Je saurai t'épargner une chute si vaine.
Ah! ta chute, crois-moi, précèdera la mienne.
Et j'ai pour moi les dieux. ÉTÉOCLE.
Les dieux de ce haut rang te vouloient interdire, Puisqu'ils m'ont élevé le premier à l'empire :
Ils ne savoient que trop, lorsqu'ils firent ce choix, Qu'on veut régner toujours quand on règne une fois. Jamais dessus le trône on ne vit plus d'un maître; Il n'en peut tenir deux, quelque grand qu'il puisse être ; L'un des deux, tôt ou tard, se verroit renversé ; Et d'un autre soi-même on y seroit pressé. Jugez donc, par l'horreur que ce méchant me donne, Si je puis avec lui partager ma couronne.
Et moi je ne veux plus, tant tu m'es odieux ! Partager avec toi la lumière des cieux.
Allez donc, j'y consens, allez perdre la vie ; A ce cruel combat tous deux je vous convie;
Puisque tous mes efforts ne sauroient vous changer, Que tardez-vous? allez vous perdre et me venger. Surpassez, s'il se peut, les crimes de vos pères : Montrez, en vous tuant, comme vous êtes frères; Le plus grand des forfaits vous a donné le jour, Il faut qu'un crime égal vous l'arrache à son tour. Je ne condamne plus la fureur qui vous presse; Je n'ai plus pour mon sang ni pitié ni tendresse : Votre exemple m'apprend à ne le plus chérir; Et moi je vais, cruels, vous apprendre à mourir.
ANTIGONE, ÉTEOCLE, POLYNICE, HÉMON, CRÉON.
MADAME... Oh, ciel ! que vois-je ! Hélas! rien ne les touche!
Mes frères, arrêtez! Gardes, qu'on les retienne; Joignez, unissez tous vos douleurs à la mienne. C'est leur être cruels que de les respecter. HÉMON.
Madame, il n'est plus rien qui les puisse arrêter.
Ah! généreux Hémon, c'est vous seul que j'implore: Si la vertu vous plaît, si vous m'aimez encore, Et qu'on puisse arrêter leurs parricides mains, Hélas! pour me sauver, sauvez ces inhumains.
A QUOI te résous-tu, princesse infortunée ?
Ta mère vient de mourir dans tes bras; Ne saurois-tu suivre ses pas,
Et finir, en mourant, ta triste destinée ? A de nouveaux malheurs te veux-tu réserver? Tes frères sont aux mains, rien ne les peut sauver De leurs cruelles armes.
Leur exemple t'anime à te percer le flanc; Et toi seule verses des larmes,
Tous les autres versent du sang.
Quelle est de mes malheurs l'extrémité mortelle ! Où ma douleur doit-elle recourir ?
Dois-je vivre ? dois-je mourir?
Un amant me retient, une mère m'appelle; Dans la nuit du tombeau je la vois qui m'attend : Ce que veut la raison, l'amour me le défend, Et m'en ôte l'envie.
Que je vois de sujets d'abandonner le jour ! Mais, hélas ! qu'on tient à la vie, Quand on tient si fort à l'amour!
Oui, tu retiens, amour, mon ame fugitive; Je reconnois la voix de mon vainqueur :
L'espérance est morte en mon cœur, Et cependant tu vis, et tu veux que je vive; Tu dis que mon amant me suivroit au tombeau, Que je dois de mes jours conserver le flambeau Pour sauver ce que j'aime.
Hémon, vois le pouvoir que l'amour a sur moi: Je ne vivrois pas pour moi-même,
Et je veux bien vivre pour toi.
Si jamais tu doutas de ma flamme fidèle.... Mais voici du combat la funeste nouvelle.
Hé bien, ma chère Olympe, as-tu vu ce forfait ?
J'y suis courue en vain, c'en étoit déjà fait. Du haut de nos remparts j'ai vu descendre en larmes Le peuple qui couroit et qui crioit aux armes;
Et pour vous dire enfin d'où venoit sa terreur, Le roi n'est plus, madame, et son frère est vainqueur. On parle aussi d'Hémon; l'on dit que son courage S'est efforcé long-temps de suspendre leur rage, Mais que tous ses efforts ont été superflus. C'est ce que j'ai compris de mille bruits confus.
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