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Qui dans fa chaire affis, penfe être au-deffus d'eux,
Et le cerveau troublé des vapeurs d'un fystème,
Prend ces brouillards épais pour le jour du Ciel même.
Ecoute, me dit-il, prompt à me confoler,

Ce que tu peux entendre, & qu'on peut revéler.
J'ai pitié de ton trouble; & ton ame fincère,
Puifqu'elle fait douter, mérite qu'on l'éclaire.
Oui, l'homme fur la Terre eft libre ainfi que moi;
C'est le plus beau préfent de notre commun Roi.
La liberté, qu'il donne à tout être qui penfe,
Fait des moindres efprits & la vie & l'eilence.
Qui conçoit, veut, agit, eft libre en agiffant;
C'est l'attribut divin de l'Etre Tout-puiffant.
Il en fait un partage à fes enfans qu'il aime.
Nous fommes fes enfans, des ombres de lui-même
Il connut, il voulut, & l'Univers naquit;

Ainfi, lorfque tu veux, la matière obéit.

Souverain fur la Terre, & Roi par la pensée,
Tu veux, & fous tes mains la Nature eft forcée.
Tu commandes aux mers, au fouffle des Zéphyrs,
A ta propre pensée, & même à tes défirs.

Ah! fans la liberté que feraient donc nos ames?
Mobiles agités par d'invifibles flâmes;

Nos vœux, nos actions, nos plaifirs, nos dégoûts,
De notre être en un mot, rien ne ferait à nous.
D'un artifan fuprême impuiffantes machines,
Automates penfans, mûs par des mains divines,
Nous ferions à jamais de menfonge occupés,
Mélanges &c.

B

Vils

Vils inftrumens d'un DIEU, qui nous aurait trompés.
Comment, fans liberté, ferions-nous fes images?
Que lui reviendrait-il de fes brutes ouvrages?

On ne peut donc lui plaire, on ne peut l'offenfer;
Il n'a rien à punir, rien à récompenfer.

Dans les Cieux, fur la Terre, il n'est plus de justice.
a) Pucelle eft fans vertu, Des Fontaines fans vice.
Le deftin nous entraîne à nos affreux penchans,
Et ce cahos du Monde eft fait pour les méchans.
L'oppreffeur infolent, l'ufurpateur avare,
Cartouche, Miriweis, ou tel autre Barbare,
Plus coupable enfin qu'eux, le calomniateur
Dira: Je n'ai rien fait, DIEU feul en est l'auteur;
Ce n'eft pas moi, c'eft lui qui manque à ma parole,
Qui frappe par mes mains, pille, brûle, viole.
C'est ainfi que le DIEU de juftice & de paix,
Serait l'auteur du trouble, & le DIEU des forfaits.
Les triftes partifans de ce dogme effroyable
Diraient-ils rien de plus s'ils adoraient le Diable?

J'étais, à ce difcours, tel qu'un homme enyvré,
Qui s'éveille en furfaut, d'un grand jour éclairé,
Et dont la clignotante & débile paupière
Lui laiffe encor à peine entrevoir la lumière.
J'ofai répondre enfin, d'une timide voix:
Interprète facré des éternelles Loix,

Pourquoi, fi l'homme eft libre, a-t-il tant de faibleffe?

a) L'Abbé Pucelle, célèbre Confeiller au Parlement. L'Abbé des Fontaines, homme fou

Que

vent repris de Juftice, qui tenait une boutique ouverte, où il vendait des louanges & des fatyres.

Que lui fert le flambeau de fa vaine fageffe?
Il le fuit; il s'égare; & toujours combattu,
Il embraffe le crime en aimant la vertu.
Pourquoi ce Roi du Monde, & fi libre & si sage,
Subit-il fi fouvent un fi dur efclavage?
L'Esprit confolateur à ces mots répondit:
Quelle douleur injufte accable ton esprit?
La liberté, dis- tu, t'eft quelquefois ravie:
DIEU te la devait-il immuable, infinie,
Egale en tout état, en tout tems, en tout lieu?
Tes deftins font d'un homme, & tes vœux font d'un DIEU.

