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A MADAME.'

MADAME,

Ce n'est pas sans sujet que je mets votre illustre nom à la tête de cet ouvrage. Et de quel autre nom pourrois-je éblouir les yeux de mes lecteurs, que de celui dont mes spectateurs ont été si heureusement éblouis? On savoit que Votre Altesse Royale avoit daigné prendre soin de la conduite de ma tragédie; on savoit que vous m'aviez prêté quelques unes de vos lumières, pour y ajouter de nouveaux ornements; on savoit enfin que vous l'aviez honorée de quelques larmes dès la première lecture que je vous en fis. Pardonnez-moi, MADAME, si j'ose me vanter de cet heureux

C'étoit Henriette - Anne d'Angleterre, première femme de Monsieur, frère unique de Louis XIV, morte à Saint-Cloud, presque subitement, le 30 juin 1670.

commencement de sa destinée. Il me console bien glorieusement de la dureté de ceux qui ne voudroient pas s'en laisser toucher. Je leur permets de condamner l'Andromaque tant qu'ils voudront, pourvu qu'il me soit permis d'appeler de toutes les subtilités de leur esprit au cœur de Votre Altesse Royale.

Mais, MADAME, ce n'est pas seulement du cœur que vous jugez de la bonté d'un ouvrage, c'est avec une intelligence qu'aucune fausse lueur ne sauroit tromper. Pouvons-nous mettre, sur la scène une histoire que vous ne possédicz aussi bien que nous? Pouvons-nous faire jouer une intrigue dont vous ne pénétriez tous les ressorts? Et pouvons-nous concevoir des sentiments si nobles et si délicats qui ne soient infiniment au-dessous de la noblesse et de la délicatesse de vos pensées?

On sait, MADAME, et Votre Altesse Royale a beau s'en cacher, que dans ce haut degré de gloire, où la nature et la fortune ont pris plaisir de vous élever, vous ne dédaignez pas cette gloire obscure que les

réservée. Et il semble

gens de lettres s'étoient que vous ayez voulu avoir

autant d'avantage sur notre sexe, par les connoissances et par la solidité de votre esprit, que vous excellez dans le vôtre par toutes les graces qui vous environnent. La cour vous regarde comme l'arbitre de tout ce qui se fait d'agréable. Et nous, qui travaillons pour plaire au public, nous n'avons plus que faire de demander aux savants si nous travaillons selon les règles; la règle souveraine est de plaire à Votre Altesse Royale.

Voilà, sans doute, la moindre de vos excellentes qualités. Mais, MADAME, c'est la seule dont j'ai pu parler avec quelque connoissance; les autres sont trop élevées au-dessus de moi. Je n'en puis parler sans les rabaisser par la foiblesse de mes pensées, et sans sortir de la profonde vénération avec laquelle je suis,

MADAME,

De Votre Altesse Royale,

Le très humble, très obéissant,

et très fidèle serviteur,

RACINE.

PREMIÈRE PRÉFACE.

Mes personnages sont si fameux dans l'antiquité,

ES

que, pour peu qu'on la connoisse, on verra fort bien que je les ai rendus tels que les anciens poëtes nous les ont donnés; aussi n'ai-je pas pensé qu'il me fût permis de rien changer à leurs mœurs. Toute la liberté que j'ai prise, c'a été d'adoucir un peu la férocité de Pyrrhus, que Sénèque, dans la Troade, et Virgite, dans le second livre de l'Énéide, ont poussée beaucoup plus loin que je n'ai cru le devoir faire; encore s'est-il trouvé des gens qui se sont plaints qu'il s'emportât contre Andromaque, et qu'il voulût épouser une captive à quelque prix que ce fût ; et j'avoue qu'il n'est pas assez résigné à la volonté de sa maîtresse, et que Céladon a mieux connu que lui le parfait amour. Mais que faire? Pyrrhus n'avoit pas lu nos romans; il étoit violent de son naturel; et tous les héros ne

sont pas faits pour être des Céladons.

Quoi qu'il en soit, le public m'a été trop favorable pour m'embarrasser du chagrin particulier de deux ou trois personnes qui voudroient qu'on réformât tous les héros de l'antiquité pour en

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