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Manger des mets grossiers et garder les troupeaux.
Je me lève gaîment, et gaîment je travaille
Et quand pour moi vient l'heure du repos,
Je dors paisible sur la paille.

PONSARD.

Lamentations d'Électre.

ÉLECTRE, seule.

Air pur, voile céleste étendu sur la terre,
Voûte immense, sainte lumière,

Mon cri de désespoir vous salue!... Et ma main
Ensanglante et meurtrit mon sein!...

Pendant les longues nuits, ma couche solitaire
Sait par combien de pleurs je redemande un père
Tombé sous le fer des bourreaux!

Mars, l'implacable Mars, sur la terre étrangère,
Dans les nobles périls épargna le héros,
Promis aux coups de l'adultère!

Ainsi qu'un bûcheron de son bras vigoureux
Abat le chêne altier qui s'élevait aux cieux,
L'exécrable Egisthe et ma mère

Ont levé sur son front la hache meurtrière!
Et je suis la seule, ô mon père,

Oui, la seule qui donne à ton nom glorieux
Les pleurs et la prière!

Astres, divins flambeaux, rois éclatants du ciel,
Pâle clarté des nuits silencieuses,

Soleil, aux flammes radieuses,

Vous serez les témoins de mon deuil éternel!...
Ainsi qu'au fond des bois Philomèle plaintive,
Je veux, dans ce palais, à ces portes d'airain,
Faire éclater les cris de ma douleur captive!...
Proserpine et Pluton, Mercure souterrain,
Filles des dieux, Erinnys vengeresses,
Terrible Némésis, et vous toutes, déesses,
Fléau du traître, effroi de l'assassin!
Venez, secourez-moi! punissez l'adultère!
Vengez Agamemnon!... Envoyez-moi mon frère!
Dans le sein d'un ami que je verse mes pleurs!...

Electre, abandonnée et seule sur la terre,

Ne peut plus porter ses douleurs! L. HALÉVY (Tr. de Soph.)

Plaidoyer de la Pauvreté.

LA PAUVRETÉ.

Je suppose avec vous que Plutus puisse voir,

Et qu'à pleins seaux partout l'argent vienne à pleuvoir :
Si tout le monde en a : bonsoir métiers, commerce!
Il n'est pas un seul art que ton plan ne renverse.
Où trouver forgerons, armateurs, cordonniers,
Charrons, potiers, tailleurs, blanchisseurs et peaussiers?
Qui guidera le soc dans le sein de la terre?

Au moment des moissons, qui viendra vous les faire,
Si chacun se promène et se croise les bras?

CHRÉMYLE.

Va, va! Les ouvriers ne nous manqueront pas.

LA PAUVRETÉ

Quand chacun se verra tout l'argent qu'il désire,
Pour gagner quelques sous voudra-t-il se détruire?
Voudra-t-il désormais et fatigue et sueur,

Quand il aura chez lui l'argent et le bonheur?
Il te faudra toi-même ensemencer tes plaines!
Cultiver, labourer; à toi toutes les peines!
Tu n'y gagneras rien, ton sort sera plus dur.
CHRÉMYLE.

Qu'il soit le tien cent fois!

LA PAUVRETE.

Et sois tout aussi sûr

Qu'il faudra, pour dormir, te passer de couchette;

Adieu lits et tapis! Qui prendra la navette

Du jour où l'on verra l'or abonder pour tous?
Qui donnera la myrrhe en flots brillants et doux?
Et l'ambre, ces parfums des jeunes hyménées?
Et les manteaux brodés, et les robes ornées?
A quoi vous servira de vous voir opulents,
Si vous manquez de tout, pour manquer d'artisans?
J'en procure aujourd'hui : maîtresse impitoyable,
Je suis là, tourmentant l'ouvrier misérable,

Je le chasse du lit, je l'excite, et sa main
Travaille jour et nuit pour un morceau de pain.
FALLEX (Trad. d'Aristophane).

Péripéties d'Andromaque.

Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez :
J'ai vu mon père mort et nos murs embrasés;
J'ai vu trancher les jours de ma famille entière,
Et mon époux sanglant traîné sur la poussière,
Son fils, seul avec moi, réservé pour les fers;
Mais que ne peut un fils! je respire, je sers.
J'ai fait plus; je me suis quelquefois consolée
Qu'ici plutôt qu'ailleurs le sort m'eût exilée;
Qu'heureux dans son malheur le fils de tant de rois,
Puisqu'il devait servir, fùt tombé sous vos lois :
J'ai cru que sa prison deviendrait son asile.
Jadis Priam soumis fut respecté d'Achille :
J'attendais de son fils encor plus de bonté.
Pardonne, cher Hector! à ma crédulité :
Je n'ai pu soupçonner ton ennemi d'un crime;
Malgré lui-même enfin je l'ai cru magnanime.
Ah! s'il l'était assez pour nous laisser du moins
Au tombeau qu'à ta cendre ont élevé mes soins;
Et
que, finissant là sa haine et nos misères,
Il ne séparât point des dépouilles si chères !

