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CHAPITRE IV.

Position de Janina. - État de ses forteresses.

Incendie.

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Anathème

Pachô bey salué pacha sous le nom d'Ismaël. contre Ali promulgué. - Bravade. Désespoir. Consolé par les aventuriers. —Vingt-six pachas arrivent au camp d'Ismaël. - Résignation des Grecs. Le pacha de Négrepont entre dans la Béotie; désole cette province. - Les Grecs se méfient des Hétéristes. —Veulent rester fidèles au sultan; sont réduits au désespoir par Ismaël pacha. —Armée du Romili vali-cy. Correspondance des Hétéristes avec Ali. Noms de quelques chefs de cette association. Odyssée sort de la forteresse d'Ali, passe au camp des impériaux. Sa fuite.

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JANINA est enveloppée à l'occident, par la courbe

la plus élevée du mont Paktoras, qui expire audessous de l'église de Périlepti, et à l'orient par le lac supérieur de la Hellopie, dont les eaux baignent la base de la partie du Pinde appelée Mitchikeli. Dans la région septentrionale de ce bassin s'élève une île couverte de sept monastères et d'un village près duquel le rebelle avait fait bâtir une redoute et des magasins pour contenir ses munitions de guerre. Un cap, formant l'extrémité orientale de la falaise du mont Paktoras, séparé de la ville par un fossé navigable, communiquant à ses deux extrémités avec le lac, renferme une forteresse, qui est dominée par le château de Litharitza, d'où l'on commande l'étendue entière de la

ville. Une artillerie, composée de deux cent cinquante bouches à feu, couvrait ces trois places, qui étaient l'île, Litharitza, et le château du lac. Le satrape de l'Épire s'était réfugié dans cette dernière forteresse après la défection de son armée; et, resté maître de la navigation du lac, au moyen d'une escadrille de chaloupes canonnières montées par des Corfiotes du faubourg de Mandoukio, il conservait des moyens puissants de résistance. Ali avait prévu l'évènement qui était arrivé, et décidé à se défendre dans ses châteaux, après avoir détruit Janina, qui pouvait offrir des logements à l'ennemi, il ne déguisa plus cette résolution. Les Janiotes, de leur côté, ne pensèrent qu'à dérober leur fortune ainsi que leurs familles aux flammes et à l'avidité des Albanais.

Dès qu'on aperçut l'armée ottomane campée sur le Dryscos, le lac fut aussitôt couvert de barques chargées de femmes et d'enfants, qu'on transportait du côté de Pérama pour les conduire dans le Zagori, en prolongeant les lacs que les Osmanlis n'avaient pas encore tournés. Cependant la plupart des habitants faisaient encore leurs préparatifs de départ lorsque le tyran permit à ses troupes le pillage d'une ville qu'il ne pouvait plus conserver. Aussitôt les maisons furent envahies par une soldatesque effrénée. La métropole, où les Grecs et les Turcs déposaient, comme les anciens le faisaient, dans les temples des dieux (1), argent, bijoux,

(1) On y déposait des trésors. Strab. lib. XIV. Xiphilin in

contrats, billets à ordre, et jusqu'à des marchandises de prix, devint le premier but de la rapacité. On brisa les armoires qui renfermaient le vestiaire sacré; on ouvrit les tombeaux des archevêques, où l'on avait caché des reliquaires enrichis de pierres précieuses; le sacrarium (1) du temple de l'Éternel fut teint du sang des brigands, qui en vinrent aux mains pour se disputer les calices et les lampes en vermeil. La ville offrait un spectacle non moins déplorable: chrétiens ou turcs étaient également frappés. Les harems et les gynécées (2) offraient le tableau de la pudeur aux prises avec la violence. Tout retentissait de gémissements, de cris, et du bruit des armes de ceux qui défendaient leurs foyers contre les pillards, quand une détonation, suivie de sifflements prolongés, annonça la destruction de Janina.

