Images de page
PDF
ePub

Pendant que ces choses se passaient au centre de l'Épire, Moustaï pacha s'avançait vers le Genussus. Canina, Avlone et Bérat n'attendaient que son apparition pour lui ouvrir leurs portes, lorsque des courriers, partis de Scodra, lui apprirent l'entrée des Monténégrins dans la haute Albanie. Il comprit que cette diversion, qui mettait son gouvernement en danger, était l'ouvrage d'Ali Tébélen, et son intérêt étant avant tout de veiller à sa conservation, il songea à se retirer avec la majeure partie de ses troupes pour défendre le Zadrima. Sa politique lui commandait cette démarche : elle lui conseillait l'affaiblissement d'Ali plutôt que sa destruction; car la Porte, en recouvrant la plénitude de son autorité dans les Albanies, aurait pu lui contester certaines prérogatives contraires aux droits de l'empire, qu'il s'était arrogées; on pensa même avec quelque raison qu'il n'était pas fâché de cet incident. Il rebroussa donc chemin vers Scodra, en faisant part à Selim Salonikleu (1) alors Romili vali-cy, des embarras que l'ennemi commun venait de lui susciter, et en l'invitant à pénétrer dans le Musaché.

Mouctar pacha, expédié par son père à Bérat, y arrivait au moment où les Guègues quittaient les bords de l'Apsus pour rétrograder vers le Drin, et sa prudence ne lui permit pas d'inquiéter leur marche, qui se fit sans dislocation jusqu'à Du

(1) Selim Salonikleu, Selim de Thessalonique; les Turcs sont assez accoutumés à joindre à leur nom celui de leur pays natal.

razzo, où Moustaï pacha laissa garnison. Il ordonna également d'occuper Tyranna, Elbassan, Croie, et renvoya la cavalerie des Dibres au Romili vali-cy.

Le fils d'Ali, qui dans d'autres temps aurait crié victoire, et qu'on aurait salué à son retour à Janina du titre de gazi (1); Mouctar se contenta d'informer son père de la retraite de Moustaï pacha, qui était le premier succès de ses machinations politiques.

On fut dans l'allégresse à Janina d'un évènement qui permettait d'espérer qu'on conserverait la moyenne Albanie, pays capable de procurer des ressources, qu'on ne pouvait plus tirer de la Thessalie. L'orage parut s'éloigner; Pachô bey, campé entre le Vardar et l'Haliacmon, n'avançait pas; l'escadre qui s'était montrée dans la mer Ionienne avait cinglé vers la Morée : on respira.

(1) Gazi, Tang Eтpart@Tixò, vainqueur, belliqueux, héros. Leunclav. in Onomastic. ad Hist. Turcic. et Not. ad Alex. p. 415. Dans l'acception que les Turcs lui donnent, il peut être comparé à l'imperator des Romains.

CHAPITRE III.

Composition d'une armée turque en général.

Retraite d'Odyssée. — Entrée de Pehlévan à Lépante. — Ravage l'Étolie.

[ocr errors]

- Retour d'Anagnoste auprès de lui. — S'empare de Vonitza. — Le capitana-bey soumet Port - Panorme, Canina, Avlone. Ghéortcha se rend au Romili vali-cy. — Mouctar abandonne Bérat; — se retire à Argyro-Castron. — Réflexion de ce Barbare. Réduction de Parga. Retour

-

des Souliotes dans l'Épire. - Transports qu'ils éprouvent en revoyant leurs montagnes.

[ocr errors]

Pehlévan devant Prévésa.

Prennent parti pour le sultan.

[blocks in formation]

leurs à un ami. Cause véritable de la mort de sa fille. ——

Marche de Pehlévan sur Arta.

Troupes d'Ali battues à

Krio - Nero. Arrivée d'un agent russe à Janina. — Le serasker Pachô bey passe le Pinde. — Défection générale des chefs et des troupes d'Ali. Le cheïk Jousouf abandonne l'Épire. Pachô bey retrouve sa femme et son fils. - Sacriléges et profanations de Pehlévan.

