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Soulève un char tremblant dans un foffé bourbeux.
Perrette au point du jour eft aux champs la première.
Je les vois haletans, & couverts de pouffière,
Braver dans ces travaux, chaque jour répétés,
Et le froid des Hivers, & le feu des Etés.

Ils chantent cependant; leur voix fauffe & ruftique
Gaîment de Pellegrin a détonne un vieux Cantique.
La paix, le doux fonimeil, la force, la fanté,
Sont le fruit de leur peine & de leur pauvreté.
Si Colin voit Paris, ce fracas de merveilles,
Sans rien dire à fon coeur, affourdit fes oreilles :
Il ne défire point ces plaifirs turbulens;
Il ne les conçoit pas; il regrette fes champs;
Dans fes champs fortunés l'amour même l'appelle:
Et tandis que Damis,, courant de belle en belle
Sous des lambris dorés, & vernis pas Martin, b
Des intrigues du tems compofant fon destin,
Duppé par fa maîtreffe, & hai par fa femme,
Prodigue à vingt beautés fes chanfons & fa flamme,
Quitte Eglé qui l'aimait, pour Cloris qui le fuit,
Et prend pour volupté le fcandale & le bruit;
Colin, plus vigoureux, & pourtant plus fidéle,

a L'Abbé Pellegrin a fait des cantiques de dévotion fur des airs du Pont-neuf; c'est là qu'on trouve à ce qu'on dit,

Quand on a perdu Jesus-Chrift,

Revole

Adieu paniers, vendanges font faites.

Ces cantiqnes font chantés à la campagne & dans des Couvens de Province.

b Fameux verniffeur.

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Revole vers Lifette en la faifon nouvelle.
Il vient, après trois mois de regrets & d'ennui,
Lui préfenter des dons auffi fimples que lui.

Il n'a point à donner ces riches bagatelles,

Qu'Hebert c vend à crédit pour tromper tant de belles..
Sans tous ces riens brillans il peut toucher un cœur;
Il n'en a pas befoin: C'eft le fard du bonheur.
L'aigle, fière & rapide, aux aîles étendues,
Suit l'objet de fa flamme, élancé dans les nuës.
Dans l'ombre des vallons le taureau bondiffant
Cherche en paix fa geniffe, & plait en mugiffant.
Au retour du printems la douce Philomèle
Attendrit par fes chants fa compagne fidèle;
Et du fein des buiffons, le moucheron léger
Se mêle en bourdonnant aux infectes de l'air.
De fon être content, qui d'entr'eux s'inquiète
S'il eft quelqu'autre espèce, ou plus ou moins parfaite?
Et qu'importe à mon fort, à mes plaifirs préfens,
Qu'il foit d'autres heureux, qu'il foit des biens plus grands?
Mais, quoi! cet indigent, ce mortel famélique,
Cet objet dégoûtant de la pitié publique,

D'un cadavre vivant traînant le refte affreux,
Respirant pour fouffrir, est-il un homme heureux?
Non, fans doute; & Thamas qu'un efclave déthrone,
Ce Vifir dépofé, ce Grand qu'on emprisonne,

Ont

c Fameux Marchand de curio- de goût, & cela feul lui avait fités à Paris. Il avait beaucoup procuré une grande fortune.

Ont-ils des jours fereins, quand ils font dans les fers?

Tout état a fes maux, tout homme a fes revers.
Moins hardi dans la paix, plus actif dans la guerre,
Charle aurait fous fes loix retenu l'Angleterre,

,

Et d Dufréni, plus fage & moins diffipateur
Ne fût point mort de faim, digne mort d'un Auteur.
Tout eft égal enfin: la Cour a fes fatigues:
l'Eglife a fes combats: la guerre a fes intrigues:
Le mérite modefte eft fouvent obfcurci.

Le malheur eft partout, mais le bonheur auffi.
Ce n'eft point la grandeur, ce n'est point la baffeffe,
Le bien, la pauvreté, l'âge mûr, la jeuneffe,
Qui fait, ou l'infortune, ou la félicité.

Jadis le pauvre Irus, honteux & rebuté,
Contemplant de Créfus l'orgueilleufe opulence
Murmurait hautement contre la Providence.

Que d'honneurs! difait-il; que d'éclat! que de bien!
Que Créfus eft heureux! Il a tout, & moi rien.
Comme il difait ces mots, une armée en furie
Attaque en fon palais le Tyran de Carie.
De fes vils Courtifans il eft abandonné;
Il fuit, on le pourfuit; il eft pris, enchaîné;
On pille fes tréfors, on ravit fes maîtreffes;
Il pleure; il apperçoit, au fort de fes détreffes,

d Louis XIV. difait, Il y a deux hommes que je ne pourrai jamais enrichir, Dufreni & Bontemps. Dufreni mourut dans la misère,

Irus,

après avoir diffipé de grandes richeffes. Il a laiffé de jolies Comédies.

Irus, le pauvre Irus, qui parmi tant d'horreurs,
Sans fonger aux vaincus boit avec les vainqueurs.
O Jupiter! dit-il. O fort inéxorable!

Irus eft trop heureux, je fuis feul miférable.

Ils fe trompaient tous deux, & nous nous trompons tous. Ah! du deftin d'autrui ne foyons point jaloux.

Gardons nous de l'éclat qu'un faux déhors imprime. Tous les cœurs font cachés; tout homme eft un abîme. La joye eft paffagère, & le rire est trompeur.

Hélas! où donc chercher, où trouver le bonheur? En tout lieu, en tout tems, dans toute la Nature, Nulle part tout entier, partout avec mesure, Et partout paffager, hors dans fon feul Auteur. Il eft femblable au feu, dont la douce chaleur Dans chaque autre élément en fecret s'infinue, Defcend dans les rochers, s'élève dans la nuë, Va rougir le corail dans le fable des Mers, Et vit dans les glaçons qu'ont durci les hivers. Le Ciel en nous formant mélangea notre vie, De défirs, de dégouts, de raifon, de folie, De momens de plaifir, & de jours de tourmens. De notre être imparfait voilà les élémens.

Ils compofent tout l'homme, ils forment fon effence; Et DIEU nous pefa tous dans la même balance.

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DEUXIEME DISCOURS.

DE LA LIBERTÉ.

On entend par ce mot Liberté le pouvoir de faire ce qu'on veut. Il n'y a, & ne peut y avoir d'autre Liberté. C'est pourquoi Locke la fi bien définie Puiffance.

D

Ans le cours de nos ans, étroit & court paffage,

Si le bonheur qu'on cherche eft le prix du vrai fage, Qui pourra me donner ce tréfor précieux?

Dépend-il de moi-même ? Eft-ce un préfent des Cieux?
Eft-il comme l'efprit, la beauté, la naiffance
Partage indépendant de l'humaine prudence?
Suis-je libre en effet? ou mon ame & mon corps
Sont-ils d'un autre agent les aveugles refforts?
Enfin, ma volonté, qui me meut, qui m'entraîne,
Dans le palais de l'ame eft-elle efclave ou Reine?
Obscurément plongé dans ce doute cruel,

Mes yeux, chargés de pleurs, fe tournaient vers le Ciel,
Lorfqu'un de ces Efprits, que le Souverain Etre
Plaça près de fon Throne, & fit pour le connaître,
Qui refpirent dans lui, qui brûlent de fes feux,
Defcendit jufqu'à moi de la voute des Cieux;
Car on voit quelquefois ces fils de la lumière,
Eclairer d'un mondain l'ame fimple & groffière,
Et fuir obstinément tout Docteur orgueilleux,

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