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touché des exemples qu'il avait sous les yeux, le quitta pour embrasser la réforme. Le couvent de Palhaës fut désigné pour servir de noviciat; on en donna la conduite au Saint, ainsi que celle des novices.

Pierre d'Alcantara fut chargé du noviciat pendant deux ans, c'est-à-dire, jusqu'en 1544, que ses supérieurs le rappelèrent en Espagne. Ses frères, de la province d'Estramadure, témoignèrent la plus grande joie en le revoyant. Il exerça les fonctions du ministère par obéissance; mais son attrait pour la contemplation, lui fit demander la permission de demeurer dans les couvens les plus solitaires de l'ordre; quatre ans se passèrent de la sorte. Il fut rappelé en Portugal par le prince Louis, frère du Roi, et par le duc d'Aveiro. Durant les trois ans qu'il passa dans ce royaume, il donna la dernière perfection à lá rẻforme d'Arabida, et en 1550, il fonda un nouveau couvent près de Lisbonne. Dix ans après, la custodie fut érigée en province de l'ordre. Les vertus éminentes de Pierre d'Alcantara lui attirant beaucoup d'admirateurs, ce qui le troublait dans sa solitude, il se hâta de retourner, en Espagne, où il espérait être moins connu. Il arriva à Placentia, en 1551, et les frères le prièrent d'accepter le provincialat, mais il demanda la liberté de vivre quelque temps pour lui-même, et elle lui fut enfin accordée. Deux ans après, il fut élu custode dans un chapitre général qui se tint à Salamanque.

En 1554, il forma le plan d'une congrégation qui suivrait une réforme encore plus austère que celle qui existait déjà. Mais il commença par se faire autoriser, en obtenant un bref du Pape Jules III. Son projet fut aussi approuvé par la province d'Estramadure et par l'évêque de Coria, dans le diocèse duquel il essaya, avec un autre religieux, le genre de vie qu'il se proposait d'introduire. Quelque temps après, il fit un voyage à Rome, et il obT. XVI.

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tint un second bref, par lequel il lui était permis de bâtir un couvent conformément à son plan. Ce couvent fut bâti tel qu'il le désirait, près de Pedroso, dans le diocèse de Palencia. On en met la fondation en 1555; et c'est de là que l'on date la réforme des Franciscains déchaussés, ou de l'étroite observance de saint Pierre d'Alcantara. Le couvent dont il s'agit n'avait que trente-deux pieds de long, sur vingt-huit de large. Les cellules étaient extrêmement petites, et le lit du religieux, qui consistait en trois planches, en occupait la moitié. Celle du Saint était la plus petite et la plus incommode de toutes. L'église était comprise dans le bâtiment dont nous venons de parler, et elle en faisait partie. Il suffisait à chaque religieux, pour s'exciter à la pénitence, de considérer sa cellule, qui ressemblait à un vrai tombeau.

Le comte d'Oropeza fit bâtir au Saint deux nouveaux couvens sur ses terres; la réforme y fut établie, ainsi que dans plusieurs autres maisons. En 1561, ces différens couvens furent érigés en province. Pierre d'Alcantara régla par des statuts particuliers, les dimensions que devaient avoir les cellules, l'infirmerie et l'église de chaque maison. La circonférence d'un couvent n'excédait point quarante ou cinquante pieds. Il ne devait y avoir que huit frères, qui étaient obligés d'être toujours nu-pieds. Ils couchaient sur des planches, ou sur des nattes étendues par terre. Leurs lits étaient élevés à un pied de terre, quand le lieu devenait malsain par l'humidité. L'usage de la viande, du poisson, des œufs et du vin n'était permis qu'aux malades. On employait chaque jour trois heures à l'oraison mentale, et on ne recevait rien pour la célébration de la messe.

Saint Pierre d'Alcantara était commissaire de l'ordre, lorsqu'on le fit provincial de sa réforme. Il se rendit à Rome peu de temps après, et il demanda la confirmation de son institut. Le Pape Paul IV, par une bulle du mois de Fé

vrier 1562, affranchit la congrégation du Saint, de la juridiction des Franciscains conventuels, et la soumit au ministre général des Observantins, avec la clause qu'elle suivrait toujours les réglemens donnés par le saint réformateur. Elle s'est formé des établissemens en Italie et dans plusieurs provinces de l'Espagne. Chaque province de cette réforme est composée d'environ dix maisons.

L'Empereur Charles-Quint s'était retiré, après son abdication, dans la province d'Estramadure, et il avait choisi pour sa demeure le monastère de Saint-Just, de l'ordre des Hiéronymites. Ce prince crut devoir prendre Pierre d'Alcantara pour confesseur, dans la persuasion que personne n'était plus propre à le préparer à la mort. Mais le Saint, qui prévoyait que cette espèce de ministère ne s'accordait point avec ses exercices ni avec son genre de vie, allégua diverses raisons pour ne point accepter la place qui lui était offerte, et il vint à bout d'obtenir le désistement de l'Empereur.

