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battu par le corps que le Roi a bien voulu me confier, conjointement avec celui de M. de Stainville. Les troupes ont fait des prodiges, et particulièrement le régiment de Boisgelin, commandé par MM. de Chantilly et de Jenner. » Condé, l'adversaire d'hier, devient l'ami du vaincu blessé et veut lui prêter secours. Il écrit au duc de Brunswick pour lui témoigner son estime et lui offrir les soins de son premier chirurgien. Le maréchal de Soubise, dans son rapport daté de Friedberg, rend discrètement hommage au succès remporté par son gendre et déclare que,« sans la difficulté du passage du Wetter, toute l'infanterie hanovrienne était prise.

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La nouvelle de la victoire de Johannisberg, bien que peu efficace sur la suite des événemens, fut acclamée à Paris par la Cour et la ville. Le nom de Condé était dans toutes les bouches, comme après Rocroi. Le 9 septembre, un Te Deum fut chanté à NotreDame de Paris, à la gloire de nos armées; il y eut le soir illumination et feu d'artifice.

A la fin de novembre, les troupes prirent leurs quartiers d'hiver. Les négociations de la Diète de Ratisbonne amenèrent la paix de Versailles « par impossibilité de continuer les hostilités (1). » Condé revint en France, après six ans de guerre, trois années presque entièrement passées en campagne. Son épée rentrée au fourreau ne devait plus en ressortir que trente ans plus tard et dans des conditions bien différentes.

Louis XV accueillit son retour avec une faveur toute particulière, l'aida par ses attentions et ses complimens à supporter le deuil de son foyer désert. Il lui fit présent d'une partie des canons enlevés à l'ennemi par l'armée du Bas-Rhin. Le prince les installa sur le terre-plein de Chantilly autour de la statue du Connétable. Ses victoires le rendirent très populaire à la Cour el la ville. En le revoyant fier et modeste en même temps, le public se disait dans les salons: « Si avant sa vingtième année l'élève de Gassion avait écrasé à Rocroi les tertios vejos redoutés de toute l'Europe, Condé, avant ses vingt-cinq ans, en avait fait presque autant, avec les vieilles bandes du grand Frédéric. >>

Quand le vainqueur de Johannisberg alla visiter les blessés de Hanovre aux Invalides, ces vieux serviteurs du Roi et de la

(1) M. Frédéric Masson, Introduction aux Mémoires de Bernis, ch. 1.

Patrie baisèrent ses mains au passage. A la Cour, on organisa de grandes, réceptions en son honneur.

A la première représentation d'une petite comédie de Rochon de Chabannes, intitulée: Heureusement, un personnage de la pièce, jeune militaire soupant avec une jolie femme, lui disait : « Je bois à Cypris » et la dame répondait : « Moi, je bois à Mars. » En prononçant ce mot, Mile Hus, l'actrice qui jouait le rôle de Mme de Lisban, jeta les yeux sur la loge du prince présent à la représentation et lui tendit son verre, avec un geste et un sourire significatifs, aux applaudissemens de la salle.

Le retour du prince à Chantilly, auprès de ses deux orphelins et de la tombe de la princesse, dut être poignant pour son cœur. L'amour s'en était retiré momentanément, comme la main invisible du bonheur. Il devait revoir longtemps encore par la pensée la mère de ses enfans; elle avait eu sur ses lèvres jusqu'à la dernière heure le nom de l'époux absent pour le service du Roi. Voulant plaire à la population qui l'acclamait, il secoua son chagrin et donna une fète où l'abbé Prévost, en résidence dans les environs et déjà célèbre par son roman de Manon Lescaut, tint un rôle dans une comédie de J.-B. Quin (1).

Après la paix de Versailles, Ferdinand de Brunswick, rétabli de sa blessure, fit un voyage en France et ne parut nullement garder rancune aux Français de la balle qui l'avait cloué sur son lit à Johannisberg. Sa première visite fut pour son généreux vainqueur. Il fut reçu à Chantilly selon les hautes traditions du lieu. La vue des canons allemands aurait pu offusquer le visiteur. Condé eut la délicate attention de les faire disparaître avant l'arrivée attendue. Ferdinand de Brunswick, l'ayant appris par hasard, dit à son hòte: « Ah! prince, vous m'avez vaincu deux fois à la guerre par vos armes, dans la paix par votre modestie! >>

Général DE PIÉPAPE.

(1) 26 septembre 1762. Citation de M. Macon, Chantilly et le Musée de Condé,

LES POÉSIES DE M. FRANCOIS MAURIAC

(1)

Je suis en retard avec un jeune poète très distingué, qui me semble avoir l'étoffe d'un grand poète, qui très probablement avortera; car il me semble profondément atteint de cette lassitude avant la vie et de cette « fatigue de n'avoir rien fait, » comme dit le bon peuple, gage presque certain de langueur incurable; mais qui aussi peut se ressaisir, se rendre maître des qualités incomparables que le destin a mises en lui et nous donner un poète tout à fait dans le goût de Lamartine.

