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pensées, sans exciter tant soit peu notre sentiment tant Dieu a mis de règle et de proportion, de délicatesse et de douceur, dans de si grands mouvements!

Ainsi nous pouvons dire avec assurance que, de toutes les proportions qui se trouvent dans les corps, celles du corps organique sont les plus parfaites et les plus palpables.

Tant de parties si bien arrangées et si propres aux usages pour lesquels elles sont faites : la disposition des valvules, le battement du cœur et des artères, la délicatesse des parties du cerveau et la variété de ses mouvements, d'où dépendent tous les autres, la distribution du sang et des esprits, les effets différents de la respiration, qui ont un si grand usage dans les corps; tout cela est d'une économie, et, s'il est permis d'user de ce mot, d'une mécanique si admirable, qu'on ne la peut voir sans ravissement, ni assez admirer la sagesse qui en a établi les règles.

Il n'y a guère de machines qu'on ne trouve dans le corps humain. Pour sucer quelque liqueur, les lèvres servent de tuyau et la langue sert de piston. Au poumon est attachée la trachée-artère, comme une espèce de flûte douce d'une fabrique particulière, qui, s'ouvrant plus ou moins, modifie l'air et diversifie les tons. La langue est un archet qui, battant sur les dents et sur le palais, en tire des sons exquis. L'œil a ses humeurs et son cristallin; les réfractions s'y ménagent avec plus d'art que dans les verres les mieux taillés; il a aussi sa prunelle, qui se dilate et se resserre; tout son globe s'allonge ou s'aplatit, selon l'axe de la vision, pour s'ajuster aux distances, comme les lunettes à longue vue. L'oreille a son tambour, où une peau aussi délicate que bien tendue résonne au mouvement d'un petit marteau que le moindre bruit agite; elle a, dans un os fort dur, des cavités pratiquées pour faire retentir la voix de la même sorte qu'elle retenlit parmi les rochers et dans les échos Les vaisseaux ont leurs soupapes ou valvules tournées en tous sens; les os et les,muscles ont leurs poulies et leurs leviers. Les proportions qui font et les équilibres et les multiplications des forces mouvantes y sont observées dans une justesse où rien ne manque. Toutes les machines sont simples; le jeu en est si aisé et la structure si délicate, que toute autre machine est grossière en comparaison.

A rechercher de près les parties, on y voit de toutes sortes de tissus; rien n'est mieux filé, rien n'est mieux passé, rien n'est serré plus exactement. Nul ciseau, nul tour,

nul pinceau ne peut approcher de la tendresse avec laquelle la nature tourne et arrondit ses sujets.

Tout ce que peut faire la séparation et le mélange des liqueurs, leur précipitation, leur digestion, leur fermentation et le reste, est pratiqué si habilement dans le corps humain, qu'auprès de ces opérations la chimie la plus fine n'est qu'une ignorance très-grossière.

On voit à quel dessein chaque chose a été faite; pourquoi le cœur, pourquoi le cerveau, pourquoi les esprits, pourquoi la bile, pourquoi les autres humeurs. Qui voudra dire que le sang n'est pas fait pour nourrir l'animal? que l'estomac et les eaux qu'il jette par ses glandes ne sont pas faits pour préparer par la digestion la formation du sang? que les artères et les veines ne sont pas faites de la manière qu'il faut pour le contenir, pour le porter partout, pour le faire circuler continuellement? que le cœur n'est pas fait pour donner le branle à cette circulation?

