Images de page
PDF
ePub

ANTIGONE.

Ah! je n'en doute pas, Hémon est magnanime;

Son grand cœur eut toujours trop d'horreur pour le crime : Je l'avois conjuré d'empêcher ce forfait;

Et s'il l'avoit pu faire, Olympe, il l'auroit fait.

Mais, hélas ! leur fureur ne pouvoit se contraindre ;
Dans des ruisseaux de sang elle vouloit s'éteindre.
Princes dénaturés, vous voilà satisfaits;

La mort seule entre vous pouvoit mettre la paix.
Le trône pour vous deux avoit trop peu
de place;
Il falloit entre vous mettre un plus grand espace,
Et que le ciel vous mît, pour finir vos discords,
L'un parmi les vivants, l'autre parmi les morts.
Infortunés tous deux, dignes qu'on vous déplore!
Moins malheureux pourtant que je ne suis encore,
Puisque de tous les maux qui sont tombés sur vous
Vous n'en sentez aucun, et que je les sens tous!

OLYMPE.

Mais pour vous ce malheur est un moindre supplice
Que si la mort vous eût enlevé Polynice;

Ce prince étoit l'objet qui faisoit tous vos soins:
Les intérêts du roi vous touchoient beaucoup moins.

ANTIGONE.

Il est vrai, je l'aimois d'une amitié sincère ;

Je l'aimois beaucoup plus que je n'aimois son frère :
Et ce qui lui donnoit tant de part dans mes vœux,
Il étoit vertueux, Olympe, et malheureux.
Mais, hélas ! ce n'est plus ce cœur si magnanime,
Et c'est un criminel qu'a couronné son crime :

[ocr errors]

Son frère plus que lui commence à me toucher;
Devenant malheureux, il m'est devenu cher.

OLYMPE.

Créon vient.

ANTIGONE.

Il est triste, et j'en connois la cause :

Au courroux du vainqueur la mort du roi l'expose.
C'est de tous nos malheurs l'auteur pernicieux.

SCÈNE III.

ANTIGONE, CREON, OLYMPE, ATTALE,

GARDES.

CRÉON.

MADAME, qu'ai-je appris en entrant dans ces lieux ?

Est-il vrai que la reine....

ANTIGONE.

Oui, Créon, elle est morte.

CRÉON.

O dieux! puis-je savoir de quelle étrange sorte
Ses jours infortunés ont éteint leur flambeau ?

OLYMPE.

Elle-même, seigneur, s'est ouvert le tombeau;
Et s'étant d'un poignard en un moment saisie,
Elle en a terminé ses malheurs et sa vie.

ANTIGONE.

Flle a su prévenir la perte de son fils.

CRÉON.

Ah, madame! il est vrai que les dieux ennemis....

ANTIGONE.

N'imputez qu'à vous seul la mort du roi mon frère,

Et n'en accusez point la céleste colère.

A ce combat fatal vous seul l'avez conduit :

Il a cru vos conseils; sa mort en est le fruit.
Ainsi de leurs flatteurs les rois sont les victimes;
Vous avancez leur perte en approuvant leurs crimes :
De la chute des rois vous êtes les auteurs;

Mais les rois, en tombant, entraînent leurs flatteurs.
Vous le voyez, Créon; sa disgrace mortelle
Vous est funeste autant qu'elle nous est cruelle :
Le ciel, en le perdant, s'en est vengé sur vous;
Et vous avez peut-être à pleurer comme nous.
CRÉON.

Madame, je l'avoue; et les destins contraires

Me font pleurer deux fils, si vous pleurez deux frères.

ANTIGONE.

Mes frères et vos fils! dieux ! que veut ce discours? Quelque autre qu'Etéocle a-t-il fini ses jours?

CRÉON.

Mais ne savez-vous pas cette sanglante histoire?

ANTIGONE.

J'ai su que Polynice a gagné la victoire,
Et qu'Hémon a voulu les séparer en vain.

CRÉON.

Madame, ce combat est bien plus inhumain.
Vous ignorez encor mes pertes et les vôtres;
Mais, hélas! apprenez les unes et les autres.

ANTIGONE.

1

Rigoureuse fortune, achève ton courroux!

Ah! sans doute, voici le dernier de tes coups!
CRÉON.

Vous avez vu, madame, avec quelle furie
Les deux princes sortoient pour s'arracher la vie ;
Que d'une ardeur égale ils fuyoient de ces lieux,
Et que jamais leurs cœurs ne s'accordèrent mieux.
La soif de se baigner dans le sang de leur frère
Faisoit ce que jamais le sang n'avoit su faire :
Par l'excès de leur haine ils sembloient réunis,
Et, prêts à s'égorger, ils paroissoient amis.

Ils ont choisi d'abord, pour leur champ de bataille,
Un lieu près des deux camps, au pied de la muraille.
C'est là que, reprenant leur première fureur,

[ocr errors]

Ils commencent enfin ce combat plein d'horreur.
D'un geste menaçant, d'un œil brûlant de rage,
Dans le sein l'un de l'autre ils cherchent un passage;
Et, la seule fureur précipitant leurs bras,
Tous deux semblent courir au-devant du trépas.
Mon fils, qui de douleur en soupiroit dans l'ame,
Et qui se souvenoit de vos ordres, madame,
Se jette au milieu d'eux, et méprise pour vous
Leurs ordres absolus qui nous arrêtoient tous.
Il leur retient le bras, les repousse, les prie,
Et pour les séparer s'expose à leur furie :
Mais il s'efforce en vain d'en arrêter le cours;
Et ces deux furieux se rapprochent toujours.
Il tient ferme pourtant, et ne perd point courage;
De mille coups mortels il détourne l'orage,

Jusqu'à ce que du roi le fer trop rigoureux,

Soit qu'il cherchât son frère, ou ce fils malheureux, Le renverse à ses pieds prêt à rendre la vie.

ANTIGONE.

Et la douleur encor ne me l'a pas ravie !

CRÉON.

J'y cours, je le relève, et le prends dans mes bras; Et me reconnoissant : « Je meurs, dit-il tout bas, << Trop heureux d'expirer pour ma belle princesse. << En vain à mon secours votre amitié s'empresse; « C'est à ces furieux que vous devez courir : « Séparez-les, mon père, et me laissez mourir. » Il expire à ces mots. Ce barbare spectacle A leur noire fureur n'apporte point d'obstacle; Seulement Polynice en paroît affligé :

« Attends, Hémon, dit-il, tu vas être vengé.»
En effet sa douleur renouvelle sa rage,

Et bientôt le combat tourne à son avantage.
Le roi, frappé d'un coup qui lui perce le flanc,
Lui cède la victoire, et tombe dans son sang.
Les deux camps aussitôt s'abandonnent en proie,
Le nôtre à la douleur, et les Grecs à la joie ;
Et le peuple, alarmé du trépas de son roi,
Sur le haut de ses tours témoigne son effroi.
Polynice, tout fier du succès de son crime,
Regarde avec plaisir expirer sa victime;
Dans le sang de son frère il semble se baigner:
«Et tu meurs, lui dit-il, et moi je vais régner.
« Regarde dans mes mains l'empire et la victoire :
Va rougir aux enfers de l'excès de ma gloire;

« PrécédentContinuer »