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OCTAV E.

Tu fçais, Scapin, qu'il y a deux mois que le Sei gneur Geronte, & mon Pere, s'embarquerent enfemble pour un Voyage qui regarde certain commerce où leurs interefts font mêlez.

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Et que Leandre & moy nous fûmes laiffez par nos peres; moy fous la conduite de Silveftre, & Leandre fous ta direction.

ge.

SCAPIN.

Oui, je me fuis fort bien acquité de ma char

OCTAVE.

Quelque temps aprés, Leandre fit rencontre d'une jeune Egyptienne dont il devint amoureux. SCAPIN.

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Comme nous fommes grands amis, il me fit aufhi-toft confidence de fon amour, & me mena voir cette fille, que je trouvay belle à la verité, mais non pas tant qu'il vouloit que je la trouvaffe. Il ne m'entretenoit que d'elle chaque jour; mˆexageroit à tous momens fa beauté & la grace; me loüoit fon efprit, & me parloit avec transport des charmes de fon entretien, dont il me rapportoit jusqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforçoit toûjours de me faire trouver les plus fpirituelles du monde. Il me querelloit quelquefois de n'eftre pas affez fenfible aux chofes qu'il me venoit dire, & me blâmoit fans ceffe de l'indifference où j'eftois pour les feux de l'amour.

SCAPIN.

Je ne voy pas encore où cecy veut aller.

OCTAVE.

nous

Un jour que je l'accompagnois pour aller chez les gens qui gardent l'objet de fes vœux, entendîmes dans une petite maifon d'une ruë écartée, quelque plaintes meflées de beaucoup de fanglots. Nous demandons ce que c'eft. Une femme nous dit en foûpirant, que nous pouvions voir là quelque chofe de pitoyable en des perfonnes étran geres; & qu'à moins que d'eftre infenfible, nous en ferions touchez.

SCAPIN.

Où eft-ce que cela nous meine?
OCTAVE.

La curiofité me fir preffer Leandre de voir ce que c'eftoit. Nous entrons dans une Salle; on nous voyons une vieille femme mourante, affiftée d'une Servante qui faifoit des regrets, & d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle, & la plus touchante qu'on puiffe jamais voir.

Ah, ah.

SCAPIN.

OCTAVE.

Une autre auroit paru effroyable en l'eftat où elle eftoit; car elle n'avoit pour habillement qu'une méchante petite Jupe, avec des braffieres de nuit qui eftoient de fimple futaine; & fa coiffure eftoit une Cornette jaune, retrouffée au haut de fa tefte, qui laiffoit tomber en defordre, fes cheveux fur fes épaules; & cependant faite comme cela, elle brilloit de mille attraits, & ce n'eftoit qu'agrémens & que charmes, en toute fa perfonne.

SCAPIN,

Je fens venir les choses.

OCTAVE.

Si tu l'avois veuë, Scapin, en l'eftat que je dy, tu l'aurois trouvée admirable.

SCAPIN.

Oh je n'en doute point; & fans l'avoir veuë, jet voy bien qu'elle eftoit tout-à-fait charmante.

OCTAVE.

Ses larmes n'eftoient point de ces larmes defagreables, qui défigurent un vifage. Elle avoit à pleurer, une grace touchante; & fa douleur eftoit la plus belle du monde.

Je voy tout cela.

SCAPIN.

OCTAV E.

Elle faifoit fondre chacun en larmes, en fe jettant amoureusement fur le corps de cette mourante qu'elle appelloit fa chere mere ; & il n'y avoit perfonne qui n'euft l'ame percée, de voir un fi bon naturel.

SCAPIN.

En effet, cela eft touchant, & je voy bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.

OCTAVE.

Ah! Scapin, un Barbare l'auroit aimée.

SCAPIN

Affarément. Le moyen de s'en empefcher.

OCTAVE.

Aprés quelques paroles, dont je tâchay d'adoucir la douleur de cette charmante Affligée, nous fortîmes de-là; & demandant à Leandre ce qu'il· Juy fembloit de cette perfonne, il me répondit froidement qu'il la trouvoit affez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en parloit, & je ne voulus point luy découvrir l'effet que fes beautez

avoient fait fur mon ame.:.

SILVESTRE.

Si vous n'abregez ce recit, nous en voila pour jufqu'à demain. Laiffez le moy finir en deux mots. Son cœur prend feu dés ce moment. Il ne sçauroit plus vivre, qu'il n'aille confoler fon aimable affligée. Ses frequentes vifites fon rejettées de la Servante, devenue la Gouvernante par le trépas de la mere; voilà mon homme au defefpoir. Il preffe, fupplie, conjure; point d'affaire. On luy dit que la fille, quoy que fans bien & fans appuy, eft de famille honnefte; & qu'à moins que de l'époufer, on ne peut fouffrir les pourfuires. Voilà son amour augmenté par les difficultez. Il confulte dans la tête, agite, raifonne, balance, prend fa refolution: Le voilà marié avec elle depuis trois jours.

J'entens.

SCAPIN.

SILVESTRE.

Maintenant mets avec cela le retour impreveu du pere, qu'on n'attendoit que dans deux mois; La découverte que l'Oncle à fait du fecret de noftre Mariage, & l'autre Mariage qu'on veut faire de luy avec la fille que le Seigneur Geronte a euë d'une feconde femme qu'on dit qu'il a épousée à Taren

te.

OCTAVE.

Et par deffus tout cela, mets encore l'indigence où fe trouve cette aimable Perfonne, & l'impuiffance où je me voy d'avoir dequoy la fecourir.

SCAPIN

Eft-ce là tout? Vous voilà bien embarrassez tous deux pour une bagatelle. C'eft bien là de quoy

te

fe tant allarmer. N'as-tu point de honte, toy de demeurer court à fi peu de chofe? Que diable, voilà grand & gros comme pere & mere, & tu ne fçaurois trouver dans ta tefte, forger dans ton ef prit quelque rufe galante, quelque honnefte perit Atratagême, pour ajufter vos affaires : Fy. Pefte foit du butor. Je voudrois bien que l'on m'eust donné autrefois nos Vieillards à duper ; je les auIois jouez tous deux par deffous la jambe; & je n'eftois pas plus grand que cela, que je me fignalois déja par cent tours d'adreffe jolis.

SILVESTRE.

J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talens, & que je n'ay pas l'efprit comme toy de me brouiller avec la Juftice.

OCTAVE.

Voicy mon aimable Hiacinte.

SCENE III.

HIACINTE, OCTAVE, SCAPIN,

SILVESTRE.

HIACINTE.

H, Octave, eft-il vray ce que Silveftre vient

A de dire à Nerine, que voftre pere eft de re

tour, & qu'il veut vous marier?

OCTAV E.

Oui, belle Hiacinte, & ces nouvelles m'ont donné une atteinte cruelle. Mais que voy-je ? vous pleurez ! Pourquoy ces la rmes

nez-vous, dites-moy, de quelque

Me foupçoninfidelité, &

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