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Heureux si, votre cœur se laissant émouvoir,
Vos beaux yeux à leur tour avouoient leur pouvoir!
Voulez-vous donc toujours douter de leur victoire,
Toujours de mes exploits me reprocher la gloire?
Comme si les beaux nœuds où vous me tenez pris,
Ne devoient arrêter que de foibles esprits.

Par des faits tout nouveaux je m'en vais vous apprendre
Tout ce que peut l'amour sur le cœur d'Alexandre :
Maintenant que mon bras, engagé sous vos lois,

Doit soutenir mon nom et le vôtre à la fois,
J'irai rendre fameux, par l'éclat de la guerre,
Des peuples inconnus au reste de la terre,
Et vous faire dresser des autels en des lieux
Où leurs sauvages mains en refusent aux dieux.
CLÉOFILE.

Oui, vous y traînerez la victoire captive;

Mais je doute, seigneur, que l'amour vous y suive.
Tant d'états, tant de mers qui vont nous désunir,
M'effaceront bientôt de votre souvenir.

Quand l'océan troublé vous verra sur son onde
Achever quelque jour la conquête du monde ;
Quand vous verrez les rois tomber à vos genoux,
Et la terre en tremblant se taire devant vous;
Songerez-vous, seigneur, qu'une jeune princesse
Au fond de ses états vous regrette sans cesse,
Et rappelle en son cœur les moments bienheureux
Où ce grand conquérant l'assuroit de ses feux ?

ALEXANDRE.

Hé quoi! vous croyez donc qu'à moi-même barbare
J'abandonne en ces lieux une beauté si rare?

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Mais vous-même plutôt voulez-vous renoncer
Au trône de l'Asie où je vous veux placer?
CLÉOFILE.

Seigneur, vous le savez, je dépends de mon frère.

ALEXANDRE.

Ah! s'il disposoit seul du bonheur que j'espère,
Tout l'empire de l'Inde asservi sous ses lois
Bientôt en ma faveur iroit briguer son choix.
CLÉOFILE.

Mon amitié pour lui n'est point intéressée.
Apaisez seulement une reine offensée;

Et ne permettez pas qu'un rival aujourd'hui,
Pour vous avoir bravé, soit plus heureux que lui.

ALEXANDRE.

Porus étoit sans doute un rival magnanime:
Jamais tant de valeur n'attira mon estime.

Dans l'ardeur du combat je l'ai vu, je l'ai joint;
Et je puis dire encor qu'il ne m'évitoit point :
Nous nous cherchions l'un l'autre. Une fierté si belle
Alloit entre nous deux finir notre querelle,

Lorsqu'un gros de soldats, se jetant entre nous,
Nous a fait dans la foule ensevelir nos coups.

SCÈNE VII.

ALEXANDRE, CLEOFILE, ÉPHESTION.

ALEXANDRE.

Hé bien ! ramène-t-on ce prince téméraire ?

ÉPHESTION.

On le cherche par-tout; mais quoi qu'on puisse faire,

Racine. I.

I 2

Seigneur, jusques ici sa fuite ou son trépas
Dérobe ce captif aux soins de vos soldats.
Mais un reste des siens entourés dans leur fuite,
Et du soldat vainqueur arrêtant la poursuite,
A nous vendre leur mort semble se préparer.

ALEXANDRE.

Désarmez les vaincus sans les désespérer.
Madame, allons fléchir une fière princesse,
Afin qu'à mon amour Taxile s'intéresse ;
Et, puisque mon repos doit dépendre du sien,
Achevons son bonheur pour établir le mien.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

'ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE I.

AXIANE.

N'ENTENDRONS-NOUS jamais que des cris de victoire
Qui de mes ennemis me reprochent la gloire?
Et ne pourrai-je au moins, en de si grands malheurs,
M'entretenir moi seule avecque mes douleurs?
D'un odieux amant sans cesse poursuivie,

On prétend, malgré moi, m'attacher à la vie:

On m'observe; on me suit. Mais, Porus, ne crois pas
Qu'on me puisse empêcher de courir sur tes pas.
Sans doute à nos malheurs ton coeur n'a pu survivre:
En vain tant de soldats s'arment pour te poursuivre,
On te découvriroit au bruit de tes efforts;

Et s'il te faut chercher, ce n'est qu'entre les morts.
Hélas! en me quittant, ton ardeur redoublée
Sembloit prévoir les maux dont je suis accablée,
Lorsque tes yeux, aux miens découvrant ta langueur,
Me demandoient quel rang tu tenois dans mon cœur ;
Que, sans t'inquiéter du succès de tes armes, .
Le soin de ton amour te causoit tant d'alarmes,
Et pourquoi te cachois-je avec tant de détours
Un secret si fatal au repos de tes jours?

Combien de fois, tes yeux forçant ma résistance,
Mon cœur s'est-il vu près de rompre le silence!
Combien de fois, sensible à tes ardents désirs,
M'est-il en ta présence échappé des soupirs!
Mais je voulois encor douter de ta victoire;
J'expliquois mes soupirs en faveur de la gloire;
Je croyois n'aimer qu'elle. Ah! pardonne, grand roi,
Je sens bien aujourd'hui que je n'aimois que toi.
J'avoûrai que la gloire eut sur moi quelque empire ;
Je te l'ai dit cent fois : mais je devois te dire
Que toi seul, en effet, m'engageas sous ses lois.
J'appris à la connoître en voyant tes exploits;
Et de quelque beau feu qu'elle m'eût enflammée,
En un autre que toi je l'aurois moins aimée.
Mais que sert de pousser des soupirs superflus
Qui se perdent en l'air et que tu n'entends plus ?
Il est temps que mon ame, au tombeau descendue,
Te jure une amitié si long-temps attendue;
Il est temps que mon cœur, pour gage de sa foi,
Montre qu'il n'a pu vivre un moment après toi.
Aussi-bien, penses-tu que je voulusse vivre

Sous les lois d'un vainqueur à qui ta mort nous livre ?
Je sais qu'il se dispose à me venir parler,

Qu'en me rendant mon sceptre il veut me consoler.
Il croit peut-être, il croit que ma haine étouffée
A sa fausse douceur servira de trophée!
Qu'il vienne. Il me verra, toujours digne de toi,

Mourir en reine, ainsi que tu mourus en roi.

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