Quoi! dans cet Océan cet atome qui nage
Dira: L'immenfité doit être mon partage?
Non, tout eft faible en toi, changeant & limité;
Ta force, ton efprit, tes talens, ta beauté.
La Nature, en tout fens, a des bornes prefcrites,
Et le pouvoir humain ferait feul fans limites!
Mais, di-moi, quand ton cœur, formé de paffions,
Se rend malgré lui-même à leurs impreffions,
Qu'il fent dans fes combats fa liberté vaincuë,
Tu l'avais donc en toi, puifque tu l'as perdue?
Une fievre brûlante, attaquant tes refforts,
Vient, à pas inégaux, miner ton faible corps.
Mais, quoi! par ce danger répandu fur ta vie,
Ta fanté pour jamais n'eft point anéantie.

On te voit revenir des portes de la mort,
Plus ferme, plus content, plus tempérant, plus fort.
Connai mieux l'heureux don que ton chagrin reclame.

La liberté dans l'homme eft la fanté de l'ame.
On la perd quelquefois; la foif de la grandeur,
La colère, l'orgueil, un amour fuborneur,
D'un défir curieux les trompeufes faillies:
Hélas! combien le cœur a-t-il de maladies?
Mais contre leurs affauts tu feras raffermi;
Pren ce livre fenfé, confulte cet ami.

(Un ami, don du Ciel, eft le vrai bien du fage.)
b Voilà l'Helvetius, le Silva, le Vernage,

Que le DIEU des humains, prompt à les fecourir
Daigne leur envoyer fur le point de périr.
Eft-il un feul mortel de qui l'ame infenfée,
Quand il eft en péril, ait une autre pensée ?
Voi de la liberté cet ennemi mutin,

Aveugle partifan d'un aveugle deftin.

Enten comme il confulte, approuve ou délibère;
Enten de quel reproche il couvre un adverfaire;
Voi comment d'un rival il cherche à fe venger,
Comme il punit fon fils, & le veut corriger.

Il le croyait donc libre? oui, fans doute, & lui-même
Dément à chaque pas fon funefte système.

Il mentait à fon coeur, en voulant expliquer
Ce dogme abfurde à croire, abfurde à pratiquer.
Il reconnaît en lui le fentiment qu'il brave.
Il agit comme libre, & parle comme esclave.
Sûr de ta liberté, rapporte à fon Auteur
Ce don que fa bonté te fit pour ton bonheur.

b Fameux Médecins de Paris.

Com

Commande à ta raifon d'éviter ces querelles,
Des tyrans de l'efprit difputes immortelles.
Ferme en tes fentimens, & fimple dans ton cœur,
Aime la vérité, mais pardonne à l'erreur,

Fui les emportemens d'un zèle atrabilaire ;

Ce mortel qui s'égare eft un homme, eft ton frère ;
Sois fage pour toi feul, compatiffant pour lui,
Fai ton bonheur, enfin, par le bonheur d'autrui.
Ainfi parlait la voix de ce Sage fuprème;

Ses difcours m'élevaient au - deffus de moi-même.
J'allais lui demander, indifcret dans mes vœux,
Des fecrets refervés pour les peuples des Cieux :
Ce que c'eft que l'efprit, l'efpace, la matière,
L'éternité, le tems, le reffort, la lumière;
Etranges queftions, qui confondent fouvent

Le profond (c) s'Gravesande, & le fubtil Mairan,
Et qu'expliquait en vain, dans fes doctes chimères,
L'auteur des tourbillons que l'on ne croit plus guères.
Mais, déja s'échappant à mon œil enchanté,

Il volait au féjour où luit la vérité.

Il n'était pas vers moi defcendu pour m'apprendre
Les fecrets du Très-Haut, que je ne puis comprendre;
Mes yeux d'un plus grand jour auraient été bleffés;
Il m'a dit: Sois heureux; il m'en a dit affez.

(c) Mr. s Grave faade, Profeffeur à Leide, le premier qui ait enfeigné en Hollande les découvertes de Newton.

B 3

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FROL

Mr. Dortous de Mairan Gentilhomme de Befiers, Secrétaire de l'Académie des Sciences de Paris.

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