Qui voudra dire que la langue et les lèvres, avec leur prodigieuse mobilité, ne sont pas faites pour former la voix en mille sortes d'articulations, ou que la bouche n'a pas été mise à la place la plus convenable pour transmettre la nourriture à l'estomac? que les dents n'y sont pas placées pour rompre cette nourriture et la rendre capable d'entrer? que les eaux qui coulent dessus ne sont pas propres à la ramollir et ne viennent pas pour cela à point nommé; ou que ce n'est pas pour ménager les organes et la place, que la bouche est pratiquée de manière que tout y sert également à la nourriture et à la parole? Qui voudra dire ces choses fera mieux de dire qu'un bâtiment n'est pas fait pour loger, et que ses appartements, ou engagés ou dégagés, ne sont pas construits pour la commodité de la vie ou pour faciliter les ministères nécessaires; en un mot, il sera un insensé qui ne mérite pas qu'on lui parle. BOSSUET.

La Nature brute et la Nature cultivée.

Voyez ces plages désertes, ces tristes contrées où l'homme n'a jamais résidé, couvertes ou plutôt hérissées de bois épais et noirs, dans toutes les parties élevées; des arbres sans écorce et sans cime, courbés, rompus, tombant de vétusté; d'autres, en plus grand nombre, gisant au pied des premiers, pour pourrir sur des monceaux déjà pourris, étouffent, ense

velissent les germes prêts à éclore. La nature, qui partout ailleurs brille par sa jeunesse, paraît ici dans la décrépitude; la terre, surchargée par le poids, surmontée par les débris de ces productions, n'offre, au lieu d'une verdure florissante, qu'un espace encombré, traversé de vieux arbres chargés de plantes parasites, de lichens, d'agarics, fruits impurs de la corruption. Dans toutes les parties basses, des eaux mortes, croupissantes, faute d'être conduites et dirigées des terrains fangeux, qui, n'étant ni solides ni liquides, sont inabordables, et demeurent également inutiles aux habitants de la terre et des eaux; des marécages qui, couverts de plantes aquatiques et fétides, ne nourrissent que des insectes venimeux, et servent de repaire aux animaux immondes.

Entre ces marais infects qui occupent les lieux bas, et les forêts décrépites qui couvrent les terres élevées, s'étendent des espèces de landes, des savanes, qui n'ont rien de commun avec nos prairies : les mauvaises herbes y surmontent, y étouffent les bonnes; ce n'est point ce gazon fin qui semble faire le duvet de la terre; ce n'est point cette pelouse émaillée qui annonce sa brillante fécondité; ce sont des végétaux agrestes, des herbes dures, épineuses, entrelacées les unes dans les autres, qui semblent moins tenir à la terre qu'elles ne tiennent entre elles, et qui, se desséchant et se repoussant successivement les unes sur les autres, forment une bourre grossière, épaisse de plusieurs pieds. Nulle route, nulle communication, nul vestige d'intelligence dans ces lieux sauvages.

L'homme obligé de suivre les sentiers de la bête féroce, s'il veut les parcourir, est contraint de veiller sans cesse pour éviter d'en devenir la proie; effrayé de leurs rugissements, saisi du silence même de ces profondes solitudes, il rebrousse chemin et dit : « La nature brute est hideuse et mourante c'est moi seul qui peux la rendre agréable et vivante. Desséchons ces marais, animons ces eaux mortes, en les faisant couler; formons-en des ruisseaux, des canaux. Employons cet élément actif et dévorant qu'on nous avait caché, et que nous ne devons qu'à nous-mêmes; mettons le feu à cette bourre superflue, à ces vieilles forêts déjà à demi consumées; achevons de détruire avec le fer ce que le feu n'aura pu consumer: bientôt, au lieu du jonc, du nénufar, dont le crapaud composait son venin, nous verrons paraître la renoncule, le trèfle, les herbes douces et salutaires; des troupeaux d'animaux bondissants fouleront cette terre jadis

impraticable; ils y trouveront une subsistance abondante, une pâture toujours renaissante; ils se multiplieront pour se multiplier encore. Servons-nous de ces nouveaux aides pour achever notre ouvrage; que le bœuf soumis au joug emploie ses forces et le poids de sa masse à sillonner la terre; qu'elle rajeunisse par la culture: une nature nouvelle va sortir de nos mains. >> BUFFON.