Va m'attendre, Phoenix.

PYRRHUS.

Madame, demeurez.
On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez.
Oui, je sens à regret qu'en excitant vos larmes
Je ne fais contre moi que vous donner des armes :
Je croyais apporter plus de haine en ces lieux.
Mais, madame, du moins tournez vers moi les yeux;
Voyez si mes regards sont d'un juge sévère,

S'ils sont d'un ennemi qui cherche à vous déplaire.
Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir?
Au nom de votre fils cessons de nous haïr.
A le sauver enfin c'est moi qui vous convie.
Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie?
Faut-il qu'en sa faveur j'embrasse vos genoux?
Pour la dernière fois sauvez-le, sauvez-vous.

Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes,
Combien je vais sur moi faire éclater de haines.

Je renvoie Hermione, et je mets sur son front
Au lieu de ma couronne un éternel affront:

Je vous conduis au temple où son hymen s'apprête;

Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête.
Mais ce n'est plus, madame, une offre à dédaigner :
Je vous le dis, il faut ou périr ou régner.
Mon cœur, désespéré d'un an d'ingratitude,
Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude:
C'est craindre, menacer et gémir trop longtemps.
Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j'attends.
Songez-y; je vous laisse, et je viendrai vous prendre
Pour vous mener au temple où ce fils doit m'attendre;
Et là vous me verrez, soumis ou furieux,

Vous couronner, madame, ou le perdre à vos yeux.

SCÈNE VIII

ANDROMAQUE, CÉPHISE.

CÉPHISE.

Je vous l'avais prédit qu'en dépit de la Grèce
De votre sort encor vous seriez la maîtresse.

ANDROMAQUE.

Hélas! de quel effet tes discours sont suivis !
Il ne me restait plus qu'à condamner mon fils.
CÉPHISE.

Madame, à votre époux c'est être assez fidèle :
Trop de vertu pourrait vous rendre criminelle,
Lui-même il porterait votre âme à la douceur.

ANDROMAQUE.

Quoi! je lui donnerais Pyrrhus pour successeur?
CÉPHISE.

Ainsi le veut son fils, que les Grecs vous ravissent.
Pensez-vous qu'après tout ses mânes en rougissent;
Qu'il méprisât, madame, un roi victorieux

Qui vous fait remonter au rang de vos aïeux,

Qui foule aux pieds pour vous vos vainqueurs en colère,
Qui ne se souvient plus qu'Achille était son père,
Qui dément ses exploits et les rend superflus?

ANDROMAQUE.

Dois-je les oublier s'il ne s'en souvient plus?
Dois-je oublier Hector, privé de funérailles,
Et traîné sans honneur autour de nos murailles?
Dois-je oublier son père à mes pieds renversé,
Ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé?
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle;

Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
Entrant à la lueur de nos palais brûlants,

Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et, de sang tout couvert, échauffant le carnage.
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants;
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue;
Voilà par quels exploits il sut se couronner;
Enfin voilà l'époux que tu me veux donner.
Non, je ne serai point complice de ses crimes :
Qu'il nous prenne s'il veut pour dernières victimes.
Tous mes ressentiments lui seraient asservis!

CÉPHISE.

Eh bien, allons donc voir expirer votre fils:
On n'attend plus que vous... Vous frémissez, madame!

ANDROMAQUE

Ah! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme!
Quoi! Céphise, j'irai voir expirer encor

Ce fils, ma seul joie et l'image d'Hector?

Ce fils que de sa flamme il me laissa pour gage?
Hélas! je m'en souviens, le jour que son courage
Lui fit chercher Achille ou plutôt le trépas,

Il demanda son fils, et le prit dans ses bras1:
« Chère épouse, dit-il en essuyant mes larmes,
« J'ignore quel succès le sort garde à mes armes;
« Je te laisse mon fils pour gage de ma foi :

<< S'il me perd je prétends qu'il me retrouve en toi.
« Si d'un heureux hymen la mémoire t'est chère
<< Montre au fils à quel point tu chérissais le père. »
Et je puis voir répandre un sang si précieux?
Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux!
Roi barbare, faut-il que mon crime l'entraîne?
Si je te hais est-il coupable de ma haine?
T'a-t-il de tous les siens reproché le trépas?
S'est-il plaint à tes yeux des maux qu'il ne sent pas?
Mais cependant, mon fils, tu meurs si je n'arrête
Le fer que le cruel tient levé sur ta tête.
Je l'en puis détourner, et je t'y vais offrir?...
Non, tu ne mourras point, je ne le puis souffrir.

RACINE

1. HOMERE, Iliade, chant vi.

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