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demander la convocation des Etats-Généraux. Il est impossible que ces pénibles souvenirs ne se soient pas perpétués dans la magistrature. Pour croire qu'ils n'ont laissé aucune trace, il faudrait ne pas connaître la constance dans les mêmes principes qu'a toujours manifestée le parlement de Paris. Richelieu, qui parle souvent de la légèreté des Français, aurait dû remarquer que le parlement de Paris était bien différent. Il aurait dû craindre d'enraciner par le despotisme le désir de l'indépendance. C'est ce qui devait arriver. Aussi, quand le cardinal de Retz a voulu peindre les troubles de la Fronde, il n'a pu en rechercher les causes, sans remonter au ministère du cardinal de Richelieu.

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<< Ce ministre, dit-il, fit, pour ainsi parler, un << fonds de toutes les mauvaises intentions et de << toutes les ignorances des deux derniers siècles, « pour s'en servir suivant ses intérêts. Il les déguisa en maximes utiles et nécessaires, pour «< rétablir l'autorité royale; et la fortune secon<< dant ses desseins, il forma, dans la plus légi<< time des monarchies, la plus scandaleuse et la plus dangereuse tyrannie qui ait peut-être ja<< mais asservi un Etat. >>

On a dit et répété souvent qu'il avait préparé la grandeur de Louis XIV. Cette phrase me pa

raît manquer de justesse. Il prépara les troubles de la Fronde. En effet, ce parlement qu'il avait tant outragé, n'en fut que plus puissant après sa mort. Je vous prie de remarquer cet effet de sa tyrannie.

Le parlement eut une grande autorité pendant les troubles de la régence; il fut soutenu par la capitale, et alternativement par les princes et les plus grands seigneurs; plusieurs parlements de province s'unirent à lui; il fut l'âme et le centre de touts les évènements; il accusa le cardinal Mazarin, premier ministre. Cet étranger avait porté les outrages envers le parlement plus loin encore que Richelieu. Il avait fait saisir par des archers le président Barrillon, et l'avait enfermé à Pignerol. Le parlement le poursuivit, le fit sortir du royaume; il força la régente à donner une déclaration par laquelle l'entrée du conseil était interdite aux étrangers, et même aux cardinaux français. Elle fut enregistrée au parlement. Cette dernière clause était évidemment dictée par le souvenir de la tyrannie du cardinal de Richelieu. Touts les détails de l'histoire de la régence prouvent que le parlement était toujours occupé de ces souvenirs, excité et entraîné par eux. La tyrannie de Richelieu, présente à la mémoire des grands et des magistrats, fit examiner des droits

qu'on n'avait jamais contestés, et discuter des questions dont on ne s'était pas encore occupé.

« Aussitôt, dit le cardinal de Retz, que le par<«<lement eut seulement murmuré, tout le monde « s'éveilla. On chercha comme à tâtons les lois; <«< on ne les trouva plus. L'on s'effara, l'on cria, « l'on se demanda; et dans cette agitation, les « questions que leurs explications firent naître, « d'obscures qu'elles étaient, et vénérables par « leur obscurité, devinrent problématiques; et << dès-lors odieuses, à l'égard de la moitié du « monde. Le peuple entra dans le sanctuaire; il « leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce << que l'on peut dire et tout ce que l'on peut << croire du droit des peuples et de celui des rois, «< qui ne s'accordent jamais si bien ensemble que « dans le silence. La salle du palais profana ces << mystères. >>

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Après une si haute leçon donnée par l'histoire, travaillez à affaiblir les grands corps de l'État, énervez les caractères, proscrivez les pensées magnanimes, étouffez les plaintes; vous aurez un temps de calme et d'engourdissement; mais attendez-vous ensuite à l'orage le plus terriblé. Les choses humaines ne peuvent aller au

trement.

Soyez nobles au contraire, fermes, décidés

dans la route de la grandeur du prince et de la patrie, marchez vers ces deux belles sommités; vous y parviendrez; et là, malgré les fautes inséparables de la faiblesse humaine, vous verrez avec satisfaction que ces fautes n'auront aucun résultat funeste, ni pour le présent, ni pour l'avenir, parce que rien de funeste ne peut résulter des plans conçus et suivis dans la pensée des grandeurs du monarque et de la patrie. Or, rien de plus faible, de plus misérable, que d'intimider, d'affaiblir les grands corps de l'Etat; rien de plus généreux que de les élever, de les consulter noblement, de les exciter même, s'il le faut, aux pensées magnanimes. C'est alors seulement qu'on peut les diriger.

Pour vous convaincre de l'inhabileté frappante qui éclate dans le plan suivi par le cardinal, voyez les fruits immédiats de sa tyrannie. Ce parlement, qu'il avait humilié, et qui vainement avait invoqué les lois sous son ministère, rappelle ces lois peu de mois après sa mort, les examine, va plus loin qu'elles, s'occupe des droits du peuple et du monarque, et commence, peu de mois après la mort du cardinal, le même examen qu'il a continué dans les dernières années de Louis XV, et qu'il acheva peu d'années avant la révolution. Remarquez que lorsque cette mar

che d'un parlement humilié, mais non abattu,› amena la crise de 1789 contre la couronne, les grands, humiliés et abattus, ne purent rien pour soutenir la couronne.

Tels furent les véritables effets de la tyrannie du cardinal; ils avaient des racines profondes; ils furent suspendus sous Louis XIV par la grandeur de son caractère, par une habileté d'instinct qui était en lui, qui n'appartenait qu'à lui et qui devait disparaître avec lui. Sous la régence du duc d'Orléans, une lutte violente s'éleva entre le régent et le parlement. Il fallut bien que le peuple s'accoutumât à ne voir ses défenseurs que dans les magistrats. Richelieu avait préparé et forcé par sa tyrannie cette confiance du peuple dans le parlement.

Le parlement cesse de rendre la justice en 1770. Il est soutenu par la plupart des princes et des pairs. Sommé de reprendre ses fonctions, il refuse. Les parlements sont détruits; de nouvelles cours les remplacent.

Les princes du sang, excepté un seul, et treize pairs du royaume protestent contre ces change

ments.

Louis XVI rappelle les parlements. Ces grands corps ne cessent de demander les Etats-Généraux. Ils sont convoqués pour combler un déficit

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