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J'aime; je viens chercher Hermione en ces lieux,
La fléchir, l'enlever, ou mourir à ses yeux.

Toi qui connois Pyrrhus, que penses-tu qu'il fasse ?
Dans sa cour, dans son coeur, dis-moi ce qui se passe.
Mon Hermione encor le tient-elle asservi?

Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu'il m'a ravi?

PYLADE.

Je vous abuserois si j'osois vous promettre
Qu'entre vos mains, seigneur, il voulût la remettre :
Non que de sa conquête il paroisse flatté
Pour la veuve d'Hector ses feux ont éclaté;
Il l'aime : mais enfin cette veuve inhumaine
N'a payé jusqu'ici son amour que de haine;
Et chaque jour encore on lui voit tout tenter
Pour fléchir sa captive, ou pour l'épouvanter.
De son fils qu'il lui cache il menace la tête,
Et fait couler des pleurs qu'aussitôt il arrête.
Hermione elle-même a vu plus de cent fois
Cet amant irrité revenir sous ses lois,

Et, de ses vœux troublés lui rapportant l'hommage,
Soupirer à ses pieds moins d'amour que de rage.
Ainsi n'attendez pas que l'on puisse aujourd'hui
Vous répondre d'un cœur si peu maître de lui :
peut, seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu'il hait, et perdre ce qu'il aime.

ORESTE.

Mais dis-moi de quel œil Hermione peut voir
Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir.

PYLADE.

Hermione, seigneur, au moins en apparence,
Semble de son amant dédaigner l'inconstance,
Et croit que, trop heureux de fléchir sa rigueur,
Il la viendra presser de reprendre son cœur.
Mais je l'ai vue enfin me confier ses larmes :
Elle pleure en secret le mépris de ses charmes ;
Toujours prête à partir, et demeurant toujours,
Quelquefois elle appelle Oreste à son secours.

ORESTE.

Ah! si je le croyois, j'irois bientôt, Pylade,
Me jeter...

PYLADE.

Achevez, seigneur, votre ambassade. Vous attendez le roi. Parlez, et lui montrez Contre le fils d'Hector tous les Grecs conjurés. Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse, Leur haine ne fera qu'irriter sa tendresse : Plus on les veut brouiller, plus on va les unir. Pressez: demandez tout, pour ne rien obtenir. Il vient.

ORESTE.

Hé bien, va donc disposer la cruelle A revoir un amant qui ne vient que pour elle.

SCÈNE II.

PYRRHUS, ORESTE, PHOENIX.

ORESTE.

AVANT que tous les Grecs vous parlent par ma voix,
Souffrez que j'ose ici me flatter de leur choix,

Et qu'à vos yeux, seigneur, je montre quelque joie
De voir le fils d'Achille et le vainqueur de Troie.
Oui, comme ses exploits nous admirons vos coups;
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous;
Et vous avez montré, par une heureuse audace,
Que le fils seul d'Achille a pu remplir sa place.
Mais, ce qu'il n'eût point fait, la Grèce avec douleur
Vous voit du sang troyen relever le malheur,
Et, vous laissant toucher d'une pitié funeste,

D'une guerre si longue entretenir le reste.

Ne vous souvient-il plus, seigneur, quel fut Hector?
Nos peuples affoiblis s'en souviennent encor :
Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles;
Et dans toute la Grèce il n'est point de familles
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils
D'un père ou d'un époux qu'Hector leur a ravis.
Et qui sait ce qu'un jour ce fils peut entreprendre?
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre,
Tel qu'on a vu son père embraser nos vaisseaux,
Et, la flamme à la main, les suivre sur les eaux.
Oserai-je, seigneur, dire ce que je pense?
Vous-même de vos soins craignez la récompense,

Et que dans votre sein ce serpent élevé
Ne vous punisse un jour de l'avoir conservé.
Enfin, de tous les Grecs satisfaites l'envie,
Assurez leur vengeance, assurez votre vie :
Perdez un ennemi d'autant plus dangereux
Qu'il s'essaiera sur vous à combattre contre eux.

PYRRHUS.

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée :
De soins plus importants je l'ai crue agitée,
Seigneur; et, sur le nom de son ambassadeur,
J'avois dans ses projets conçu plus de grandeur.
Qui croiroit en effet qu'une telle entreprise
Du fils d'Agamemnon méritât l'entremise;
Qu'un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
N'eût daigné conspirer que la mort d'un enfant ?
Mais à qui prétend-on que je le sacrifie ?
La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie?
Et seul de tous les Grecs ne m'est-il pas permis
D'ordonner des captifs que le sort m'a soumis?
Oui, seigneur, lorsqu'au pied des murs fumants de Troie
Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie,
Le sort, dont les arrêts furent alors suivis,
Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils.
Hécube près d'Ulysse acheva sa misère ;
Cassandre dans Argos a suivi votre père :

Sur eux, sur leurs captifs, ai-je étendu mes droits?
Ai-je enfin disposé du fruit de leurs exploits?
On craint qu'avec Hector Troie un jour ne renaisse !
Son fils peut me ravir le jour que je lui laisse!

Seigneur, tant de prudence entraîne trop de soin;
Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin.

Je songe quelle étoit autrefois cette ville

Si superbe en remparts, en héros si fertile,
Maîtresse de l'Asie ; et je regarde enfin

Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin:
Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes,
Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes,
Un enfant dans les fers; et je ne puis songer
Que Troie en cet état aspire à se venger.
Ah! si du fils d'Hector la perte étoit jurée,
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée ?
Dans le sein de Priam n'a-t-on pu̟ l'immoler?
Sous tant de morts, sous Troie, il falloit l'accabler.
Tout étoit juste alors : la vieillesse et l'enfance
En vain sur leur foiblesse appuyoient leur défense;
La victoire et la nuit, plus cruelles que nous,
Nous excitoient au meurtre et confondoient nos coups.
Mon courroux aux vaincus ne fut que trop sévère.
Mais que ma cruauté survive à ma colère?
Que, malgré la pitié dont je me sens saisir,

Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir?

Non, seigneur. Que les Grecs cherchent quelque autre proie; Qu'ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie :

De mes inimitiés le cours est achevé;

L'ipire sauvera ce que Troie a sauvél

ORESTE,

Seigneur, vous savez trop avec quel artifice
Un faux Astyanax fut offert au supplice

Racine. I.

IG

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