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d'orfrois. Le cuir n'en était pas cher une selle de moine en 1480 coûtait 65 francs, une selle de paysan en coûtait 24; dans le prix de 2960 francs payé pour l'accoutrement de cérémonie d'une haquenée de grande dame (1517), le cuir du harnais valait 100 francs, mais les boucles et le mors doré en valaient 250, la soie de la housse 350 et le fil d'or de Chypre 1840.

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Ainsi parée, cette haquenée devenait une chose belle et rare, son passage impressionnait la foule dont l'émerveillement était sans fiel. Le carrosse hérita de ce prestige s'arrête-t-il à la porte d'une femme de ville, « à peine elle entend son bruissement, dit La Bruyère, qu'elle pétille de goût et de complaisance pour quiconque est dedans... On lui tient compte des doubles soupentes et des ressorts qui le font rouler plus mollement. >> Le budget de la vanité était autrefois plus largement doté que de nos jours et l'écurie y tenait une grande place. La plus grande jouissance du riche consistait à montrer sa richesse.

Mais ces jouissances extérieures, tirées de l'admiration d'autrui, créaient, pour bizarre que cela semble, une sorte de lien social entre les ambitieux du « paraître, » figurans volontaires du luxe, et le public satisfait de la peine qu'ils se donnaient pour l'ébahir. Il entre plus de vraie sensualité et plus d'égoïsme aussi dans les jouissances contemporaines, positives, et personnelles; mais de ces jouissances, en fait de locomotion, le peuple entier a sa part. Le progrès en a banni la beauté, mais il en a généralisé le charme. La carriole du paysan, la bicyclette, l'autobus ou le métro du citadin, ne sont pas esthétiquement inférieurs à l'automobile d'un millionnaire, et ils sont à la portée de toutes les bourses. Cependant la « 50 chevaux » de grande marque, qui n'éblouit personne, suscite autour d'elle plus d'aigreur que naguère le carrosse doré.

G. D'AVENEL.

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Il y a quelque quatre cents ans, durant l'hiver de 1519, les humanistes de l'Italie se passaient, de main en main, une sorte de poème en latin, qui venait d'être composé par l'un d'eux, sous la forme d'une lettre adressée par une femme à son mari. Il s'agit de nouveaux époux : la femme est seule à la maison, à Mantoue, avec son nouveau-né; le mari est à Rome, en ambassade auprès du Pape, occupé de mille affaires dont elle n'a cure. Elle se plaint de son absence et languit après son retour. Seul, son portrait, peint par Raphaël (2), lui remplace l'absent :

Sola tuos vultus referens Raphaelis imago

Picta manu curas allevat usque meas...

Et elle rit à ce portrait, elle s'adresse à lui comme s'il était

(1) Voyez la Revue des 15 novembre et 1" décembre 1911 et du 1er janvier 1912. (2) Autres portraits de Balthazar Castiglione :

Authentiques: 1 Peinture à l'huile d'après un portrait fait par Raphaël, en 1519. En buste, nu-tête, de trois quarts, la poitrine coupée par une inscription commençant par Baldasar de Castiliono... et finissant par ANN. MDXXIX. (Au Palais Corsini, à Rome.)

2° Peinture à l'huile. De face, habillé de noir, avec un chapeau et des gants, un

vivant, elle lui parle tant et si bien qu'il lui semble qu'il sourit lui aussi, qu'il répond; elle lui amène l'enfant qui le reconnaît et le salue.

Cette épître était grandement admirée. Tout le monde en connaissait l'auteur, Balthazar Castiglione, et savait qu'il s'agissait de lui-même, de sa femme et de son enfant, âgé de deux ans. On goûtait fort la prudence de ce mari, déjà mùr, qui prenait soin de rédiger les plaintes que son absence devait inspirer à sa jeune femme. On en savourait le bon parfum de latinité. On saisissait, aussi, fort bien l'allusion au portrait de Raphaël. Peint depuis quatre ans seulement, ce portrait était déjà célèbre. Il l'est encore. C'est lui qui a remplacé la Joconde (1).

