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la religion qui l'a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie.

Il est donc utile que les lois exigent de ces diverses religions, non seulement qu'elles ne troublent pas l'état, mais aussi qu'elles ne se troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux lois en se contentant de ne pas agiter le corps de l'état; il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ce soit."

COMME

CHAPITRE X. `

Continuation du même sujet.

'OMME il n'y a guère que les religions intolérantes qui aient un grand zèle pour s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation; ce sera une très-bonne loi civile, lorsque l'état est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre a

Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quand on est maître de recevoir dans un état une nouvelle religion,

ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y établir; quand elle y est établie, il faut la tolérer.

CHA

a Je ne parle point dans tout ce chapitre de la religion chrétienne, parce que, comme je l'ai dit ailleurs, la religion chrétienne est le premier bien. Voyez la fin du chapitre premier du livre précédent, et la Défense de l'Esprit des lois, seconde partie.

CHAPITRE X I.

Du changement de religion.

Ux prince qui entreprend dans son état de dé

truire ou de changer la religion dominante, s'expose beaucoup. Si son gouvernement est despotique, il court plus de risque de voir une révolution, que par quelque tyrannie que ce soit, qui n'est jamais dans ces sortes d'états une chose nouvelle. La révolution vient de ce qu'un état ne change pas de religion, de moeurs et de manières, dans un instant, et aussi vîte que le prince publie l'ordonnance qui établit une religion nouvelle.

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De plus, la religion ancienne est liée avec la constitution de l'état, et la nouvelle n'y tient point celle-là s'accorde avec le climat, et souvent la nouvelle s'y refuse. Il y a plus: les citoyens se dégoûtent de leurs lois; ils prennent du mépris pour le gouvernement déjà établi; on substitue des soupçons contre les deux religions à une ferme croyance pour une; en un mot, on donne à l'état, au moins pour quelque temps, et de mauvais citoyens, et de mauvais fidèles,

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CHAPITRE XIL

Des lois pénales.

Il faut éviter les lois pénales en fait de reli

gion. Elles impriment de la crainte, il est vrai : mais, comme la religion a ses lois pénales aussi qui inspirent de la crainte, l'une est effacée par l'autre. Entre ces deux craintes différentes les ames deviennent atroces.

La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses, que, lorsqu'elles sont présentes à notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse faire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu'on ne nous laisse rien, quand on nous l'ôte, et qu'on ne nous ôte rien, lorsqu'on nous la laisse.

Ce n'est donc pas en remplissant l'ame de ce grand objet, en l'approchant du moment où il lui doit être d'une plus grande importance, que l'on parvient à l'en détacher: il est plus sûr d'attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l'espérance de la fortune; non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait que l'on oublie; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d'autres passions agissent sur nos ames, et que celles que la religion inspire sont dans le silence. Règle générale: en fait de changement de religion, les invitations sont plus fortes que les peines.

Le caractère de l'esprit humain a paru dans l'ordre même des peines qu'on a employées. Que l'on se rappelle les persécutions du Japon a; on se révolta plus contre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu'elles 'n'effarouchent, qui sont plus difficiles à surmonter, parce qu'elles paroissent moins difficiles.

En un mot, l'histoire nous apprend assez que les lois pénales n'ont jamais eu d'effet que comme destruction.

CHAPITRE XI I I.

Très-humble remontrance aux inquisiteurs d'Es pagne et de Portugal.

UNE Juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne

au dernier auto-da-fé, donna occasion à ce petit ouvrage; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Quand il s'agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.

L'auteur déclare que, quoiqu'il soit Juif, il respecte la religion chrétienne, et qu'il l'aime assez pour ôter aux princes qui ne sont pas chrétiens un prétexte plausible pour la persécuter.

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Vous vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que l'empereur du Japon fait brûler à

a Voyez le Recueil des Voyages qui ont servi à l'étallisse ment de la compagnie des Indes, tome V, part. I, p. 192.

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petit feu tous les chrétiens qui sont dans ses ,, états; mais il vous répondra: Nous vous trai,, tons, vous qui ne croyez pas comme nous comme vous traitez vous-mêmes ceux qui ne croient pas comme vous: vous ne pouvez vous plaindre que de votre foiblesse, qui vous empêche de nous exterminer, et qui fait que nous ,, vous exterminons.

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Mais il faut avouer que vous êtes bien plus cruels que cet empereur. Vous nous faites mou,, rir, nous qui ne croyons que ce que vous ,, croyez, parce que nous ne croyons pas tout ce ,, que vous croyez. Nous suivons une religion que "vous savez vous-mêmes avoir été autrefois chérie „, de Dieu : nous pensons qne Dieu l'aime en,, core, et vous pensez qu'il ne l'aime plus; et ,, parce que vous jugez ainsi, vous faites passer ,, par le fer et par le feu ceux qui sont dans cette ,, erreur si pardonnable, de croire que Dieu a aime encore ce qu'il a aimé.

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Si vous êtes cruels à notre égard, vous l'êtes bien plus à l'égard de nos enfants; vous les faites brûler, parce qu'ils suivent les inspira,, tions que leur ont données ceux que la loi na,,turelle et les lois de tous les peuples 'leur ap,, prennent à respecter comme des dieux.

a C'est la source de l'aveuglement des Juifs, de ne pas sentir que l'économie de l'évangile est dans l'ordre des desseins de Dieu; et qu'ainsi elle est une suite de son immutabilit même.

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