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Pensez-vous que, sensible à cette ardeur nouvelle,
Sa cendre exige encor que vous brûliez pour elle?
Ne vous accablez point d'inutiles douleurs;

Des soins plus importants vous appellent ailleurs.
Vos larmes ont assez honoré sa mémoire:
Régnez, et de ce rang soutenez mieux la gloire;
Et, redonnant le calme à vos sens désolés,
Rassurez vos états par sa chute ébranlés.

Parmi tant de grands rois choisissez-leur un maître.
Plus ardent que jamais, Taxile....

AXIANE.

Quoi! le traître!....

ALEXANDRE.

Hé! de grace, prenez des sentiments plus doux;
Aucune trahison ne le souille envers vous.
Maître de ses états, il a pu se résoudre

A se mettre avec eux à couvert de la foudre:
Ni serment ni devoir ne l'avoient engagé
A courir dans l'abîme où Porus s'est plongé.
Enfin, souvenez-vous qu'Alexandre lui-même
S'intéresse au bonheur d'un prince qui vous aime:
Songez que, réunis par un si juste choix,
L'Inde et l'Hydaspe entiers couleront sous vos lois;
Que pour vos intérêts tout me sera facile

Quand je les verrai joints avec ceux de Taxile.

Il vient. Je ne veux point contraindre ses soupirs;
Je le laisse lui-même expliquer ses désirs:

Ma présence à vos yeux n'est déjà que trop rude.
L'entretien des amants cherche la solitude:
Je ne vous trouble point.

SCÈNE III.

AXIANE, TAXILE,

AXIANE.

APPROCHE, puissant roi,

Grand monarque de l'Inde ; on parle ici de toi :
On veut en ta faveur combattre ma colère;
On dit que tes désirs n'aspirent qu'à me plaire,
Que mes rigueurs ne font qu'affermir ton amour :
On fait plus, et l'on veut que je t'aime à mon tour.
Mais sais-tu l'entreprise où s'engage ta flamme?
Sais-tu par quels secrets on peut toucher mon ame?
Es-tu prêt...

TAXILE.

Ah, madame! éprouvez seulement
Ce que peut sur mon coeur un espoir si charmant.
Que faut-il faire?

AXIANE.

Il faut, s'il est vrai que l'on m'aime,

Aimer la gloire autant que je l'aime moi-même,
Ne m'expliquer ses vœux que par mille beaux faits,
Et hair Alexandre autant que je le hais;

Il faut marcher sans crainte au milieu des alarmes ;
Il faut combattre, vaincre, ou périr sous les armes.
Jette, jette les yeux sur Porus et sur toi;
Et juge qui des deux étoit digne de moi.
Oui, Taxile, mon cœur, douteux en apparence,
D'un esclave et d'un roi faisoit la différence.

Je l'aimai; je l'adore : et puisqu'un sort jaloux
Lui défend de jouir d'un spectacle si doux,
C'est toi que je choisis pour témoin de sa gloire :
Mes pleurs feront toujours revivre sa mémoire ;
Toujours tu me verras, au fort de mon ennui,
Mettre tout mon plaisir à te parler de lui.

TAXILE.

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Ainsi je brûle en vain pour une ame glacée,
L'image de Porus n'en peut être effacée :
Quand j'irois, pour vous plaire, affronter le trépas,
Je me perdrois, madame, et ne vous plairois pas.
Je ne puis donc...

AXIANE.

Tu peux recouvrer mon estime; Dans le sang ennemi tu peux laver ton crime. L'occasion te rit: Porus dans le tombeau Rassemble ses soldats autour de son drapeau; Son ombre seule encor semble arrêter leur fuite : Les tiens même, les tiens, honteux de ta conduite, Font lire sur leurs fronts justement courroucés Le repentir du crime où tu les as forcés: Va seconder l'ardeur du feu qui les dévore; Venge nos libertés qui respirent encore; De mon trône et du tien deviens le défenseur; Cours, et donne à Porus un digne successeur... Tu ne me réponds rien! Je vois, sur ton visage, Qu'un si noble dessein étonne ton courage. Je te propose en vain l'exemple d'un héros ; Tu veux servir. Va, sers; et me laisse en repos.

TAXILE.

Madame, c'en est trop. Vous oubliez peut-être
Que, si vous m'y forcez, je puis parler en maître;
Que je puis me lasser de souffrir vos dédains;

Que vous et vos états, tout est entre mes mains; Qu'après tant de respects, qui vous rendent plus fière, Je pourrai...

AXIANE.

Je t'entends. Je suis ta prisonnière :
Tu veux peut-être encor captiver mes désirs;
Que mon cœur, en tremblant, réponde à tes soupirs.
Hé bien! dépouille enfin cette douceur contrainte ;
Appelle à ton secours la terreur et la crainte;
Parle en tyran tout prêt à me persécuter;

Ma haine ne peut croître, et tu peux tout tenter.
Sur-tout ne me fais point d'inutiles menaces.
Ta sœur vient t'inspirer ce qu'il faut que tu fasses:
Adieu. Si ses conseils et mes voeux en sont crus,
Tu m'aideras bientôt à rejoindre Porus.

Ah! plutôt...

TAXILE.

SCÈNE IV.

TAXILE, CLÉOFILE.

CLÉOFILE.

AH! quittez cette ingrate princesse,

Dont la haine a juré de nous troubler sans cesse
Qui met tout son plaisir à vous désespérer.

Oubliez...

Racine. I.

13

TAXILE.

Non, ma sœur, je la veux adorer.
Je l'aime : et quand les vœux que je pousse pour elle
N'en obtiendroient jamais qu'une haine immortelle,
Malgré tous ses mépris, malgré tous vos discours,
Malgré moi-même, il faut que je l'aime toujours.
Sa colère, après tout, n'a rien qui me surprenne;
C'est à vous, c'est à moi qu'il faut que je m'en prenne.
Sans vous, sans vos conseils, ma sœur, qui m'ont trali,
Si je n'étois aimé, je serois moins haï;

Je la verrois, sans vous, par mes soins défendue,
Entre Porus et moi demeurer suspendue :

Et ne seroit-ce pas un bonheur trop charmant
Que de l'avoir réduite à douter un moment?
Non, je ne puis plus vivre accablé de sa haine;
Il faut que je me jette aux pieds de l'inhumaine.
J'y cours je vais m'offrir à servir son courroux,

:

Même contre Alexandre, et même contre vous.

Je sais de quelle ardeur vous brûlez l'un pour l'autre :
Mais c'est trop oublier mon repos pour le vôtre;
Et, sans m'inquiéter du succès de vos feux,
Il faut que tout périsse, ou que je sois heureux.
CLÉOFILE.

Allez donc, retournez sur le champ de bataille;
Ne laissez point languir l'ardeur qui vous travaille.
A quoi s'arrête ici ce courage inconstant?

Courez on est aux mains; et Porus vous attend.

TAXILE.

Quoi! Porus n'est point mort? Porus vient de paroître?

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