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Nous étions ennemis dès la plus tendre enfance;

Que dis-je ? nous l'étions avant notre naissance :
Triste et fatal effet d'un sang incestueux !

Pendant qu'un même sein nous renfermoit tous deux,
Dans les flancs de ma mère une guerre intestine
De nos divisions lui marqua l'origine.

Elles ont, tu le sais, paru dans le berceau,
Et nous suivront peut-être encor dans le tombeau
On diroit que le ciel, par un arrêt funeste,
Voulut de nos parents punir ainsi l'inceste ;
Et que dans notre sang il voulut mettre au jour
Tout ce qu'ont de plus noir et la haine et l'amour.
Et maintenant, Créon, que j'attends sa venue,
Ne crois pas que pour lui ma haine diminue:
Plus il approche, et plus il me semble odieux ;
Et sans doute il faudra qu'elle éclate à ses yeux.
J'aurois même regret qu'il me quittât l'empire:
Il faut, il faut qu'il fuie, et non qu'il se retire.
Je ne veux point, Créon, le hair à moitié,
Et je crains son courroux moins que son amitié.
Je veux, pour donner cours à mon ardente haine,
Que sa fureur au moins autorise la mienne;
Et puisqu'enfin mon cœur ne sauroit se trahir,
Je veux qu'il me déteste, afin de le hair.
Tu verras que sa rage est encore la même,
Et que toujours son cœur aspire au diadème;
Qu'il m'abhorre toujours, et veut toujours régner;
Et qu'on peut bien le vaincre, et non pas le gagner.

CREON.

Domtez-le donc, seigneur, s'il demeure inflexible;

Quelque fier qu'il puisse être, il n'est pas

invincible:
Et puisque la raison ne peut rien sur son cœur,
Éprouvez ce que peut un bras toujours vainqueur.
Oui, quoique dans la paix je trouvasse des charmes,
Je serai le premier à reprendre les armes ;
Ft si je demandois qu'on en rompît le cours,
Je demande encor plus que vous régniez toujours.
Que la guerre s'enflamme et jamais ne finisse,
S'il faut, avec la paix, recevoir Polynice.
Qu'on ne nous vienne plus vanter un bien si doux ;
La guerre et ses horreurs nous plaisent avec vous,
Tout le peuple thébain vous parle par ma bouche;
Ne le soumettez pas à ce prince farouche :

Si la paix se peut faire, il la veut comme moi;
Sur-tout, si vous l'aimez, conservez-lui son roi.
Cependant écoutez le prince votre frère,
Et, s'il se peut, seigneur, cachez votre colère ;
Feignez.... Mais quelqu'un vient.

SCÈNE II.

ÉTÉOCLE, CREON, ATTA LE.

Vont-ils venir, Attale?

ÉTÉOCLE.

SONT-ILS bien près d'ici ?

ATTALE.

Oui, seigneur, les voici.

Ils ont trouvé d'abord la princesse et la reine;

Et bientôt ils seront dans la chambre prochaine.
ÉTÉOCLE.

Qu'ils entrent. Cette approche excite mon courroux.
Qu'on hait un ennemi quand il est près de nous !
CRÉON.

Ah! le voici. (à part.) Fortune, achève mon ouvrage,
Et livre-les tous deux aux transports de leur rage!

SCENE III.

JOCASTE, ÉTÉOCLE, POLYNICE, ANTIGONE, HÉMON, CRÉON.

JOCASTE.

ME voici donc tantôt au comble de mes vœux,
Puisque déjà le ciel vous rassemble tous deux.
Vous revoyez un frère, après deux ans d'absence,
Dans ce même palais où vous prîtes naissance :
Et moi, par un bonheur où je n'osois penser,
L'un et l'autre à la fois je vous puis embrasser.
Commencez donc, mes fils, cette union si chère;
Et que chacun de vous reconnoisse son frère :
Tous deux dans votre frère envisagez vos traits;
Mais, pour en mieux juger, voyez-les de plus près.
Sur-tout que le sang parle et fasse son office.
Approchez, Étéocle; avancez, Polynice....

Hé quoi ! loin d'approcher, vous reculez tous deux !
D'où vient ce sombre accueil et ces regards fâcheux?
N'est-ce point que chacun, d'une ame irrésolue,
Pour saluer son frère attend qu'il le salue;

Et qu'affectant l'honneur de céder le dernier,
L'un ni l'autre ne veut s'embrasser le premier?
Étrange ambition qui n'aspire qu'au crime,
Où le plus furieux passe pour magnanime!
Le vainqueur doit rougir en ce combat honteux;
Et les premiers vaincus sont les plus généreux.
Voyons donc qui des deux aura plus de courage,
Qui voudra le premier triompher de sa rage......
Quoi! vous n'en faites rien ! C'est à vous d'avancer,
Et, venant de si loin, vous devez commencer ;
Commencez, Polynice, embrassez votre frère;

Et montrez....

ÉTÉOCLE:

Hé, madame! à quoi bon ce mystère ?

Tous ces embrassements ne sont guère à propos : Qu'il parle, qu'il s'explique, et nous laisse en repos.

POLYNICE.

Quoi! faut-il davantage expliquer mes pensées ?
On les peut découvrir par les choses passées :
La guerre, les combats, tant de sang répandu,
Tout cela dit assez que le trône m'est dû.

ÉTÉOCLE.

Et ces mêmes combats, et cette même guerre,
Ce sang qui tant de fois a fait rougir la terre,
Tout cela dit assez que le trône est à moi;
Et, tant que je respire, il ne peut être à toi.

POLYNICE.

Tu sais qu'injustement tu remplis cette place.

ÉTÉOCLE.

L'injustice me plaît pourvu que je t'en chasse.

POLYNICE.

Si tu n'en veux sortir, tu pourras en tomber.
ÉTÉOCLE.

Si je tombe, avec moi tu pourras succomber.

JOCASTE.

Oh dieux! que je me vois cruellement déçue!
N'avois-je tant pressé cette fatale vue,

Que pour les désunir encor plus que jamais ?
Ah, mes fils, est-ce là comme on parle de paix ?
Quittez, au nom des dieux, ces tragiques pensées ;
Ne renouvelez point vos discordes passées :
Vous n'êtes pas ici dans un champ inhumain.
Est-ce moi qui vous mets les armes à la main?
Considérez ces lieux où vous prîtes naissance;
Leur aspect sur vos cœurs n'a-t-il point de puissance?
C'est ici que tous deux vous reçûtes le jour;

Tout ne vous parle ici que de paix et d'amour :

Ces princes, votre sœur, tout condamne vos haines; Enfin moi, qui pour vous pris toujours tant de peines, Qui, pour vous réunir, immolerois.... Hélas!

Ils détournent la tête, et ne m'écoutent pas !

Tous deux pour s'attendrir ils ont l'ame trop dure;
Ils ne connoissent plus la voix de la nature!

(à Polynice.)

Et vous, que je croyois plus doux et plus soumis....

POLYNICE.

Je ne veux rien de lui que ce qu'il m'a promis....
Il ne sauroit régner sans se rendre parjure.

JOCASTE.

Une extrême justice est souvent une injure.

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