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Les étranges ravages des Normands, comme j'ai dit, contribuèrent beaucoup à mettre fin à ces querelles.

Les rois, tous les jours moins accrédités, et par les causes que j'ai dités, et par celles que je dirai, crurent n'avoir d'autre parti à prendre que de se mettre entre les mains des ecclésiastiques. Mais le clergé avoit affoibli les rois, et les rois avoient affoibli le clergé.

En vain Charles le Chauve et ses successeurs appelèrent-ils le clergé a pour soutenir l'état et en empêcher la chûte: en vain se servirent-ils du respect que les peuples avoient pour ce corps b, pour maintenir celui qu'on devoit avoir pour eux; en vain cherchèrent-ils à donner de l'autorité à leurs lois par l'autorité des canons ; en vain joignirent

a Voyez dans Nitard, liv. 4, comment, après la fuite de Lothaire, les rois Louis et Charles consultèrent les évêques pour savoir s'ils pourroient prendre et partager le royaume qu'il avoit abandonné. En effet, comme les évêques formoient entre eux un corps plus unique les leudes, il convenoit à ces princes d'assurer leurs droits par une résolution des évêques, qui pourroient engager tous les autres seigneurs à les suivre.

b Voyez le capitulaire de Charles le Chauve apud Saponarias, de l'an 859, art. 3. Venilon, que j'avois fait archevêque de Sens, m'a sacré; et je ne devois être chassé du royaume par personne,

saltem sine audientia et judicio episcoporum, quorum ministerio in regem sum consecratus, et qui throni Dei sunt dicti, in quibus Deus sedet, et per quos sua decernit judicia; quorum paternis correctionibus et castigatoriis judiciis me suhdere fui paratus, et in praesenti sum subditus.”

c Voyez le capitulaire de Charles le Chauve de Carisiaco, de l'an 857, édit. de Baluze, tome II, p. 88, art. 1, 2, 3, 4 et 7.

ils les peines ecclésiastiques aux peines civilés a; en vain, pour contre-balancer l'autorité du comte, donnèrent-ils à chaque évêque la qualité de leur envoyé dans les provinces b: il fut impossible au clergé de réparer le mal qu'il avoit fait; et un étrange malheur, dont je parlerai bientôt, fit tomber la couronne à terre.

CHAPITRE X X I V.

Que les hommes libres furent rendus capables de posséder des fiefs.

'ai dit que les hommes libres alloient à la guerre sous leur comte, et les vassaux sous leur seigneur. Cela faisoit que les ordres de l'état se balançoient les uns les autres; et, quoique les leudes eussent des vassaux sous eux, ils pouvoient être contenus par le comte, qui étoit à la tête de tous les hommes libres de la monarchie.

D'abord ces hommes libres ne purent pas se recommander pour un fief, mais ils le purent dans la suite; et je trouve que ce changement se fit dans le temps qui s'écoula depuis le règne de Gontran

a Voyez le synode de Pistes, de l'an 862, art. 4; et le capitu laire de Carloman et de Louis II apud Vernis palatium, de l'an 883, art. 4 et 5.

b Capitulaire de l'an 876, sous Charles le Chauve, in synodo Pontigonensi, édit. de Baluze, art. 12.

c Voyez ce que j'ai dit ci-devant au liv. XXX, chapitre dernier, vers la fin.

Gontran jusqu'à celui de Charlemagne. Je le prouve par la comparaison qu'on peut faire du traité d'Andelya, passé entre Gontran, Childebert et la reine Brunehauld, et le partage fait par Charlemagne à ses enfants, et un partage pareil fait par Louis le Débonnaire b. Ces trois actes contiennent des dispositions à peu près pareilles à l'égard des vassaux; et, comme on y règle les mêmes points et à peu près dans les mêmes circonstances, l'esprit et la lettre de ces trois traités se trouvent à peu près les mêmes à cet égard.

