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détacha aussitôt deux de ses officiers, afin d'organiser la soi-disant armée de Moldavie. L'un d'eux, nommé Constantin Pentédékas, natif de Janina, ami de Ducas et par conséquent agent de la politique d'Ali Tébélen, devait réunir tous les Grecs dispersés dans le pays, et en former un corps dont il prendrait le commandement. Le second, qui était un Étolien appelé Athanase Agraphiote, avait ordre de se rendre à Galatz, pour y recevoir huit cents Grecs, et quarante pièces de canon en fonte provenant du désarmement de quelques vaisseaux stationnés dans le Danube, avec l'injonction de conduire ce parc à Tergovitz. Ces dispositions faites, le prince se dirigea vers la Valachie, en lançant proclamations sur proclamations, et en réunissant sous ses drapeaux les Hétéristes accourus des provinces chrétiennes voisines. Enfin il arriva dans les premiers jours d'avril à Kolentina, où il établit son quartier- général, dans la maison de campagne de Bano Ghikas, à une lieue de Bukarest.

Ce fut alors que l'on connut cette troupe d'Hétéristes habillés de noir, coiffés de kalpaks ou bonnets armoriés de têtes de morts, d'ossements en sautoir, formant le monogramme X surmonté d'une croix; portant des cocardes aux couleurs noire, blanche et rouge.

Cependant Hypsilantis ne paraissait pas en ville; quoique une foule de curieux se portassent vers Kolentina, et que la route fût couverte des calèches du corps des boïards qui n'avaient pas émigré. Ils s'empressaient d'aller faire leur cour au prince ainsi

qu'à ses frères, George et Nicolas; mais personne ne pénétrait leur ton réservé, car on ignorait alors que Hypsilantis, Théodore Vladimiresko, et Sava, étaient dans une défiance mutuelle.

Les deux derniers, qui semblaient d'accord, s'étaient partagé le gouvernement de Bukarest. Théodore faisait fortifier le monastère de Kotrulkan, où il avait fixé sa résidence, en laissant la garde de la ville à Sava, qui avait pour second le Thessalien George (1) du mont Olympe; homme que le ciel réservait pour réparer, aux yeux de la chrétienté, les fautes des chefs dont les passions allaient désoler la Valachie. Elles fermentaient; et Hypsilantis, inquiet de l'accord qui régnait entre Théodore et Sava, n'osait s'avancer, dans la crainte de tomber dans quelque embuscade. Malgré cette défiance, un certain Christaris, médecin qui s'était fait général, recrutait à Bukarest, pour le prince, dont il parvint, à force d'intrigues et de menaces, à faire reconnaître l'autorité en obligeant ses antagonistes à lui prêter serment.

Le lendemain de cette espèce de cérémonie, qui eut lieu à Kolentina, le drapeau tricolore fut arboré dans plusieurs quartiers de Bukarest, et salué par les décharges de mousqueterie des pandours et des Arnaoutes. On crut alors au rapprochement des trois généraux; mais, dans une seconde entrevue, Théodore Vladimiresco déclara au prince

(1) George, du mont Olympe; c'est le même dont les journaux ont parlé sous les noms de Giordaki et Giorgaki.

que son but différait du sien: qu'étant armé uniquement pour délivrer ses compatriotes du joug qui les accablait, ils ne pouvaient s'entendre. Ainsi, ajouta-t-il, prince, votre objet étant d'émanciper la Grèce, votre place n'est pas ici! Allez, passez le Danube; mesurez-vous avec les Turcs; quant à moi, je ne prétends pas les combattre.

On se sépara après cette conférence; et on apprit, quelques jours après, qu'Hypsilantis, qui était parti subitement de Kolentina, avait porté son quartier-général à Tergovist. A en juger par cette position, rapprochée de la frontière autrichienne, on pouvait croire que le prétendu régent de la Hellade ne songeait plus qu'à faire retraite, et qu'il était vaincu avant d'avoir tiré l'épée.

Les affaires d'Hypsilantis ne prenaient pas une tournure plus favorable auprès des Moldaves, race que le despotisme s'appliqua constamment à flétrir, en la livrant à des gouverneurs persuadés qu'il faut tenir les peuples dans l'état de pauvreté, pour les trouver toujours dociles. Dès que Constantin Pentédékas fut arrivé à Jassy, il s'occupa, conformément à ses instructions, de réunir les Grecs épars dans le Kara-Bogdan (1), auxquels il donna une espèce d'uniforme, et de rassembler les munitions qui lui étaient nécessaires.

Au milieu de ces soins, qui l'occupaient moins que ses intérêts particuliers, Pentédékas reçut de la part des boïards de deuxième et troisième classe, enne

(1) Nom turc de la Moldavie.

mis naturels des grands boïards, la proposition de se défaire du soi-disant sénat ainsi que du métropolitain, en les aidant à se placer à la tête du gouvernement. L'Épirote, élevé à l'école du satrape de Janina, repoussa avec une feinte horreur ce dessein, et mit les contendants d'accord, en se saisissant de l'autorité, résolu d'administrer la Moldavie pour son compte. Il substitua, en conséquence, le gouvernement militaire au sénat, fit pendre ceux qui osaient murmurer; et ses soldats suivant l'exemple de leur chef, tout tomba dans la confusion et l'anarchie.

Ce fut alors que les boïards restés à Jassy, d'accord avec ceux qui se trouvaient réfugiés en Bessarabie, résolurent d'appeler les Turcs à leur secours, sans s'inquiéter des suites d'une pareille invasion. A la vérité, elle ne devait coûter la vie qu'à des prolétaires; et cette considération n'était pas de nature à arrêter ces hauts et puissants esclaves, qui députèrent quatre membres de leur caste auprès du visir d'Ibraïlof.

Cette démarche, ignorée du public, allait faire tomber les premiers coups des Mahométans sur Athanase d'Agrapha, qui avait rétabli l'ordre à Galatz. Il avait voulu, à son arrivée dans cette ville, ignorer les noms de ceux qui s'étaient souillés par des excès, en s'associant aux crimes du féroce Caravia d'Ithaque ; persuadé qu'il valait mieux faire monter le sang au visage de quelques hommes égarés, que de le faire couler sous le glaive du bourreau. Usant ainsi adroitement d'un pouvoir discrétion

naire, il parvint à faire d'un ramassis de marins de l'Archipel un corps militaire tellement discipliné, qu'il aurait pu tenir tête aux Turcs d'Ibraïlof, si les Grecs n'avaient pas été destinés, comme tous les peuples qui se sont émancipés jusqu'à présent, à ne triompher qu'après avoir été éprouvés par l'adversité.

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