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A l'heure fixée, les quinze cents Étoliens commandés par Odyssée, étant sortis du château, ne furent pas plus tôt en vue du quartier - général des Osmanlis, qu'ils arborèrent le drapeau blanc en signe de paix. Leur chef, mettant un genou en terre, salua ensuite d'une voix éclatante Ismaël pacha des titres de Vali et de Gazi, qui chatouillaient agréablement son oreille, et les transfuges furent accueillis dans le camp avec un grand Alaï(1). On les félicita sur leur résolution; on leur assigna un quartier pour bivouaquer à l'écart, en leur promettant du pain quand on en aurait (car déja la rareté des vivres se faisait sentir dans l'armée), et de l'argent à pleines mains lorsqu'on serait maître des trésors d'Ali l'excommunié, avec lesquels on payait tout le monde par anticipation.

(1) Alaï, expression que les Turcs emploient pour désigner les acclamations militaires après un succès, où au moment d'une entrée triomphale dans une ville.

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CHAPITRE V.

Le stratagème d'Ali s'explique. — Fuite d'Odyssée. — Ingratitude d'Ismaël pacha envers sa famille. Il indispose toute la population; rejette les offres de quelques aventuriers ;négocie secrètement avec les fils du proscrit. - Dilapidations dénoncées au divan, qui en demande compte. - Manière abrégée de le rendre.—Collection de têtes et d'oreilles adressées à Constantinople. — Capitulations de Véli, de Mouctar et de Salik pacha. Ils remettent sous l'autorité du sultan

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Refus de Mahmoud, fils

Artifices de Chaïnitza.

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Terreur superstitieuse dont elle s'environne. Déconcerte et fait trembler ses assassins; les châtie en répandant la peste dans la Chaonie.

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DANS le cours de ses prospérités, il avait toujours suffi à Ali Tébélen, pour se déclarer contre les meilleurs avis, qu'ils ne vinssent pas de lui (1); mais en fait de mauvaises suggestions, il devina toujours les résultats les plus profonds d'une conception criminelle. Non content d'avoir éloigné ceux dont il craignait la turbulence, il les rendit bientôt suspects aux Osmanlis, naturellement portés à se méfier des Schypetars. Chaque jour ils éprouvaient des insultes ou des humiliations, et Odyssée mit le comble aux anxiétés de sa bande en la quittant inopinément. Aussi léger à la course

(1) Consilii quamvis egregii, quod ipse non afferret, inimicus. (Tacit. Hist., lib. 1. c. 26. )

qu'un chevreuil, on le perdit de vue à travers les montagnes, et on ne connut son sort qu'en apprenant qu'il s'était retiré à Ithaque (1). Les Armatolis, qu'il avait abandonnés, devinrent dès ce moment odieux; les mauvais traitements leur furent prodigués, et ils ne tardèrent pas à se débander pour se répandre sur les derrières de l'armée ottomane, qu'ils ne cessèrent plus d'inquiéter. Ainsi s'accomplit le projet d'Ali Tébélen, qui transforma une bande d'hommes dangereux pour lui en un corps de partisans, désormais irréconciliables avec les Osmanlis.

Ce premier succès d'intrigue aurait dû avertir Ismaël pacha d'être sur ses gardes; mais les illusions du pouvoir avaient déja altéré sa raison. Souillé du meurtre du grammatiste Manthos, les Épirotes, qui croyaient trouver en lui un compatriote protecteur, n'y reconnurent bientôt qu'un mahométan sans entrailles. Il avait recouvré son épouse et son fils, et au lieu de les réchauffer dans son sein, il rougit de leur servitude, les accueillit. froidement, et les relégua bientôt à l'Arta. On peut juger d'après cela comment il traita ses anciennes connaissances, à l'exception d'Omer Brionès qu'il craignait, et de quelques chefs turcs qu'il

(1) L'auteur des tragédies d'Ulysse et de Marie Stuart, M. Le Brun, qui se trouvait alors au lazaret d'Ithaque, y vit arriver Odyssée, qui ne se proposait, tant ses plans étaient encore éloignés du rôle qu'il devait jouer, que de tirer vengeance des ha bitants de Livadie, qui l'avaient expulsé de leur ville,

avait intérêt à ménager. Ainsi il repoussa avec dédain les députés de la Hellade, en leur déclarant que le glorieux sultan n'avait besoin ni de leur dévouement, ni de l'épée des Armatolis, mais de leur servitude.

C'était au milieu d'embarras sans nombre que l'altier Ismaël tenait un pareil langage. Sans artillerie pour assiéger les châteaux, son armée se morfondait en attendant les canons qu'on devait envoyer de Constantinople. D'accord avec Dramali, tandis qu'il vendait sous main les récoltes de l'année, et les magasins des métairies du proscrit, la disette se faisait sentir dans son camp. Les vivres, arrachés aux particuliers, et apportés par les Grecs des plaines de Pharsale, qui sont encore, comme au siècle de Roger, roi de Sicile, soumis à la corvée (1), manquaient souvent, et les murmures passèrent bientôt de la bouche des soldats dans celle de leurs chefs.

Le serasker, qui croyait pouvoir tout braver, parce qu'il partageait les bénéfices de ses rapines avec Khalet effendi, ne s'inquiétait pas d'être accusé d'oublier ses devoirs, et de trancher du sultan. Les membres du divan étaient gagnés par ses largesses; il bravait l'opinion publique et la voix du malheur. Quant aux Épirotes, leur condition était dé

(1) Roger, qui introduisit la féodalité dans la Grèce, déclara, par une ordonnance, que: tuit li home de la cité seront tojórs mais engaraire, c'est assaver qu'ils laboureront continuellement. M. SS. Cart. 1. Reg. Sic. 23.

plorable; mais, en leur qualité de Raias, la caste militaire des Tartares mahométans n'abaissait les yeux sur leurs misères que pour en aggraver le poids. On s'inquiétait peu de savoir que les Zagorites se fussent retirés dans les escarpements du Pinde, pourvu que leur primat Alexis Noutza, qui de lieutenant-général avait été nommé commis aux vivres par Ismaël pacha, envoyât à son quartiergénéral l'obole de la veuve et le dernier morceau de pain des laboureurs. En cela, on suivait les errements de tous les conquérants, qui, depuis Nemrod jusqu'au dix-neuvième siècle, n'ont jamais été que des instruments de flagellation pour les peuples, dont le sort ne serait pas plus malheureux sous l'empire des lions et des ours, auxquels Sénèque les compare, que sous le régime de ces fléaux du genre humain (1). Soixante mille dévastateurs avaient remplacé un tyran; tel était le résultat des opérations de l'armée libératrice, qui existait aux dépens des opprimés qu'elle devait affranchir.

Ismaël pacha, qui commençait à sentir la pénurie d'argent nécessaire pour soudoyer ses partisans dans le divan, n'en avait pas pour s'attacher les aventuriers dont il aurait pu tirer des services. Ainsi il dut éconduire dom Vincenzo Micarelli, chanoine Palermitain (2), qui mendiait le pain de l'aumône

(1) Quæ alia vita esset, si leones ursique regnarent. (Senec. de Clementiâ, lib. 1, c. 26.)

(2) Cet individu, chassé de la Sicile par la reine Caro

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