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vre Grec d'Argos, parurent pour se recommander au consul de France. Il prit l'un sous sa protection, et paya le passage de l'Argien, qu'il fit embarquer à bord d'un de ces bateaux nommés Kirlan-guitchs ou Hirondelles, qui allait faire voile pour le Péloponèse.

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La nuit fut calme, et les échos seuls des montagnes répétaient à de longs intervalles le bruit du canon de l'armée assiégée et assiégeante de Janina. Au point du jour on partit; le page blessé reçut une monture, et on arriva à quatre heures du soir à Parga. « Mes yeux se sont remplis de larmes en << entrant dans cette ville, la plus pittoresque du « monde. Parga, occupée par huit cents familles « chrétiennes, n'en possède plus maintenant que vingt, dont huit seulement appartiennent à l'an<«< cienne population, Elles se sont cantonnées « dans la même rue, comme pour se préserver de la frayeur qu'inspire naturellement une place <«< abandonnée. L'eau de la grande source, ap<< portée sur les hauteurs de l'acropole, n'étant plus contenue, déborde à travers les rues qu'elle dégrade, pour se creuser un lit, d'où elle tombe << en cascade dans la mer. On lit inscrits sur quel<< ques murs des anathèmes éternels contre les Anglais, et les habitants vendus par eux à l'iniquité d'Ali Tébélen ont tracé des croix sur leurs << portes, comme pour protester contre l'occupation « des barbares (1). »

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(1) Extrait du journal de M. H. Pouqueville.

Prévésa, l'Acarnanie et l'Étolie furent les villes et les contrées que M. Hugues Pouqueville visita jusqu'à Missolonghi, d'où il passa par mer à Patras, où il débarqua le 16 décembre. Notre commun ami M. Dubouchet Saint-André, nommé au consulat de Prévésa, l'y attendait, et après lui avoir remis ses instructions, ce loyal serviteur du Roi prit aussitôt le chemin de l'Épire. Ce fut ainsi que se trouvèrent placées les deux sentinelles perdues de la diplomatie du Roi de France, qu'on verra figurer au milieu des scènes de désolation qui ne tardèrent pas à couvrir la Grèce.

Celle qui semblait alors en première ligne était occupée par le chevalier Dubouchet Saint-André, qui ne semblait être accouru du fond de l'Argolide, où il était consul, que pour assister au dénouement du drame de l'Épire. L'alarme, ainsi que l'avait dit le Thesprote de la douane de Sayadèz, régnait dans le camp d'Islam.

Dès qu'on eut perdu de vue les Souliotes, des cris de rage éclatèrent dans l'armée ottomane. On exposa publiquement les cadavres des musulmans tombés sous les coups de Botzaris, et Ismaël pacha, qui craignait les excès d'une soldatesque fanatique, ayant convoqué un grand divan, les pachas, plus empressés d'y accourir qu'au combat, s'y rendirent en hâte. Jamais Agamemnon n'avait rassemblé sous sa tente tant de chefs turbulents, qui ne s'accordaient entre eux que sur un point, celui de perdre Ismaël pour succéder à son pouvoir. Voulant flatter des hommes avides de sang, il leur apprit que ses

coureurs avaient intercepté un pli du consul autrichien de Patras, adressé à Ali pacha, par lequel il l'informait qu'il avait expédié à Pétersbourg l'envoyé porteur de dépêches qu'il lui avait recommandé, et qu'il eût bonne espérance. On décida de transmettre ces lettres à Constantinople, et de faire pendre sans autre information le messager, qui fut aussitôt exécuté. Le supplice de cet inconnu, qu'on disait être Polonais, ayant calmé les barbares, empressés de venger la mort de leurs camarades tués par les soldats de Botzaris, en faisant main basse sur les chrétiens employés dans l'armée, on s'occupa des affaires.