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Je ne sais pourquoi on l'a choisi, mais on ne pouvait pas mieux choisir. Au premier abord, on éprouve bien un certain malaise à voir, au milieu du Salon Carré, à la place du sourire accoutumé, le plus féminin de tous les sourires, cet homme amplement barbu, le crâne serré dans un bicoquet, et auréolé d'une immense barrette noire, ou toque rebrassée, qui vous regarde paisiblement de ses gros yeux bleus. On savait bien qu'on ne verrait plus la Joconde, mais il semblait que le lieu

rideau et un paysage au fond. Attribué au Parmesan et supposé de 1524. (Collection du marquis de Lansdowne, à Bowood.)

3o Médaille de profil droit. Tête nue, cou découvert, drapé à l'antique, avec l'inscription BALTHAZAR CASTILION, Gr. F. Au revers, Apollon sur un char, attelé de deux chevaux au galop, guidés par des génies ailés, passe derrière le globe du monde où l'on voit figurée l'Italie, avec l'inscription: TENEBRARUM ET LUCIS.

Présumés avec ressemblance: 1° La tête d'homme, de trois quarts, barbu, coiffé d'un serre-tête, qui figure Zoroastre, tourné vers la tête de Raphaël, dans la fresque l'École d'Athènes, peinte en 1510, par Raphaël (au Vatican).

2o Le guerrier romain debout, tête nue, armé d'une lance, au premier plan du tableau: la Cour d'Isabelle d'Este où le Triomphe de la Poésie, par Lorenzo Costa (au Louvre).

(1) Avant d'arriver à cette place d'honneur, au milieu du Salon Carré, il a beaucoup voyagé. Peint à Rome, pendant l'automne de 1515, il est allé, en 1524, avec Castiglione, en Espagne. Castiglione étant mort à Tolède en 1529, il est revenu à Mantoue où il était encore, dans la famille du modèle, au commencement du xvII° siècle. Là, on le perd de vue un certain nombres d'années : aucun historien ne peut justifier de l'emploi de son temps. On ne le retrouve, qu'après 1630, à Amsterdam, dans l'atelier du peintre Van Asselin, sans qu'on sache comment il y est venu: mais c'est bien lui et non un autre : il y est admiré et copié par Rembrandt et par Rubens. En 1639, il est vendu aux enchères et passe dans la collection d'un seigneur espagnol, Don Alfonso de Lopez, qui le paie 3 500 florins, environ 20 500 francs de notre monnaie, Peu après, ce seigneur étant tombé en disgrâce et ayant dû vendre tout son avoir, notre portrait est acheté par le cardinal de Mazarin, et à la mort du cardinal, en 1661, Louis XIV le prend pour 3000 livres, environ 9750 francs. Enfin, le voilà au Louvre où il faut espérer que son histoire est finie, pour la même raison qu'on espère que celle de la Joconde ne l'est pas.

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Il y a quelque quatre cents ans, durant l'hiver de 1519, les humanistes de l'Italie se passaient, de main en main, une sorte de poème en latin, qui venait d'être composé par l'un d'eux, sous la forme d'une lettre adressée par une femme à son mari. Il s'agit de nouveaux époux la femme est seule à la maison, à Mantoue, avec son nouveau-né; le mari est à Rome, en ambassade auprès du Pape, occupé de mille affaires dont elle n'a cure. Elle se plaint de son absence et languit après son retour. Seul, son portrait, peint par Raphaël (2), lui remplace l'absent :

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Sola tuos vultus referens Raphaelis imago

Picta manu curas allevat usque meas...

Et elle rit à ce portrait, elle s'adresse à lui comme s'il était

(1) Voyez la Revue des 15 novembre et 1 décembre 1911 et du 1 janvier 1912. (2) Autres portraits de Balthazar Castiglione :

Authentiques: 1 Peinture à l'huile d'après un portrait fait par Raphaël, en 1519. En buste, nu-tête, de trois quarts, la poitrine coupée par une inscription commencant par Baldasar de Castiliono... et finissant par ANN. MDXXIX. (Au Palais Corsini, à Rome.)