Il faisait la visite de son ordre en qualité de commissaire général, lorsqu'il arriva à Avila, en 1559. Sainte Thérèse, qui demeurait dans cette ville, éprouvait alors une dure persécution de la part de ses amis et de ses propres confesseurs. Elle était aussi tourmentée par des scrupules et par d'autres peines intérieures. On lui disait qu'elle pouvait être séduite par les illusions du démon, et cette idée lui causait de temps en temps des troubles désolans. Guiomera d'Ulloa, veuve d'une piété éminente, qui lui était tendrement attachée et qui connaissait son état, lui fit passer huit jours dans sa maison, après en avoir obtenu la permission de ses supérieurs. Le but qu'elle se proposait, était de lui faciliter les moyens de s'entretenir à loisir avec Pierre d'Alcantara. Le Saint, qui avait été lui-même favorisé de grâces extraordinaires, eut bientôt connu son état; il dissipa ses inquiétudes, et l'assura que tout ce qui se passait en elle, venait de l'esprit de Dieu. Il se déclara

hautement contre ses calomniateurs, et parla en sa faveur à celui qui dirigeait sa conscience (2). Après lui avoir suggéré les plus puissans motifs de consolation, il l'exhorta fortement à établir sa réforme dans l'ordre des Carmes, et à la fonder principalement sur la pauvreté (3). Touché de compassion pour sainte Thérèse, et voulant augmenter la confiance qu'elle prenait en ses conseils, il lui fit diverses confidences sur le genre de vie qu'il menait depuis quarante-sept ans. Ecoutons la Sainte elle-même raconter ce qu'elle apprit de lui dans cette circonstance.

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« Il me dit que durant l'espace de quarante ans, il n'a

vait dormi qu'une heure et demie par jour, et que cette » mortification était celle qui lui avait fait le plus de peine » dans les commencemens; que pour surmonter le som» meil, il se tenait toujours debout ou à genoux ; qu'il dor» mait assis, et la tête appuyée sur un morceau de bois attaché à la muraille de sa cellule. Quand il aurait voulu se coucher de son long, il n'aurait pu le faire, parce » que sa cellule n'avait que quatre pieds et demi de lon» gueur. Durant tout ce temps-là, jamais il ne se couvrit » de son capuce, quelques chaleurs qu'il fit, et quelque pluie qu'il tombât. Il marcha toujours les pieds nus, sans aucune chaussure. Il ne porta que son seul habit » qui était fort étroit, et son manteau qui était fort court, tous deux d'une étoffe très-vile. Pendant le plus grand » froid, il ôtait son manteau, et laissait la porte et la fe» nêtre de sa cellule ouvertes, afin que reprenant ensuite son manteau et fermant sa porte, son corps sentît quel» que soulagement. Il ne mangeait qu'une fois en trois jours; et il assurait que cela était facile lorsqu'on s'y >> accoutumait. Un de ses compagnons me dit qu'il pas

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(2) Sainte Thérèse, dans sa propre Vie, c. 30.

(3) Ibid., 35.

⚫ sait quelquefois huit jours sans manger; c'était sans doute » durant ses extases et ses ravissemens, dont j'ai été une » fois témoin. Sa pauvreté était extrême; et il était si mor» tifié, même dans sa jeunesse, qu'il me dit qu'il avait > demeuré trois ans dans un couvent de son ordre, sans » connaître aucun religieux qu'à la parole; il ne connais»sait point les lieux réguliers du couvent, et il n'y allait qu'en suivant les autres. Ceci lui arrivait aussi par les » chemins... Il était déjà fort âgé lorsque je le connus. Son corps était si faible et si décharné, qu'il ressemblait » à un tronc d'arbre, dont les racines desséchés s'étendent de côté et d'autre. Il était fort affable; et quoiqu'il

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parlât peu, à moins qu'on ne l'interrogeât, il répon>> dait agréablement; car il avait un bon esprit.

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Tandis que ce Saint faisait la visite des maisons qui avaient embrassé la réforme, il tomba malade dans le couvent de Viciosa. Le comte d'Oropéza n'en fut pas plus tôt instruit, qu'il le força de venir chez lui, afin de lui procurer les secours dont il avait besoin; mais les remèdes et les adoucissemens qu'on s'empressait de lui procurer, ne servirent qu'à augmenter sa maladie; la fièvre redoubla, et il se forma un ulcère à une de ses jambes. Le serviteur de Dieu s'apercevant que sa fin approchait, se fit porter au couvent d'Arenas, afin de mourir entre les bras de ses frères. A peine y fut-il arrivé, qu'il voulut qu'on lui administrât les sacremens de l'Eglise. Il ne cessa d'exhorter ses religieux à chérir les vertus de leur état, et surtout la pauvreté. Il expira tranquillement le 19 Oct. 1562, à la soixante-troisième année de son âge.

Sainte Thérèse, après avoir rapporté la bienheureuse fin de saint Pierre d'Alcantara, s'exprime de la sorte : « Depuis sa mort, j'ai eu l'avantage de jouir plus de lui, que je ne faisais de son vivant. Il m'a donné des conseils

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en plusieurs choses, et je l'ai vu souvent dans une grande

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