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« Et pour mourir encore avec plus de regret,

<< Traître, songe en mourant que tu meurs mon sujet. : En achevant ces mots, d'une démarche fière

Il s'approche du roi couché sur la poussière,

Et pour le désarmer il avance le bras:
Le roi, qui semble mort, observe tous ses pas ;
Il le voit, il l'attend, et son ame irritée

Pour quelque grand dessein semble s'être arrêtée.
L'ardeur de se venger flatte encor ses désirs,
Et retarde le cours de ses derniers soupirs.
Prêt à rendre la vie, il en cache le reste,
Et sa mort au vainqueur est un piège funeste :
Et dans l'instant fatal que ce frère inhumain
Lui veut ôter le fer qu'il tenoit à la main,
Il lui perce le cœur; et son ame ravie,
En achevant ce coup, abandonne la vie.
Polynice frappé pousse un cri dans les airs,
Et son ame en courroux s'enfuit dans les enfers.
Tout mort qu'il est, madame, il garde sa colère;
Et l'on diroit qu'encore il menace son frère :
Son visage, où la mort a répandu ses traits,
Demeure plus terrible et plus fier que jamais.

ANTIGONE.

Fatale ambition, aveuglement funeste !
D'un oracle cruel suite trop manifeste!

De tout le sang royal il ne reste que nous;
Et plût aux dieux, Créon, qu'il ne restât que vous,
Et que mon désespoir, prévenant leur colère,
Eût suivi de plus près le trépas de ma mère!

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CRÉON.

Il est vrai que des dieux le courroux embrasé
Pour nous faire périr semble s'être épuisé;
Car enfin sa rigueur, vous le voyez, madame,

Ne m'accable pas moins qu'elle afflige votre ame.
En m'arrachant mes fils....

ANTIGONE.

Ah! vous régnez, Créon;

Et le trône aisément vous console d'Hémon.
Mais laissez-moi, de grace, un peu de solitude,
Et ne contraignez point ma triste inquiétude :
Aussi-bien mes chagrins passeroient jusqu'à vous.
Vous trouverez ailleurs des entretiens plus doux :
Le trône vous attend, le peuple vous appelle;
Goûtez tout le plaisir d'une grandeur nouvelle.
Adieu. Nous ne faisons tous deux que nous gêner :
Je veux pleurer, Créon; et vous voulez régner.
CRÉON, arrêtant Antigone.

Ah, madame! régnez, et montez sur le trône :
Ce haut rang n'appartient qu'à l'illustre Antigone.

ANTIGONE.

Il me tarde déjà que vous ne l'occupiez.

La couronne est à vous!

CRÉON.

Je la mets à vos pieds.

ANTIGONE.

Je la refuserois de la main des dieux même;

Et vous osez, Créop, m'offrir le diadème !

Racine. I

7

CRÉON.

Je sais que ce haut rang n'a rien de glorieux
Qui ne cède à l'honneur de l'offrir à vos yeux.
D'un si noble destin je me connois indigne :
Mais si l'on peut prétendre à cette gloire insigne ;
Si par d'illustres faits on la peut mériter,
Que faut-il faire enfin, madame?

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Que ne ferois-je point pour une telle grace!
Ordonnez seulement ce qu'il faut que je fasse :

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Il n'est point de fortune à mon bonheur égale;

Et tu vas voir en moi, dans ce jour fortuné,
L'ambitieux au trône, et l'amant couronné.
Je demandois au ciel la princesse et le trône;
Il me donne le sceptre, et m'accorde Antigone.
Pour couronner ma tête et ma flamme en ce jour,
Il arme en ma faveur et la haine et l'amour :
Il allume pour moi deux passions contraires;
Il attendrit la sœur,
il endurcit les frères;

Il aigrit leur courroux, il fléchit sa rigueur,

Et m'ouvre en même temps et leur trône et son cœur.

ATTALE.

Il est vrai, vous avez toute chose prospère,
Et vous seriez heureux si vous n'étiez point père.
L'ambition, l'amour, n'ont rien à désirer;

Mais, seigneur, la nature a beaucoup à pleurer :
En perdant vos deux fils....

CRÉON.

Oui, leur perte m'afflige:

Je sais ce que de moi le rang de père exige;
Je l'étois. Mais sur-tout j'étois né pour régner;
Et je perds beaucoup moins que je ne crois gagner.
Le nom de père, Attale, est un titre vulgaire ;
C'est un don que le ciel ne nous refuse guère :
Un bonheur si commun n'a pour moi rien de doux;
Ce n'est pas un bonheur, s'il ne fait des jaloux.
Mais le trône est un bien dont le ciel est avare:
Du reste des mortels ce haut rang nous sépare;
Bien peu sont honorés d'un don si précieux :
La terre a moins de rois que le ciel n'a de dicux

D'ailleurs tu sais qu'Hémon adoroit la princesse,
Et qu'elle eut pour ce prince une extrême tendresse :
S'il vivoit, son amour au mien seroit fatal.

En me privant d'un fils, le ciel m'ôte un rival.

Ne me parle donc plus que de sujets de joie :
Souffre qu'à mes transports je m'abandonne en proie;
Et, sans me rappeler des ombres des enfers,
Dis-moi ce que je gagne, et non ce que je perds.
Parle-moi de régner; parle-moi d'Antigone :
J'aurai bientôt son cœur, et j'ai déjà le trône.
Tout ce qui s'est passé n'est qu'un songe pour moi :
J'étois père et sujet, je suis amant et roi.

La princesse et le trône ont pour moi tant de charmes,
Que... Mais Olympe vient.

ATTALE.

Dieux! elle est toute en larmes.

SCÈNE V.

CREON, OLYMPE, ATTALE, GARDES,

OLYMPE.

QU'ATTENDEZ-VOUS, seigneur? la princesse n'est plus.

Elle n'est plus, Olympe?

CRÉON.

OLYMPE.

Ah! regrets superflus!

Elle n'a fait qu'entrer dans la chambre prochaine;
Et du même poignard dont est morte la reine,
Sens que je pusse voir son funeste dessein,
Cette fière princesse a percé son beau sein :

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