2° Peinture à l'huile. De face, habillé de noir, avec un chapeau et des gants, un

vivant, elle lui parle tant et si bien qu'il lui semble qu'il sourit lui aussi, qu'il répond; elle lui amène l'enfant qui le reconnaît et le salue.

Cette épitre était grandement admirée. Tout le monde en connaissait l'auteur, Balthazar Castiglione, et savait qu'il s'agissait de lui-même, de sa femme et de son enfant, âgé de deux ans. On goûtait fort la prudence de ce mari, déjà mùr, qui prenait soin de rédiger les plaintes que son absence devait inspirer à sa jeune femme. On en savourait le bon parfum de latinité. On saisissait, aussi, fort bien l'allusion au portrait de Raphaël. Peint depuis quatre ans seulement, ce portrait était déjà célèbre. Il l'est encore. C'est lui qui a remplacé la Joconde (1).

Je ne sais pourquoi on l'a choisi, mais on ne pouvait pas mieux choisir. Au premier abord, on éprouve bien un certain malaise à voir, au milieu du Salon Carré, à la place du sourire accoutumé, le plus féminin de tous les sourires, cet homme amplement barbu, le cràne serré dans un bicoquet, et auréolé d'une immense barrette noire, ou toque rebrassée, qui vous regarde paisiblement de ses gros yeux bleus. On savait bien qu'on ne verrait plus la Joconde, mais il semblait que le lieu

rideau et un paysage au fond. Attribué au Parmesan et supposé de 1524. (Collection du marquis de Lansdowne, à Bowood.)

3o Médaille de profil droit. Tête nue, cou découvert, drapé à l'antique, avec Finscription BALTHAZAR CASTILION, Gr. F. Au revers, Apollon sur un char, attelé de deux chevaux au galop, guidés par des génies ailés, passe derrière le globe du monde où l'on voit figurée l'Italie, avec l'inscription: TENEBRARUM ET LUCIS.

Présumés avec ressemblance: 1° La tête d'homme, de trois quarts, barbu, coiffé d'un serre-tête, qui figure Zoroastre, tourné vers la tête de Raphaël, dans la fresque l'École d'Athènes, peinte en 1510, par Raphaël (au Vatican).

2o Le guerrier romain debout, tête nue, armé d'une lance, au premier plan du tableau la Cour d'Isabelle d'Este ou le Triomphe de la Poésie, par Lorenzo Costa (au Louvre).

(1) Avant d'arriver à cette place d'honneur, au milieu du Salon Carré, il a beaucoup voyagé. Peint à Rome, pendant l'automne de 1515, il est allé, en 1524, avec Castiglione, en Espagne. Castiglione étant mort à Tolède en 1529, il est revenu à Mantoue où il était encore, dans la famille du modèle, au commencement du xvII° siècle. Là, on le perd de vue un certain nombres d'années : aucun historien ne peut justifier de l'emploi de son temps. On ne le retrouve, qu'après 1630, à Amsterdam, dans l'atelier du peintre Van Asselin, sans qu'on sache comment il y est venu; mais c'est bien lui et non un autre il y est admiré et copié par Rembrandt et par Rubens. En 1639, il est vendu aux enchères et passe dans la collection d'un seigneur espagnol, Don Alfonso de Lopez, qui le paie 3 500 florins, environ 20 500 francs de notre monnaie, Peu après, ce seigneur étant tombé en disgrâce et ayant dû vendre tout son avoir, notre portrait est acheté par le cardinal de Mazarin, et à la mort du cardinal, en 1661, Louis XIV le prend pour 3000 livres, environ 9750 francs. Enfin, le voilà au Louvre où il faut espérer que son histoire est finie, pour la même raison qu'on espère que celle de la Joconde ne l'est pas.

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