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Du projet de loi concernant le Code Napoléon.

MESSIEURS

ESSIEURS,

Depuis la promulgation du Code civil, le Gouvernement impérial a remplacé le Gouvernement consulaire : le Code civil étoit la loi particulière des Français; elle est devenue la loi commune des peuples d'une partie de l'Europe.

Il ne s'agit point ici de revenir sur les principes qui y sont consigués: c'est un ouvrage terminé. C'est, si je puis m'exprimer ainsi, une espèce d'arche sainte pour laquelle nous donnerons aux peuples voisins l'exemple d'un respect religieux.

Ce seroit méconnoître la foiblesse attachée à l'humanité, si on supposoit que cet ouvrage ne sera susceptible d'aucune amélioration, que quelques explications ne devront point à l'avenir en augmenter la clarté, en faciliter encore plus l'exécution. Déjà quelques décrets de SA MAJESTÉ ont eu cet objet; mais par le motif même qu'ils ne sont qu'une explication, et qu'ils ne contiennent que des moyens d'exécution, on n'a point vu la nécessité de retoucher au texte, qui loin d'en recevoir aucune atteinte, sera plus sûrement appliqué dans son véritable esprit.

D'autres décrets impériaux pourront être rendus pour des causes semblables. Il ne faudroit pas qu'on les regardât comme des motifs suffisans de promulguer de nouveau le Code.

On ne doit pas craindre l'inconvénient de laisser les autres peuples qu'il régira dans l'ignorance de ces changemens; on cherchera dans chaque pays les meilleurs moyens d'exécution, et s'il en résulte des lumières utiles, chaque gouvernement aura l'intérêt d'en profiter.

Des considérations d'un autre ordre déterminent la présentation que je suis chargé de vous faire du Code Napoléon. Elle n'a pour objet que de rendre ses formes extérieures analogues aux formes prescrites par les actes des constitutions de l'Empire.

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Mais avant d'entrer à cet égard dans les détails, qu'il me soit permis de jeter un coup d'œil sur les causes et sur les effets de cette propagation de nos lois civiles dans une partie de l'Europe. Qu'il me soit permis d'admirer avec vous ce mortel extraordinaire qui, destiné par le ciel pour fonder et régénérer des empires, sait employer à la fois et avec un génie également transcendant, les secours de la religion, la force des armes, les profondes conceptions de la politique, le perfectionnement des lois civiles.

Vous reconnoîtrez, messieurs, combien, sous ce dernier rapport, l'époque où nous vivons sera remarquable, si vous vous rappelez combien d'obstacles se sont, jusqu'à nos jours opposés aux progrès de la législation civile.

Elle fut chez les Romains la science qu'ils honorèrent le plus, et dont ils firent leur principale étude. Jamais, cependant, ils n'entreprirent de créer un système général; jamais ils n'eurent, à proprement parler, un Code civil, mais seulement des recueils de lois éparses et de décisions particulières, dont les plus importantes furent variables comme les formes de leur gouvernement.

Le nombre de ces règles particulières s'accrut au point que la vie de chaque jurisconsulte ne suffisoit pas pour les étudier; c'étoient plutôt d'immenses collections de jurisprudence que des corps de lois. La connoissance du juste et de l'injuste fut à Rome une science à la portée d'un très-petit nombre d'érudits, lorsque, faite pour être mise en pratique par tous les hommes, elle eût du être réduite aux élémens les plus simples. Les livres de lois contenoient le plus riche trésor, sans que chaque citoyen pût par lui-même y puiser

aucun secours.

Ce ne fut que dans le sixième siècle, et lorsque déjà l'empire romain penchoit vers sa ruine, que Justinien fit exécuter le projet, non de former un plan de législation et de promul guer un Code civil proprement dit, mais de réunir dans un seul volume les lois qui seroient regardées comme les plus importantes. Si on peut dire qu'alors la législation romaine sortit du chaos, toujours est-il certain qu'elle ne reçut point encore un degré de lumière sensible à tous les yeux. S'il fut

moins pénible de rechercher dans un seul volume ce qui se trouvoit confondu dans un grand nombre, cette nouvelle collection ne pouvoit encore être un objet d'étude que pour les jurisconsultes.

Le droit romain eut donc toujours, à l'égard des peuples qui y étoient soumis, les plus graves inconvéniens.

Jamais il ne fut mis à la portée de la généralité des citoyens. Il étoit impossible que des lois et des décisions particulières faites a diverses époques ne présentassent pas des ambiguités ou des contradictions; il étoit encore impossible que dans une collection qui renfermoit les lois abrogées et celles tombées en désuétude, comme les lois en vigueur, l'on distinguât toujours avec certitude les unes des

autres.

Cependant cette collection étoit l'ouvrage le moins imparfait qui fût sorti de la main des hommes, et les Romains sont devenus aussi célèbres par ces lois que par la conquête du monde.

