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ODE

SUR

LE FANATIS ME

C

Harmante & fublime Emilie,
Amante de la vérité,

Ta folide Philofophie

T'a prouvé la Divinité.

Ton ame éclairée & profonde,

Franchiffant les bornes du Monde,
S'élance au fein de fon Auteur.
Tu parais fon plus bel ouvrage,
Et tu lui rens un digne hommage,
Exempt de faibleffe & d'erreur.

*.

Mais fi les traits de l'Athéïfme
Melanges &c.

* Cette Ode eft de l'an 1732. Elle eft addreffée à l'illuftre Madame la Marquife du Chaftelet, qui s'eft rendue par fon

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génie l'admiration de tous les vrais favans, & de tous les bons efprits de l'Europe.

Sont repouffés par ta raison,
De la coupe du fanatifme
Ta main renverse le poison:
Tu fers la juftice éternelle,
Sans l'acreté de ce faux zèle
De tant de dévots a malfaifans;
Tel qu'un fujet fincère & jufte
Sait approcher d'un Throne auguste
Sans les vices des Courtifans.

Ce fanatifme facrilège
Eft forti du fein des Autels;
Il les profane, il les affiège;
Il en écarte les mortels.
O Religion bienfaifante!
Ce farouche ennemi fe vante
D'être né dans ton chafte flanc.
Mère tendre, mère adorable!
Croira-t-on qu'un fils fi coupable
Ait été formé de ton fang?

On a vû du moins des Athées

Sociables dans leurs erreurs :

Leurs opinions infectées

N'avaient point corrompu leurs mœurs.

a Faux dévots.

Des

Des Barreaux fut doux, juste, aimable b:
Le DIEU que fon efprit coupable

Avait follement combattu,

Prenant pitié de fa faibleffe,
Lui laiffa l'humaine fageffe,
Et les ombres de la vertu.

Je fentirais quelque indulgence
Pour un aveugle audacieux,

Qui nirait l'utile existence

De l'aftre qui brille à mes yeux.

Ignorer ton être Suprême,

Grand DIEU! c'est un moindre blasphême,
Et moins digne de ton courroux,

Que de te croire impitoyable,
De nos malheurs infatiable,
Jaloux, injufte comme nous.

Lorfqu'un dévot atrabilaire,
Nourri de fuperstition,
A, par cette affreuse chimère,
Corrompu fa Religion,

G 2

Le

b Il était Confeiller au Par les frais de leur procès, qu'il lement; il paya à des plaideurs avait trop différé de rapporter.

Le voilà ftupide, & farouche;
Le fiel découle de fa bouche;
Le fanatifme arme fon bras;
Et dans fa piété profonde
Sa rage immolerait le Monde
A fon DIEU qu'il ne connait pas.

Ce Sénat profcrit dans la France,
Cette infame Inquifition,

Ce Tribunal, où l'ignorance
Traina fi fouvent la raison;

Ces Midas en mitre, en foutane,
Au Philofophe de Toscane

Sans rougir ont donné des fers.

Aux pieds de leur troupe aveuglée,

Abjurez, fage Galilée,

Le fyftême de l'Univers.

Ecoutez ce fignal terrible

Qu'on vient de donner dans Paris;

Regardez ce carnage horrible;

Entendez ces lugubres cris.

Le frère eft teint du fang du frère;

Le fils affaffine fon père;

La femme égorge fon époux;

Leurs bras font armés par des Prêtres.

O Ciel! font-ce-là les ancêtres
De ce peuple léger & doux?

Janfeniftes & Molinistes,
Vous qui combattez aujourd'hui
Avec les raifons des Sophiftes,
Leurs traits, leur bile & leur ennui;
Tremblez qu'enfin votre querelle
Dans vos murs un jour ne rappelle
Ces tems de vertige & d'horreur ;
Craignez ce zèle qui vous preffe ;
On ne fent pas dans fon yvreffe,
Jufqu'où peut aller fa fureur.

Vous riez des fages d'Athènes,
Que la Terre a trop refpectés :
Vous diffipez leurs ombres vaines
Par vos immortelles clartés.

Mais au moins dans leur nuit profonde,
Conducteurs aveugles du monde,

Ils n'étaient point perfécuteurs:

Imitez l'efprit pacifique

Et du Lycée & du Portique,

Quand vous condamnez leurs erreurs.

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