Soudain une grêle de bombes, d'obus, de grenades et de fusées à la Congrève, portent la dévastation dans les divers quartiers de la ville, qui, au bout de deux heures, n'offrit que le spectacle d'un

Commod. dit que c'étaient des entrepôts publics, et que la foudre ayant tombé sur le temple de la paix, les marchandises des Égyptiens et des Arabes y furent brûlées. César, Auguste, Antoine, avaient déposé leurs testaments dans le temple de Vesta. Suet. c. 83 et 101.

(1) Ce lieu, qui est l'enceinte de l'autel, est appelé Bñμa et Adurov. Il n'est permis qu'aux prêtres et autrefois à l'empereur d'y entrer. V. Synod. Trullan., can. 69.

(2) Gynécées, appartements des femmes; c'est le synonyme de harem pour les Grecs.

vaste incendie. Ali Tébélen, assis sur la plate-forme d'une des tours de son château, commandait les manœuvres en désignant les endroits que les flammes tardaient à envahir; et, à sa voix redoutable, la mort étendit ses coups aussi loin que portait l'artillerie de ses forteresses. Le donjon de Litharitza vomissait des globes de feu qui réduisirent en cendres le palais de Mouctar, dans lequel ses femmes manquèrent de périr. La partie septentrionale de la ville, où se trouvait le consulat de France, jusqu'au cimetière des Juifs, présentait l'aspect d'un volcan au fort de son éruption. L'hôpital, la bibliothèque de la ville, la bibliothèque plus précieuse des frères Balano (1); le collége, le cabinet de physique furent anéantis; enfin, depuis la métropole jusqu'à l'église de Sainte- Marine, une lave de décombres embrasés engloutit les bazars, les bezestins, la poste aux chevaux, les mosquées, les bains publics, et une multitude d'édifices qui aboutissaient à la porte de Calotchesmè, où il ne resta debout que les fourches patibulaires, monument héroïque du despotisme oriental.

Les Janiotes, qui étaient parvenus à se dérober au désastre, en traînant à leur suite des hommes à demi-brûlés ou mutilés par les éclats des bombes, des femmes chargées de leurs enfants, des vieillards affaiblis par l'âge, avaient à peine dépassé l'enceinte palissadée du mont Paktoras, qu'ils fu

(1) Ils avaient recueilli depuis un demi- siècle une foule de manuscrits et d'inscriptions intéressantes pour l'histoire.

rent assaillis par les coureurs de l'armée ottomane. Loin de protéger des infortunés échappés au carnage, les Kersales fondent sur eux, les dépouillent, arrachent de leurs bras les femmes, les adolescents, et les chrétiens ne trouvent, dans le camp de leurs prétendus libérateurs, que l'opprobre et l'esclavage.

Un cri perçant donne aussitôt un autre signal d'alarme, et la population se disperse comme une nuée d'oiseaux qui s'éparpillent pour se dérober aux serres des éperviers. Mais, où fuir? Ceux qui échappent aux Turcs, arrêtés dans les défilés par les montagnards accourus à la curée, sont dépouillés, et les masses seules parviennent à se frayer un passage. Chacun ne prenant plus conseil que de son désespoir, l'excès du malheur exalte les têtes! L'épouvante donne des forces au sexe le plus faible, des mères, portant leurs enfants à la mamelle, franchissent les escarpements du Tymphé, pour gagner les rivages de la Thesprotie; d'autres parcourent à pied, dans la durée d'un seul jour, les quatorze lieues de chemin qui séparent Janina de l'Arta; et plusieurs, saisies des douleurs de l'enfantement, expirent au milieu des forêts. De jeunes filles, après s'être défigurées, comme les vierges martyres au temps des persécutions, se cachent dans les cavernes, où plusieurs meurent de frayeur et de faim. Les défilés, les voies publiques sont jonchés de blessés, de mourants, de cadavres; et, pour les crimes d'un scélérat, une population de plus de trente mille ames est acca

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