Car les deux muses de Lamartine jeune furent la Religion et sa propre enfance et les deux inspirations de M. François Mauriac sont la nostalgie de l'enfance et le sentiment religieux. Ajoutez-y, çà et là, très rarement, un peu de passion amoureuse, très triste et très amère, à la manière de Volupté de Sainte-Beuve, et vous avez, ou je me trompe fort, toute l'àme de M. François Mauriac.

Elle est très belle, très délicate, très pure, un peu féminine; elle est délicieusement adolescente. Le duvet de la pêche est là tout entier, sans que rien l'ait flétri, ni même touché. C'est un cas extrêmement rare et charmant tout à fait.

Ce qui domine, c'est encore ce regret de l'enfance envolée qui, chez Lamartine, chez Hégésippe Moreau, chez M. Fernand Gregh, ont si vivement ému les lecteurs de trois générations différentes. Les jeunes gens se divisent très nettement en deux classes, ceux qui s'évadent de l'enfance avec enivrement, ce que,

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du reste, il ne faut pas leur reprocher tout de go, ni trop durement, car ils peuvent être ceux quibus non risere parentes, où ils peuvent être des êtres d'action impatiens d'agir, etc.; et ceux qui sentent très nettement à dix-huit ans ce que l'on ne sent d'ordinaire qu'entre soixante-dix et quatre-vingts, à savoir que l'enfance est la seule chose qui puisse permettre de pardonner à la vie. Ces derniers sont des âmes profondes, qui, s'ils sont doués du bien dire, sont poètes, au moins pour un temps, dans la plus exquise acception du mot.

Or M. Mauriac est doué du bien dire, et je dis doué, car aucun poète n'est autant que lui exempt de toute imitation, de tout souvenir de lecture, peut-être même ou à peu près de toute lecture. «Soyez vous-même et n'ayez pas de mémoire, » disait Massenet à ses disciples, M. Mauriac n'a pas de mémoire ou ne veut pas en avoir. Il n'a que celle de lui-même. Mais comme il l'a bien !

De la douceur du passé
Un enfant triste se lève;
Il a les yeux pleins de rêve
Des vieux pastels effacés.

Son regard qui se souvient
Sourit d'un triste sourire
Et toute la nuit l'attire
Vers moi qui le connais bien.

Ce crépuscule ressemble
Aux soirs anciens qu'il aimait.
Le même souffle embaumait,
Nos rêves chantaient ensemble.

Le vent de ce soir, le vent
Frôla jadis les mains lasses
Des petits garçons rêvant

Dans le sommeil lourd des classes.

Et notre enfance fluette

Pleure dans la vieille cour

Où sa tendresse inquiète

Fut comme une aube d'amour.

Et c'est ce retour vers les années bleues qui lui inspire les Vacances de Pâques, les Grandes vacances, réminiscences de tout ce qui, autrefois, fut frais, vif et plein, et qui maintenant,

à n'être goùté qu'en souvenir, paraît, quoi qu'on fasse, un peu terne et un peu vide. C'est ce retour invincible qui fait qu'il s'arrête devant le cortège de petits enfans des écoles, orphelins sans doute ou moralement abandonnés.

... Ces tout petits

Qui rentrent dans l'ombre où personne
Ne devine en leurs corps chétifs
Une âme immense qui frissonne.

Ils ont un très mince visage,
Pâle, avec des taches de son.

On ne sait pas quel est leur âge ·
Nul ne connaît leur petit nom.

C'est ce retour encore qui, à propos de la mort d'un ami d'enfance, fait monter, de son cœur à ses lèvres, ces vers tout gonflés de souvenirs, ces vers vivans, comme j'en connais peu et qui se mettent si vite à l'unisson de votre âme qu'il vous semble que c'est vous qui les avez faits. Cette impression, que donne souvent Lamartine, est à considérer comme le vrai critérium des vers qui sont le chant spontané de l'âme elle-même.

Soirs d'été. Nous étions assis sur la terrasse,

L'âme pacifiée, inoccupée et lasse.

Nous parlions vaguement de l'âme et de la vie
Devant la plaine d'ombre et de ciel confondus
En regardant au loin des lueurs d'incendie
Du côté de la lande et des pays perdus.
Parfois dans le silence on entendait l'orage.

Et la pluie arrivait, de loin et tiède, sur
Le jardin secoué par un vent de tempête.
Et nous fuyions avec nos vestes sur la tête.
Dans la chambre du pavillon, je te lisais

Des vers que tu jugeais merveilleux, pour me plaire.
Puis les parfums flo ttaient des massifs arrosés.

Une odeur de mouillé venait des terres molles.

Et ton bras doucement pesait sur mon épaule.

La solitude de l'àme s'exprime admirablement dans une courte pièce de M. Mauriac où, avec un grand plaisir, j'ai trouvé un renversement, ou plutôt une reprise, un ressaisissement de la pensée, qui est bien curieux et bien sympathique. D'ordi

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