La décadence de cette grande nation fut suivie d'un long état de troubles, pendant lesquels la civilisation rétrograda. Des usages locaux et un gouvernement militaire furent substitués au droit romain. Les principales collections de ce droit sembloient inême entièrement perdues, lorsqu'un exemplaire des Pandectes, trouvé dans le douzième siècle, au siège d'Amalfi, et conservé d'abord à Pise et ensuite à Florence, comme le plus précieux des monumens, attira bientôt l'attention de toute l'Europe.

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Le défaut des lois, ou leur barbarie, se faisoit sentir à mesure que l'ordre social et la civilisation se rétablissoient.

Presque tous les souverains crurent pouvoir adapter à leur systême politique, et même au régime féodal qui dominoit alors dans presque toute l'Europe, une partie des lois romaines; mais ils ne purent le faire sans ajouter une nouvelle. cause de confusion à celle que l'on éprouvoit déjà dans les lois du Digeste et du Code. On avoit, de plus, à éviter les incohérences et les contrariétés avec les usages et les statuts locaux.

L'étude de la jurisprudence fut plus que jamais compliquée. Toutes les ressources de la sagacite et de la subtilité furent employées par les jurisconsultes dans les opinions les plus diverses. A peine eût-on pu citer un petit nombre de lois sur lesquelles ils ne fussent pas en contradiction. L'esprit de controverse qui anima les écrivains eut bientôt l'effet de multiplier les plaideurs, en leur fournissant des armes. Chacun d'eux, au lieu de se borner après un simple exposé à invoquer la loi, fit, pour se la rendre favorable, de longs commentaires : on cita sans mesure comme sans discernement les commentaires des autres. La jurisprudence des tribunaux vint encore ajouter à ce désordre par l'empressement de chaque partie à s'opposer réciproquement des arrêts contraires et à en altérer les motifs.

La seule tentative faite, dans les temps modernes, pour composer un Code civil,est celle de Frédéric, roi de Prusse; et quoiqu'elle n'ait pas été suivie du succès, elle honore cependant sa mémoire. Il se crut sans doute hors d'état de prendre directement part à cet ouvrage; et, d'ailleurs il ne se trouva point dans des circonstances où il pût faire sans inconvénient des changemens aux anciennes lois; aux anciens usages de son pays.

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Le Code, auquel il a donné son nom, est une compilation dans le genre de celle qu'ordonna Justinien; et quoique l'ordre des matières y soit plus méthodique, il ne présentoit encore nullement le modèle d'un plan simple et resserré dans les proportions convenables pour que la masse des citoyens pût le concevoir et s'en servir facilement. Il suppose une science approfondie, tant des lois anciennes du pays que du droit romain. La carrière a donc resté dans ce pays également ouverte aux seuls jurisconsultes.

Cette grande difficulté de trouver des lois précises, d'expliquer ces lois, de les concilier, a introduit dans presque toute l'Europe cet usage de laisser les parties faire, avant le jugement, sous prétexte d'une légitime défense, un long amas d'écritures, et la France est encore bien loin d'être le pays où cet abus ait été porté aux plus grands excès.

Il est, en effet, un grand nombre d'autres contrées où

ceux que la fortune n'a point placés dans la classe riche sont dans l'impuissance absolue d'avoir recours aux tribunaux, et où le riche lui-même ose à peine se livrer aux longueurs et aux dépenses énormes de l'instruction! d'un procès.

C'est ainsi que chez tous les peuples de l'Europe, la justice a été administrée jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. La révolution de France a d'abord opéré dans la législation civile de ce pays un grand changement.

Le régime féodal y a été aboli, et avec ce régime la partie du droit civil qui y avoit été subordonnée.

Quelques lois générales ont fait disparoître une partie des inconvéniens qui résultoient de la diversité de plus de 550 coutumes, ou statuts divers dans la seůle étendue de l'ancien territoire de la France.

L'assemblée constituante avoit conçu l'idée, ou plutôt elle avoit seulement exprimé le vœu d'un Code civil, mais il étoit réservé au génie de l'EMPEREUR de l'exécuter. Il a voulu être lui même le témoin et le coopérateur de ce grand œuvre. La postérité verra le plus célèbre des héros, le plus profond des politiques, être en même temps, au milieu de son Conseil d'Etat, celui qui montra le plus de sagacité, le plus de prévoyance le plus d'idées neuves, le plus de moyens pour que le monument que l'on se proposoit d'élever fât impérissable; pour que, devenant un modèle de législation, les peuples voisins fussent pressés par le besoin de s'y conformer, et pour qu'il fit le bonheur de la France, en même temps qu'il formeroit un nouveau lien entre les peuples qui l'adop

teroient.

Pour parvenir à ce but, il falloit que le systême général de ce Code pût se concilier avec les divers systêmes du Gouvernement, et nul législateur n'avoit encore tenté de résoudre ce grand problême.

On a toujours, distingué dans les lois romaines celles qui tiennent à la formation, à l'interprétation, à exécution des contrats. Ces lois sont celles qu'ils avoient le moins subordordonnées à leurs divers systêmes politiques, et on ne pouvoit

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