsul romain, née avec un génie admirable pour les affaires, douée de qualités qui avoient été si long-temps respectées, se soit vue ↳ tout-à-coup exposée à des supplices si longs, si honteux si cruels, par un roi dont l'autorité étoit assez mal affermie dans sa nation, si elle n'étoit tombée par quelque cause particulière dans la disgrace de cette nation. Clotaire luid reprocha la mort de dix rois: mais il y en avoit deux qu'il fit lui-même mourir; la mort de quelques a Chap. VII.

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b Chronique de Frédégaire, ch. XLII.

e Clotaire II, fils de Chilpéric, et père de Dagobert.

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d Chronique de Frédégaire, ch. XLII.

autres fut le crime du sort, ou de la méchanceté d'une autre reine; et une nation qui avoit laissé mourir Frédégonde dans son lit, qui s'étoit même opposée a à la punition de ses épouvantables crimes, devoit être bien froide sur ceux de Brunehauld.

a

Elle fut mise sur un chameau, et on la promena dans toute l'armée; marque certaine qu'elle étoit tombée dans la disgrace de cette armée. Frédégaire dit que Protaire, favori de Brunehauld, prenoit le bien des seigneurs et en gorgeoit le fisc, qu'il humilioit la noblesse, et que personne ne pouvoit être sûr de garder le poste qu'il avoit 1. L'armée conjura contre lui, on le poignarda dans sa tente; et Brunehauld, soit par les vengeances qu'elle tira de cette mort, soit par la poursuite du même plan, devint tous les jours plus odieuse à la nation d.

Clotaire, ambitieux de régner seul, et plein de la plus affreuse vengeance, sûr de périr si les enfants de Brunehauld avoient le dessus, entra dans une conjuration contre lui-même; et, sait

a Voyez Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. XXXI. b Saeva illi fuit contra personas iniquitas, fisco nimium tribuens, de rebus personarum ingeniose fiscum vellens implere..... ut nullus reperiretur qui gradum quem arripue rat potuisset adsumere. Chronique de Frédégaire, ch. XXVII, sur l'an 605.

c Ibid. ch. XXVIII, sur l'an 607.

d Ibid. ch. XLI, sur l'an 613. Burgundiae farones, tam episcopi quam caeteri leudes, timentes Brunichildem et odium in eam habentes, consilium inientes, etc.

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