Mais, pour ce qui concerne les hommes libres, il s'y trouve une différence capitale. Le traité d'Andely ne dit point qu'ils pussent se recommander pour un fief; au lieu qu'on trouve, dans les partages de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, des clauses expresses pour qu'ils pussent s'y recommander: ce qui fait voir que, depuis le traité d'Andely, un nouvel usage s'introduisoit, par lequel les hommes libres étoient devenus capables de cette grande prérogative.

Cela dut arriver, lorsque Charles Martel ayant distribué les biens de l'église à ses soldats, et les ayant donnés, partie en fief, partie en aleu, il se fit une espèce de révolution dans les lois féodales. Il est vraisemblable que les nobles qui avoient déjà des fiefs trouvèrent plus avantageux de recevoir les nouveaux dons en aleu, et que les hommes

a De l'an 587, dans Grégoire de Tours, liv. IX.

b Voyez le chapitre suivant, où je parle plus au long de ces partages, et les notes où ils sont cités.

libres se trouvèrent encore trop heureux de les recevoir en fief.

CHAPITRE XX V.

CAUSE PRINCIPALE DE L'AFFOIBLISSEMENT DE

CHARLE

LA SECONDE RACE.

Changement dans les aleux.

HARLEMAGNE, dans le partage dont j'ai parlé au chapitre précédent, régla qu'après sa mort les hommes de chaque roi recevroient des bénéfices dans le royaume de leur roi, et non dans le royaume d'un autre b; au lieu qu'on conserveroit ses àleux dans quelque royaume que ce fût. Mais il ajoute que tout homme libre pourroit, après la mort de son seigneur, se recommander pour un fief dans les trois royaumes à qui il voudroit, de même que celui qui n'avoit jamais eu de seigneur. On trouve les mêmes dispositions dans le partage que fit Louis le Débonnaire à ses enfants, l'an 817 d.

a De l'an 806, entre Charles, Pepin et Louis. Il est rapporté par Goldast et par Baluze, tome I, p. 439.

b Art. 9, p. 443. Ce qui est conforme au traité d'Andely, dans Grégoire de Tours, liv. IX.

c Art. 10. Et il n'est point parlé de ceci dans le traité d'Andely. d Dans Baluze, tome I, p. 174. Licentiam habeat unusquisque liber homo, qui seniorem non habuerit, cuicumque ex his tribus fratribus voluerit se commendandi, art. 9. Voyez aussi le partage que fit le même empereur l'an 837, art. 6, édit. de Baluzc, p. 686.

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Mais, quoique les hommes libres se recommandassent pour un fief, la milice du comte n'en étoit point affoiblie il falloit toujours que l'homme libre contribuât pour son aleu, et préparât des gens qui en fissent le service à raison d'un homme pour quatre manoirs, ou bien qu'il préparât un homme qui servît pour lui le fief: et quelques abus s'étant introduits là-dessus, ils furent corrigés, commé il paroît par les constitutionsa de Charlemagne et par celle de Pepin, roi d'Italie, qui s'expliquent l'une l'autre.

Ce que les historiens ont dit, que la bataille de Fontenay causa la ruine de la monarchie, est très-vrai. Mais qu'il me soit permis de jeter un coup-d'oeil sur les funestes conséquences de cette journée.

Quelque temps après cette bataille, les trois frères, Lothaire, Louis et Charles, firent un traité dans lequel je trouve des clauses qui durent changer tout l'état politique chez les Français c.

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Dans l'annonciation & que Charles fit au peu. ple de la partie de ce traité qui le concernoit, il

a De l'an 811, édit. de Baluze, tome I, p. 486, art. 7 ét 8; et celle de l'an 812, ibid. p. 490, art. 1. Ut omnis liber homo qui quatuor mansos vestitos de proprio suo, sive de alicujus beneficio, habet, ipse se praeparet, et ipse in hostem pergat, sive cum seniore suo, etc. Voyez aussi le capitulaire de l'an 807, édit de Baluze, tome I, p. 458.

b De l'an 793, insérée dans la loi des Lombards, liv. III, tit. IX, ch. IX.

C

En l'an 847, rapporté par Aubert le Mire et Baluze, tome II, p. 42, conventus apud Marsnam.

a Adnuntiatio.

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