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Ce grand homme chez toi devenu tout Romain,
Dont le pinceau, célebre avec magnificence,
De ces riches travaux vient parer notre France,
Et dans un noble lustre y produire à nos yeux
Cette belle peinture inconnue en ces lieux,
La fresque, dont la grace, à l'autre préférée,
Se conserve un éclat d'éternelle durée,

Mais dont la promptitude et les brusques fiertés
Veulent un grand génie à toucher ses beautés!
De l'autre, qu'on connoît, la traitable méthode
Aux foiblesses d'un peintre aisément s'accommode :
La paresse de l'huile, allant avec lenteur,
Du plus tardif génie attend la pesanteur;
Elle sait secourir, par le temps qu'elle donne,
Les faux pas que peut faire un pinceau qui tàtonne;
Et sur cette peinture on peut, pour faire mieux,
Revenir quand on veut avec de nouveaux yeux.
Cette commodité de retoucher l'ouvrage

Aux peintres chancelants est un grand avantage;
Et ce qu'on ne fait pas en vingt fois qu'on reprend,
On le peut faire en trente, on le peut faire en cent.
Mais la fresque est pressante, et veut sans complai

sance

Qu'un peintre s'accommode à son impatience,
La traite à sa maniere, et, d'un travail soudain,
Saisisse le moment qu'elle donne à sa main.

La sévere rigueur de ce moment qui passe

Aux erreurs d'un pinceau ne fait aucune grace;
Avec elle il n'est point de retour à tenter,
Et tout au premier coup se doit exécuter,
Elle veut un esprit où se rencontre unie
La pleine connoissance avec le grand génie,
Secouru d'une main propre à le seconder,
Et maîtresse de l'art jusqu'à le gourmander,
Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide,
Et dont, comme un éclair, la justesse rapide

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Répande dans ses fonds, à grands traits non tâtés,
De ses expressions les tonchantes beautés.
C'est par là que la fresque, éclatante de gloire,
Sur les honneurs de l'autre emporte la victoire,
Et que tous les savants, en juges délicats,
Donnent la préférence à ses mâles appas.

Cent doctes mains chez elle ont cherché la louange;
Et Jules, Annibal, Raphaël, Michel-Ange,
Les Mignards de leur siecle, en illustres rivaux,
Ont voulu par la fresque ennoblir leurs travaux.
Nous la voyons ici doctement revêtue

De tous les grands attraits qui surprennent la vue.
Jamais rien de pareil n'a paru dans ces lieux;

Et la belle inconnue a frappé tous les yeux.

Eile a non seulement, par ses graces fertiles,
Charmé du grand Paris les connoisseurs habiles,
Et touché de la cour le beau monde savant;
Ses miracles encore ont passé plus avant,
Et de nos courtisans les plus légers d'étude
Elle a pour quelque temps fixé l'inquiétude,
Arrêté leur esprit, attaché leurs regards,

Et fait descendre en eux quelque goût des beaux árts.
Mais ce qui plus que tout éleve son mérite,
C'est de l'auguste roï l'éclatante visite :

Ce monarque, dont l'ame aux grandes qualités
Joint un goût délicat des savantes beautés,
Qui, séparant le bon d'avec son apparence,
Décide sans erreur, et loue avec prudence,
Louis, le grand Louis, dont l'esprit souverain
Ne dit rien au hasard, et voit tout d'un œil sain,
A versé de sa bouche à ses graces brillantes
De deux précieux mots les douceurs chatouillantes ;
Et l'on sait qu'en deux mots ce roi judicieux
Fait des plus beaux travaux l'éloge glorieux.

Colbert, dont le bon goût suit celui de son maître, A senti même charme, et nous le fait paroître.

Ce vigoureux génie au travail si constant,
Dont la vaste prudence à tous emplois s'étend,
Qui du choix souverain tient, par son haut mérite,
Du commerce et des arts la suprême conduite,
A d'une noble idée enfanté le dessein

Qu'il confie aux talents de cette docte main,
Et dont il veut par elle attacher la richesse

Aux sacrés murs du temple où son cœur s'intéresse (1).
La voilà cette main qui se met en chaleur ;
Elle prend les pinceaux, trace, étend la couleur,
Empâte, adoucit, touche, et ne fait nulle pause.
Voilà qu'elle a fini, l'ouvrage aux yeux s'expose;
Et nous y découvrons, aux yeux des grands experts,
Trois miracles de l'art en trois tableaux divers.
Mais, parmi cent objets d'une beauté touchante,
Le Dieu porte au respect, et n'a rien qui n'enchante;
Rien en grace, en douceur, en vive majesté,
Qui ne présente à l'œil une divinité;

Elle est toute en ces traits si brillants de noblesse;
La grandeur y paroît, l'équité, la sagesse,
La bonté, la puissance; enfin ces traits font voir
Ce que l'esprit de l'homme a peine à concevoir.
Poursuis, ô grand Colbert, à vouloir dans la France
Des arts que tu régis établir l'excellence,
Et donne à ce projet, et si grand et si beau,
Tous les riches moments d'un si docte pinceau.
Attache à des travaux dont l'éclat te renomme
Les restes précieux des jours de ce grand homme.
Tels hommes rarement se peuvent présenter;
Et, quand le ciel les donne, il faut en profiter.
De ces mains, dont les temps ne sont guere prodigues,
Tu dois à l'univers les savantes fatigues;

C'est à ton ministere à les aller saisir

Pour les mettre aux emplois que tu peux leur choisir;

(1) Saint-Eustache.

Et, pour ta propre gloire, il ne faut point attendre
Qu'elles viennent t'offrir ce que ton choix doit prendre.
Les grands hommes, Colbert, sont mauvais courtisans :
Pen faits à s'acquitter des devoirs complaisants,
A leurs réflexions tout entiers ils se donnent;
Et ce n'est que par là qu'ils se perfectionnent.
L'étude et la visite ont leurs talents à part :
Qui se donne à la cour se dérobe à son art;
Un esprit partagé rarement s'y consomme,
Et les emplois de feu demandent tout un homme.
Ils ne sauroient quitter les soins de leur métier
Pour aller chaque jour fatiguer ton portier,
Ni par-tout près de toi, par d'assidus hommages,
Mendier des prôneurs les éclatants suffrages:
Cet amour du travail, qui toujours regne en eux,
Rend à tous autres soins leur esprit paresseux;
Et tu dois consentir à cette négligence

Qui de leurs beaux talents te nourrit l'excellence.
Souffre que, dans leur art s'avançant chaque jour,
Par leurs ouvrages seuls ils te fassent leur cour:
Leur mérite à tes yeux y peut assez paroître.
Consulte-s-en ton goût, il s'y connoît en maître,
Et te dira toujours, pour l'honneur de ton choix,
Sur qui tu dois verser l'éclat des grands emplois.
C'est ainsi que des arts la renaissante gloire

De tes illustres soins ornera la mémoire,

Et

que ton nom, porté dans cent travaux pompeux, Passera triomphant à nos derniers neveux.

FIN DES OEUVRES DE MOLIERE.

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