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J'y trouvois alors peu d'appas,
Et leur en vis fans joye accroiftre ma famille.
Mais mon cœur ainfi que mes yeux

S'eft fait de ce present une douce habitude ·
J'ay mis quinze ans de foins, de veilles, & d'étude,
A me le rendre precieux;

Je l'ay paré de l'aimable richeffe
De mille brillantes vertus;

En luy j'ay renfermé par des foins affidus
Tous les plus beaux trefors que fournit la fageffe;
A luy j'ay de mon ame attaché la tendreffe,
J'en ay fait de ce cœur le charme & l'allegreffe,
La confolation de mes fens abbatus,

Le doux espoir de ma vieilleffe.

Ils m'oftent tout cela, ces Dieux,
Et tu veux que je n'aye aucun fujet de plainte,
Sur cet affreux Arreft dont je fouffre l'atteinte ?
Ah! leur pouvoir fe joue avec trop de rigueur
Des tendreffes de noftre cœur :

Pour m'ofter leur prefent, leur falloit-il attendre
Que j'en euffe fait tout mon bien?

Ou plutoft, s'ils avoient deffein de le reprendre,
N'euft-il pas efté mieux de ne me donner rien?
PSICHE.

Seigneur, redoutez la colere

De ces Dieux contre qui vous ofez éclater.
LE ROY.

Aprés ce coup que peuvent-ils me faire ?
Ils m'ont mis en eftat de ne rien redouter.

PSICHE'.

Ah, Seigneur, je tremble des crimes

Que je vous fais commettre, & je dois me haïr. ... LE ROY.

Ah, qu'ils fouffrent du moins mes plaintes legiti

mes,

Ce m'eft affez d'effort que

Tome VI.

de leur obeïr:

L

Ce doit leur eftre affez que mon cœur t'abandonne,
Au barbare refpect qu'il faut qu'on ait pour eux,
Sans pretendre gefner la douleur que me donne
L'épouventable Arreft d'un fort i rigoureux.
Mon jufte defefpoir ne fçauroit fe contraindre,
Je veux, je veux garder ma douleur à jamais,
Je veux fentir toûjours le perte que je fais,
De la rigueur du Ciel je veux toûjours me plaindre;
Je veux jufqu'au trépas inceffamment pleurer
Ce que tout l'Univers ne peut me reparer.
PSICHE'.

Ah, de grace, Seigneur, épargnez ma foibleffe,
J'ay befoin de conftance en l'eftat où je suis :
Ne fortifiez point l'excez de mes ennuis

Des larmes de voftre tendreffe;

Seuls ils font affez forts, & c'est trop pour mon

cœur,

De mon deftin & de voftre douleur.

LERO Y.

Qui, je doy t'épargner mon deüil inconsolable,
Voicy l'inftant fatal de m'arracher de toy:
Mais comment prononcer ce mot épouvantable 2
Il le faut toutefois, le Ciel m'en fait la loy;
Une rigueur inévitable
M'oblige à te laiffer en ce funefte lieu.
Adieu, je vais ... Adieu

Ce qui fuit jufqu'à la fin de la Piece, eft de Monfieur de Corneille l'aifné, à la referve de la premiere Scene du troifiéme Acte, qui eft de la mefme main que se qui a précedé.

SCENE

I I.

PSICHE, AGLAURE, CIDIPPE.

PSICHE'.

Uivez le Roy, mes fœurs, vous effuyrez fes lar

Suive

mes,

Vous adoucirez fes douleurs,

Et vous l'accableriez d'alarmes

Si vous vous expofiez encore à mes malheurs.
Confervez-lui ce qui lui refte

Le ferpent que j'attens peut vous eftre funefte,
Vous envelopper dans mon fort,
Et me porter en vous une feconde mort.
Le Ciel m'a feule condamnée
A fon haleine empoisonnée,

Rien ne fçauroit me fecourir,

Et je n'ay pas besoin d'exemple pour mourir.

AGLAURE.

Ne nous enviez pas ce cruel avantage
De confondre nos pleurs avec vos déplaifirs,
De mefler nos foûpirs à vos derniers foûpirs ;
D'une tendre amitié fouffrez ce dernier gage.

PSICHE'.

C'eft vous perdre inutillement.

CIDIPPE.

C'est en voftre faveur efperer un miracle,
Ou vous accompagner jufques au monument.

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PSICHE'.

Que peut-on fe promettre aprés un tel Oracle?

AGLAURE.

Un Oracle jamais n'eft fans obscurité,

On l'entend d'autant moins que mieux on croit l'entendre,

Et peut-eftre, aprés tout, n'en devez-vous attendie
Que gloire & que felicité.

Laiffez-nous voir, malœur, par une digne iffuë,
Cette frayeur mortelle heureusement deceuë,
Ou mourir du moins avec vous,

Si le Ciel à nos vœux ne fe montre plus doux.

PS ICHE'.

Ma fœur, écoutez mieux la voix de la nature,
Qui vous appelle auprés du Roy.

Vous m'aimez trop, le devoir en murmure,
Vous en fçavez l'indifpenfable loy;

Un pere vous doit cftre encor plus cher,
que moy.
Rendez-vous toutes deux l'appuy de sa vieilleffe,
Vous luy devez chacun un gendre, & des neveux,
Mille Rois à l'envy vous gardent leur tendreffe,
Mille Rois à l'envy vous offriront leurs vœux:
L'Oracle me veut feule, & feule auffi je veux
Mourir, fi je puis, fans foiblesse,
Ou ne vous avoir pas pour témoins toutes deux
De ce que malgré moy la Nature m'en laiffe.

AGLAURE.

Partager vos malheurs, c'est vous importuner?

CIDIPPE.

J'ofe dire un peu plus, ma fœur, c'eft vous déplaire ?

PSICHE'.

Non, mais enfin c'est me gefner, Et peut-eftre du Ciel redoubler la colere.

AGLAURE.

Vous le voulez, & nous partons.
Daigne ce mefme Ciel plus jufte & moins fevere,
Vous envoyer le fort que nous vous fouhaitons,
Et que noftre amité fincere
En dépit de l'Oracle & malgré vous espere.

PSICHE'.

Adieu, c'eft un efpoir, ma Sœur, & des fouhaits
Qu'aucun des Dieux ne remplira jamais.

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