La raison et la politique conseillaient de tranquilliser la population grecque; de nouer sous main quelques négociations propres à neutraliser la diversion d'une peuplade dangereuse par sa valeur; mais on fit tout le contraire. Les têtes de Nothi et de Marc Botzaris furent mises à prix, ainsi que celles de tous les guerriers de la Selleïde, qu'on taxa à des sommes tellement exorbitantes, que l'excès de la prime du sang prouvait plus la terreur qu'ils inspiraient, que l'espérance de parvenir à les frapper. On fit ensuite intervenir l'archevêque Gabriel, auquel on ordonna d'excommunier les Souliotes, leurs villages, et jusqu'aux arbres de leurs montagnes. Le prélat ayant humblement remontré au serasker qu'avant d'allumer les cierges noirs de l'anathème, il devait employer sa médiation paternelle pour ramener les Souliotes à l'obéissance, en les admonestant au nom du Dieu commun qu'ils

adoraient: à ce nom de Dieu commun, les enfants d'Agar blasphement contre la divinité du Christ.... On commande au prélat d'obéir; il s'incline respectueusement. On le traite d'infidèle, de Caffre, de rebelle, et, les bras croisés sur sa poitrine, il reste muet comme son divin maître devant le tribunal d'Hérode. On le conspue, on le menace du gibet, et, n'en pouvant rien obtenir contre sa conscience, Gabriel est chassé de l'assemblée. Les chouas le poussent dans la cour, d'où ses diacres, qui l'attendaient, le conduisent au monastère des religieux Sinaïtes de Sainte-Catherine, que les flammes de l'incendie avaient épargné.

Non content d'affliger l'église de Janina dans la personne de son vénérable pasteur, le conseil arrêta à l'unanimité que, pour prévenir toute espèce d'insurrection, on sommerait les capitaines des Armatolis et leurs soldats de livrer leurs armes dans un délai fatal. Cela fait, le serasker, deux visirs, sept pachas et dix-huit cadis ou juges, enfants de Bélial, réunis en conseil, ne voulant pas se séparer sans dresser un acte mémorable de leur fureur, jurèrent, la main levée sur le Coran, de fixer incessamment un jour pour égorger en masse tous les chrétiens capables de porter les armes. Les Euménides avaient secoué leurs torches au milieu du divan de Pachô bey. Le fanatisme allait diriger le bras de quinze mille séides, quand Anagnoste ayant prévenu les notables d'Agrapha du dessein des Turcs, ceux qui se trouvaient au camp se dérobèrent par la fuite aux poignards.

A dater de ce jour, les primats et les capitaines Étoliens cessèrent tout rapport avec les autorités turques, et la terreur passa des Grecs alarmés au cœur des Mahométans, épouvantés d'une défection aussi soudaine que générale. Leurs inquiétudes augmentèrent encore par la disparution d'Anagnoste, qui s'enfuit avec les papiers et une partie de la caisse d'Ismaël pacha. Le génie du mal l'avait attaché à tous ceux qu'il avait servis; et le même génie nous dérobe encore la trace des pas de cet être mystérieux, qu'on perd de vue au milieu de la Valachie, où l'on sait que ses correspondances aboutissaient.

Tandis que la consternation répandue dans l'armée des impériaux aigrissait les chefs, qui ne se rassemblaient plus que pour s'accuser mutuellement d'impéritie, les Souliotes, conduits par Nothi Botzaris, entraient dans les montagnes de la Selléide. Ils les avaient saluées de mille et mille cris de joie, quand leur messager, porteur de la lettre d'Ali Tébélen adressée à son sardar (1), revint avec sá réponse. Il disait en termes polis aux chefs : qu'ils fussent les biens-venus, d'occuper toutes les positions des montagnes, à l'exception de la forteresse dont la défense lui était confiée.

Les Souliotes, qui avaient perdu de vue leur patrie depuis tant d'années, avaient déja passé l'Achéron, et, parvenus au moulin de Dâla, ils restèrent confondus en apercevant au-dessus de leurs têtes, au lieu d'une tour autrefois bâtie à Kiapha, une

(1) Châtelain.

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