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CHAPITRE V.

Etat de l'esprit public. Lettre de M. de Narbonne au duc de Brunswick. L'assemblée en permanence. Licenciement de la garde royale. Décret d'accusation contre son commandant le duc de Brissac. Rapport du ministre de la justice Duranthon sur la presse. Sa faiblesse. Mort du général Gouvion. Honneurs rendus à sa mémoire. Conduite du général Dumouriez. Quatre nouveaux ministres. Le directoire de Paris vient avertir de l'état de la capitale. Horrible pétition d'une députation armée de piques. Bonne conduite de trois bataillons de gardes nationaux de la Gironde. Attentat du 20 juin contre le roi.

AVANT de discuter l'affaire du prétendu comité autrichien, l'assemblée porta la peine de la déportation contre les prêtres qui refuseraient le serment nouveau prescrit par l'Assemblée consti

quante. Les orateurs du côté droit parlèrent avec force contre cette mesure; ils furent secondés par M. Pastoret, qui depuis ces temps les défendit avec le même courage dans le conseil des Cinq-Cents. L'un des membres du centre, M. Sédillez, fit entendre cette énergique expression: « Vous avez aboli la question dans les accusations criminelles; le serment que vous exigez est la question des âmes; et les menaces de la déportation, placées à côté du serment, sont les coins que vous enfoncez avec cruauté. » M. Dalmas s'opposa au décret par le discours le plus vigoureux. M. Crestin eut la même fermeté. J'essayai de détourner le coup terrible qui menaçait les prêtres, en proposant, d'après les lois anglaises, d'exiger d'eux une simple promesse de ne point troubler la paix publique; mais cette proposition, suggérée par l'humanité, ne fit pas la moindre impression sur l'assemblée. Le décret de déportation fut porté quelques jours après, malgré une violente opposition du côté droit. Le roi refusa sa sanction. Une chose aussi certaine que déplorable, c'est que ce refus éloigna du roi cette immense multitude d'hommes faibles qu'effrayait la moindre résistance opposée aux factieux. Aucune considération ne pouvait engager le roi à sanctionner cet horrible décret. Il fut digne de lui

même en le rejetant; mais cette noble fermeté augmenta les dangers de sa situation : elle devenait tous les jours plus terrible.

Les factieux marchaient avec une rapidité effrayante. Mais qu'on ne s'y trompe pas : ce n'était pas la marche assurée, de conspirateurs déterminés; c'étaient des criminels tremblants d'être punis, et que la frayeur poussait aux propositions les plus extrêmes. Ils confirmaient la justesse de ce proverbe populaire : « Rien de pis qu'un poltron révolté. » Les royalistes courageux sentaient bien qu'on ne pouvait sortir de cet état affreux que par un mouvement violent; ils commençaient à désirer une crise, pendant que le roi conservait encore un reste de pouvoir, qu'il était environné de sa garde, et que l'esprit général des armées permettait de fonder quelque espérance sur elles. Je répéterai ici ce que j'ai déjà dit : l'autorité ne peut sortir d'une crise si violente qu'en faisant naître elle-même la crise salutaire qui peut la sauver. Si elle la fait naître, elle peut la préparer et la diriger; mais si elle l'attend, elle se perd elle-même. Le moment était encore favorable : l'inquiétude générale augmentait touts les jours; l'assemblée s'était déclarée en permanence, et avait ordonné au maire de Paris de lui rendre compte chaque jour de la situation de cette grande

ville. Ses rapports n'étaient pas rassurants; mais il ne pouvait dissimuler les craintes que lui ins-` piraient les mouvements et l'indignation des roya

listes.

Les royalistes étaient donc encore redoutables aux factieux ; on pouvait donc encore se servir de leur courage, et faire tourner leur indignation au salut de l'Etat. Ces royalistes étaient touts les bons citoyens de Paris, et la plus grande partie de la garde nationale. Je ne puis trop le redire je commettrais une injustice envers ces bons et nombreux habitants, si je ne répétais pas que la moindre résolution qui les eût ralliés aurait fait de ces jours affreux les plus beaux et les plus glorieux jours de la France. Le grand Henri, avec trois mille hommes, en attaquait quarante mille dans les champs d'Arques; il fut vainqueur par sa volonté de vaincre ou de périr.

Ce fut alors que les jacobins dénoncèrent la garde royale, et demandèrent son licenciement. Bazire fit sur ce sujet un rapport au nom du comité de surveillance: c'était annoncer d'une manière bien positive les desseins formés contre le roi par cette exécrable faction. Elle voulait le réduire à un état de faiblesse absolue, de façon que la moindre attaque pût le précipiter du trône. Le côté droit opposa au licenciement de la garde

la plus vigoureuse résistance. MM. Dumas, Jaucourt, Becquey, Foudières, Dalmas et Daverhoult, parlèrent, ainsi que M. Ramond, avec beaucoup de courage. M. Calvet, en parlant des infâmes délations sur lesquelles s'appuyait le comité, déclara à l'assemblée qu'elle lui rappelait le temps des Séjan et des Tibère : il fut envoyé à la prison de l'Abbaye. On demanda le décret d'accusation contre M. le duc de Brissac, commandant de la garde royale; il fut rendu au milieu des cris et des fureurs. Les auteurs principaux de cette abominable accusation ont touts péri sur l'échafaud.

Le roi eut d'abord le dessein de ne point sanc tionner le décret du licenciement. Il avait écrit une lettre pour annoncer son refus à l'assemblée; les ministres refusèrent de la contresigner. Il leur proposa de changer cette lettre en un discours qu'il irait prononcer dans l'assemblée; touts refusèrent de l'y accompagner: ils lui peignirent vivement la prétendue animosité du peuple contre sa garde, et lui exprimèrent des craintes sur la sûreté de la reine et de sa famille, si ce décret fatal n'était pas sanctionné. Le roi s'y détermina. Il n'aurait pu refuser cette sanction qu'avec la résolution d'en appeler à son épée, de se mettre à la tête de cette même garde et des régiments

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