Les Voix de la nature.

Je me dresse à moitié sur mon lit et j'écoute passer l'ouragan, et mille pensées qui dormaient, les unes à la surface, les autres au plus profond de mon âme, s'agitent et se lèvent.

Tous les bruits de la nature les vents, ces haleines formidables qui mettent en jeu les innombrables instruments disposés dans les plaines, sur les montagnes, dans le creux des vallées, ou réunis en masse dans les forêts; les eaux, qui possèdent une échelle de voix d'une étendue si démesurée, à partir du bruissement d'une fontaine dans la mousse Jusqu'aux immenses harmonies de l'Océan; le tonnerre, voix de cette mer qui flotte sur nos têtes; le frôlement des feuilles sèches, s'il vient à passer un homme ou un vent follet; enfin, car il faut bien s'arrêter dans cette énumération qui serait infinie, cette émission continuelle de bruits, cette rumeur des éléments toujours flottante, dilatent ma pensée en d'étranges rêveries et me jettent en des étonnements dont je ne puis revenir. La voix de la nature a pris un tel empire sur moi que je parviens rarement à me dégager de la préoccupation habituelle qu'elle m'impose, et que j essaye en vain de faire le sourd. Mais s'éveiller à minuit, aux cris de la tempête, être assailli dans les ténèbres par une harmonie sauvage et furieuse qui bouleverse le paisible empire de la nuit, c'est quelque chose d'incomparable en fait d'impressions étranges; c'est la volupté dans la terreur. M. DE GUÉRIN1.

La Mort d'un Chêne.

Quand l'homme te frappa de sa lâche cognée,
O roi qu'hier le mont portait avec orgueil,

1. JOURNAL. (Didier édit.)

Mon âme, au premier coup, retentit indignée,
Et dans la forêt sainte il se fit un grand deuil.

Un murmure éclata sous ses ombres paisibles;
J'entendis des sanglots et des bruits menaçants;
Je vis errer des bois les hôtes invisibles,

Pour te défendre, hélas! contre l'homme impuissants.

Tout un peuple effrayé partit de ton feuillage,

Et mille oiseaux chanteurs, troublés dans leurs amours,
Planèrent sur ton front comme un pâle nuage,
Perçant de cris aigus tes gémissements sourds.

Le flot triste hésita dans l'urne des fontaines;
Le haut du mont trembla sous les pins chancelants;
Et l'aquilon roula dans les gorges lointaines
L'écho des grands soupirs arrachés à tes flancs.

Ta chute laboura, comme un coup de tonnerre,
Un arpent tout entier sur le sol paternel;

Et quand son sein meurtri reçut ton corps, la terre
Eut un rugissement terrible et solennel :

Car Cybèle t'aimait, toi l'aîné de ses chênes,
Comme un premier enfant que sa mère a nourri;
Du plus pur de sa séve elle abreuvait tes veines,
Et son front se levait pour te faire un abri.

Elle entoura tes pieds d'un long tapis de mousse,
Où toujours en avril elle faisait germer

Pervenche et violette à l'odeur fraîche et douce,
Pour qu'on choisît ton ombre et qu'on y vînt aimer.

Toi, sur elle épanchant cette ombre et tes murmures,
Oh! tu lui payais bien ton tribut filial!

Et chaque automne à flots versait tes feuilles mûres,
Comme un manteau d'hiver sur le coteau natal.

La terre s'enivrait de ta large harmonie;
Pour parler dans la brise, elle a créé les bois :
Quand elle veut gémir d'une plainte infinie,
Des chênes et des pins elle emprunte la voix.

Cybèle t'amenait une immense famille;
Chaque branche portait son nid ou son essaim :
Abeille, oiseaux, reptile, insecte qui fourmille,
Tous avaient la pâture et l'abri dans ton sein.

CLASSE DE 30.

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