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PERSONNAGES.

ANDROMAQUE, veuve d'Hector, captive de

Pyrrhus.

PYRRHUS, fils d'Achille, roi d'Epire.

ORESTE, fils d'Agamemnon, amant d'Hermione. HERMIONE, fille d'Hélène, accordée avec Pyrrhus.

PYLADE, ami d'Oreste.

CLÉONE, confidente d'Hermione.

CEPHISE, confidente d'Andromaque,

PHOENIX, gouverneur d'Achille, et ensuite de Pyrrhus.

SUITE D'ORESTE.

La scène est à Buthrote, ville d'Épire, dans une salle du palais de Pyrrhus.

TRAGÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

ORESTE, PYLADE.

ORESTE.

Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle;
Et déjà son courroux semble s'être adouci
Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici.
Qui l'eût dit, qu'un rivage à mes yeux si funeste
Présenteroit d'abord Pylade aux yeux d'Oreste
Qu'après plus de six mois que je t'avois perdu,
A la cour de Pyrrhus tu me serois rendu ?

PYLADE.

J'en rends graces au ciel, qui m'arrêtant sans cesse Sembloit m'avoir fermé le chemin de la Grèce,

Depuis le jour fatal que la fureur des eaux, Presque aux yeux de l'Épire, écarta nos vaisseaux. Combien dans cet exil ai-je souffert d'alarmes, Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes,

Craignant toujours pour vous quelque nouveau danger
Que ma triste amitié ne pouvoit partager!
Sur-tout je redoutois cette mélancolie

Où j'ai vu si long-temps votre ame ensevelie :
Je craignois que le ciel, par un cruel secours,
Ne vous offrît la mort que vous cherchiez toujours.
Mais je vous vois, seigneur; et, si j'ose le dire,
Un destin plus heureux vous conduit en Épire:
Le pompeux appareil qui suit ici vos pas

N'est point d'un malheureux qui cherche le trépas.

ORESTE.

Hélas! qui peut savoir le destin qui m'amène ?
L'amour me fait ici chercher une inhumaine :
Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort,
Et si je viens chercher ou la vie ou la mort ?

PYLADE.

Quoi! votre ame à l'amour en esclave asservie
Se repose sur lui du soin de votre vie?

Par quel charme, oubliant tant de tourments soufferts,
Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers ?
Pensez-vous qu'Hermione, à Sparte inexorable,
Vous prépare en Épire un sort plus favorable?
Honteux d'avoir poussé tant de vœux superflus,
Vous l'abhorriez : enfin, vous ne m'en parliez plus.
Vous me trompiez, seigneur.

ORESTE.

Je me trompois moi-même!

Ami, n'accable point un malheureux qui t'aime :

T'ai-je jamais caché mon cœur et mes désirs?

Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs :
Enfin, quand Ménélas disposa de sa fille

En faveur de Pyrrhus vengeur de sa famille,

Tu vis mon désespoir; et tu m'as vu depuis
Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis.
Je te vis à regret, en cet état funeste,
Prêt à suivre par-tout le déplorable Oreste,
Toujours de ma fureur interrompre le cours,
Et de moi-même enfin me sauver tous les jours.
Mais quand je me souvins que, parmi tant d'alarmes,
Hermione à Pyrrhus prodiguoit tous ses charmes,
Tu sais de quel courroux mon cœur alors épris
Voulut en l'oubliant punir tous ses mépris.
Je fis croire et je crus ma victoire certaine ;

Je pris tous mes transports pour des transports de haine:
Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits,

Je défiois ses yeux de me troubler jamais.
Voilà comme je crus étouffer ma tendresse.
En ce calme trompeur j'arrivai dans la Grèce ;
Et je trouvai d'abord ses princes rassemblés,
Qu'un péril assez grand sembloit avoir troublés.
J'y courus. Je pensai que la guerre et la gloire
De soins plus importants rempliroient ma mémoire;
Que, mes sens reprenant leur première vigueur,
L'amour achèveroit de sortir de mon cœur.
Mais admire avec moi le sort, dont la poursuite
Me fait courir alors au piège que j'évite.
J'entends de tous côtés qu'on menace Pyrrhus :
Toute la Grèce éclate en murmures confus:

On se plaint qu'oubliant son sang et sa promesse,
Il élève en sa cour l'ennemi de la Grèce,
Astyanax, d'Hector jeune et malheureux fils,
Reste de tant de rois sous Troie ensevelis..
J'apprends que pour ravir son enfance au supplice
Andromaque trompa l'ingénieux Ulysse,
Tandis qu'un autre enfant arraché de ses bras
Sous le nom de son fils fut conduit au trépas.
On dit que, peu sensible aux charmes d'Hermione,
Mon rival porte ailleurs son cœur et sa couronne.
Ménélas, sans le croire, en paroît affligé,
Et se plaint d'un hymen si long-temps négligé.
Parmi les déplaisirs où son ame se noie,
Il s'élève en la mienne une secrète joie :
Je triomphe; et pourtant je me flatte d'abord
Que la seule vengeance excite ce transport.
Mais l'ingrate en mon cœur reprit bientôt sa place:
De mes feux mal éteints je reconnus la trace:
Je sentis que ma haine alloit finir son cours;
Ou plutôt je sentis que je l'aimois toujours.
Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage,
On m'envoie à Pyrrhus: j'entreprends ce voyage.
Je viens voir si l'on peut arracher de ses bras
Cet enfant dont la vie alarme tant d'états.

Heureux si je pouvois, dans l'ardeur qui me presse,
Au lieu d'Astyanax, lui ravir ma princesse !
Car enfin n'attends pas que mes feux redoublés
Des périls les plus grands puissent être troublés.
Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine,
Je me livre en aveugle au transport qui m'entraîne.

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