L'IDÉE la plus juste qu'on puisse se former d'une armée turque composée de contingents (je parle ici d'après ce que j'ai vu) serait de la comparer à ce que disent nos vieilles chroniques des bandes de pélerins, moitié guerriers, moitié dévots, qui se rendaient à Saint-Jacques de Compostelle, chantant des litanies, faisant rude guerre aux huguenots, et pillant les villages situés sur leur route. Ici, les huguenots sont les chrétiens qui ont toujours tort, parce qu'ils sont les opprimés, quoique les plus nombreux, et d'une religion différente de

celle du peuple conquérant. Au lieu de gens caparaçonnés de coquilles, des Kalenders, bigarrés et coiffés de bonnets pointus, montés sur des ânes en signe d'humilité, quoique l'orgueil soit partout compagnon de la besace, marchent en tête des files tumultueuses en vociférant: Allah! Allah! autant que les forces leur permettent de crier. Viennent ensuite les Délis (fous), ou cavaliers d'élite, qui battent l'estrade en pillant à plusieurs lieues à la ronde. Après eux marchent les Timariots, espèce de cavalerie nationale, affourchés sur des chevaux ou des mulets, enharnachés de bâts, les pieds passés dans des cordes en guise d'étriers; et les Spahis, dont chaque soldat, monté à sa manière, n'offre plus la régularité que ce corps présentait autrefois dans les armées turques. On voit ensuite paraître l'infanterie, qui est regardée comme le dernier corps de la milice chez un peuple dont elle fut la gloire, aux siècles de sa splendeur militaire, quand les enfants de Hadgi Bektadge firent trembler la chrétienté. Divisés par bannières, les soldats, armés de fusils sans baïonnette et de calibres différents, chargés d'énormes pistolets, de larges poignards, avec des sabres attachés en sautoir, marchent tumultueusement en élevant des nuages de poussière, d'où sort un bruit semblable au mugissement d'un troupeau de taureaux. Après l'infanterie, paraissent les Topdgis (canonniers), qui font traîner leurs pièces d'artillerie par des bêtes à cornes ou par des chrétiens qu'ils chassent à coups de fouet. Enfin, derrière ce mélange effroyable de barbares, dont les

uns chantent, et les autres tirent en l'air pour s'amuser, s'avancent les seraskers ou généraux richement vêtus, entourés d'un domestique insolent, qui annonce l'importance de ses maîtres en distribuant des coups de bâton à quiconque n'a pas soin de se tenir à une distance respectueuse. Malgré leur brutalité, c'est sous le patronage de cette valetaille prétorienne et des sephers odalicks (1), que se placent les vivandiers grecs, les fripiers juifs et les Zingaris ou Bohémiens, faisant tour à tour le métier de forgerons, de musiciens, de nécromanciens, de voleurs de poules et de bourreaux publics.

On conçoit la confusion d'une pareille armée dans sa marche et à chaque campement, où elle serait dans un dénuement absolu, sans le secours des enfants d'Israël, qui furent de toute antiquité des hommes essentiels chez les rois de l'Orient, où plus d'un Joseph et d'un Tobie trouvent encore le moyen de faire le monopole pour le compte du souverain, sans oublier leur fortune particulière (2).

(1) Les Turcs n'ont que trop bien conservé cette coutume contraire aux lois de la nature qu'avaient les Romains, qui désignaient ces misérables sous le nom de Pellices..... et il existe encore des hommes se disant chrétiens qui osent préférer cette race de Sodome et de Gomorrhe aux chrétiens orthodoxes.

(2) C'est constamment quelque Juif qui est le directeur des subsistances militaires des armées ottomanes (charge sujette par toute terre à critique ), quoiqu'elle roule sur un petit nombre d'articles; car c'est aux Spaïs et aux Timariots à se fournir d'orge pour leurs chevaux, et du pain nécessaire à

« PrécédentContinuer »