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diaux d'Abbeville et d'Amiens, présidés par Bellejame, intendant de Picardie. Saint-Preuil servait depuis l'âge de douze ans. Il produisit une lettre du roi, qui n'est que trop connue, et dans laquelle il l'appelait brave et généreux SaintPreuil. Il fut courageusement défendu par le lieutenant-général d'Amiens, qui faisait les fonctions de rapporteur. Ce magistrat soutint que le moindre de ses services suffisait pour effacer le plus énorme des prétendus crimes dont il était chargé. Ces mots furent aussitôt relevés par le président Bellejame. Le rapporteur lui répondit généreusement « que sa vie, ses biens et ses en«fants étaient au roi, mais que son âme et sa « conscience étaient à Dieu; qu'au plus juste d'i«< celle il avait dit son opinion, et qui que ce fût « n'était capable de lui rien faire faire au con<< traire. » Je regrette que l'histoire n'ait pas conservé le nom de ce digne magistrat. Le frère de Saint-Preuil étant accouru à Amiens, reçut ordre d'en sortir. Le ministre qui poursuivait un brave guerrier, avait donné des récompenses à plus de trente sujets rebelles.

Tout le monde connaît la conjuration de CinqMars. Il était coupable sans doute; mais il fut jugé parun e commission composée de conseillers d'Etat, de magistrats du parlement de Grenoble, et

présidée par le chancelier. L'infâme Laubardemont en était le rapporteur. Il est inutile de rappeler la conduite du duc d'Orléans; mais un des plus grands reproches qu'on puisse faire à la mémoire de Richelieu, se trouve dans les déplorables lettres écrites par Louis XIII. Il y dénonçait Cinq-Mars. Il se portait son accusateur auprès de toutes les cours du royaume. Le roi n'avait pas sans doute imaginé une si étrange démarche. Elle ne put être conseillée que par le cardinal. Je demande si un semblable conseil annonçait le moindre sentiment de l'honneur du trône et de la gloire du roi. On sait que les juges balançaient à condamner de Thou, dont le seul crime était de n'avoir pas révélé la conspiration; mais le cardinal exigea sa condamnation. De Thou faisait un raisonnement qui ne permettait aucune réplique. Comment, disait-il, aurais-je pu accuser le frère du roi, sans avoir aucune preuve? C'est alors que j'eusse été vraiment coupable. De Thou était fils et petit-fils de trois magistrats, présidents et premiers présidents du parlement de Paris, et qui avaient rendu les plus grands services à l'Etat et à la couronne; mais aucune considération n'arrêtait le cardinal.

Richelieu jouissait alors du bonheur de pousser aussi loin qu'il le pouvait désirer, son triomphe

sur ses ennemis. Faible et malade, portant dans son sein le germe de la mort qui le menaçait, il avait traîné à sa suite les accusés dans un bateau

sur le Rhône. Prêtre et cardinal, il donna cet étrange spectacle à la France.

pas

J'ai dit que Richelieu n'avait de principe fixe dans sa conduite envers les grands. Nous allons voir que non seulement il les élevait pendant qu'ils lui étaient attachés, mais encore qu'il souffrait alors dans leur conduite des violations à leurs devoirs et des fautes graves contre les intérêts du roi. C'est une nouvelle preuve que le cardinal n'avait d'autre chose en vue que sa grandeur personnelle et le maintien de son pouvoir. Il peint, dans ses Mémoires, l'intimité qui régnait entre Montmorenci et lui avant sa révolte.

pas

Il ajoute que l'autorité de Montmorenci était si grande dans son gouvernement, qu'il y avait levé, sur ses ordonnances, plus de 22 millions. Il suffit de lire cette somme exorbitante, pour penser que cette accusation est fausse, ou que Richelieu était bien coupable de tolérer une pareille exaction. Henri IV avait défendu toute levée d'impôts faite par les gouverneurs. Le cardinal tolérait donc une grave infraction aux lois par M. de Montmorenci, tant qu'il le crut son ami. Il n'avait donc pas de maximes constantes

pour la grandeur du roi et le bonheur des peuples; il ne connaissait donc que ses intérêts et ceux de ses amis, et surtout la conservation de son pouvoir.

Il en fut de même du maréchal de Marillac. Richelieu lui reproche un nombre infini de concussions qu'il connaissait, sur l'une desquelles il prétend même l'avoir averti; mais il les toléra, jusqu'au moment où il le crut lié à la reine-mère et à MONSIEUR, contre son autorité; alors il fut terrible envers lui et envers son frère, le gardedes-sceaux, et il alla rechercher dans sa conduite passée les choses qu'il avait permises ou tolérées.

Lorsqu'après beaucoup de négociations, MoNSIEUR rentra en France, Puy-Laurens reçut tous les honneurs et les places fortes dont j'ai parlé, le titre de duc et pair, et épousa une nièce du cardinal. Dira-t-on qu'il ne pouvait trop payer le retour de MONSIEUR en France? Je le veux; mais au moins faudrait-il qu'un si habile homme eût si bien pris ses mesures, qu'elles fussent suivies du succès. C'est ce qui n'arriva point. Puy-Laurens fut arrêté l'année suivante, sur le soupçon d'une nouvelle intelligence avec les Espagnols. Le cardinal n'en donne aucune preuve. PuyLaurens mourut dans sa prison, après quatre mois de captivité.

Quand un ministre se conduit d'après les lois, et d'après toutes les règles de la probité, il faut le juger sur sa conduite et non sur le succès. Il faut alors examiner si les obstacles qu'il rencontra pouvaient être surmontés. Mais lorsqu'un homme se met, comme le cardinal, au-dessus des lois et de la justice, le succès seul peut l'absoudre, ou du moins engager à oublier ses fautes en considération de son habileté. Or, il ne réussit pas plus envers Puy-Laurens qu'envers Ornano, Marillac et Cinq-Mars, quoiqu'il les comblât de biens et d'honneurs. Il n'eut pas plus de succès dans sa conduite envers les deux reines et envers MONSIEUR.

Un des actes les plus tyranniques de son pouvoir, fut l'emprisonnement du maréchal de Bassompierre. Honoré de l'amitié personnelle d'Henri IV et de Louis XIII, après les services les plus signalés rendus à l'Etat, et même à Richelieu, Bassompierre fut emprisonné sur de simples soupçons d'avoir quelqu'attachement pour le frère du roi. Il fut retenu huit ans à la Bastille. Pendant sa captivité, le cardinal ne rougit pas d'emprunter deux fois sa maison de campagne, et d'en jouir quelque temps. Bassompierre fut obligé de prier Mme de Nemours, à qui il l'avait prêtée, de la céder au cardinal. Dans le même temps on pillait

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