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Et ses bandeaux sacrés, et la flamme immortelle
Qui veillait dans son temple et brûlait devant elle.
FONTANES (Trad. de l'Eneide de Virgile).

La Ruine de Troie.

VÉNUS A ÉNÉE.

<< Non, non, ce ne sont point ces objets de ta haine,
Non, ce n'est point Pâris, ni l'odieuse Hélène,
C'est le courroux des dieux qui renverse nos murs.
Viens, je vais dissiper les nuages obscurs,
Dont sur tes yeux mortels la vapeur répandue
Cache ce grand spectacle à ta débile vue.
Ecoute seulement et, docile à ma voix,
D'une mère qui t'aime exécute les lois.
Vois-tu ces longs débris, ces pierres dispersées,
De ces brûlantes tours les masses renversées,
Cette poudre, ces feux ondoyants dans les airs?
Là, le trident en main, le puissant dieu des mers,
De la terre à grands coups entr'ouvrant les entrailles,
A leur base profonde arrache nos murailles,

Et dans ses fondements déracine Ilion.

Ici tonne en fureur l'implacable Junon :

Debout, le fer en main, la vois-tu sous ces portes
Appeler ces soldats? Vois-tu de ces cohortes
L'Hellespont à grands flots lui vomir les secours?
Sur un nuage ardent, au sommet de ces tours,
Regarde : c'est Pallas, dont la main homicide
Agite dans les airs l'étincelante égide;

Jupiter même aux Grecs souffle un feu belliqueux;
Excite les mortels et soulève les dieux.

Fuis; calme un vain courroux : fuis; c'en est fait, ta mère
Va protéger tes pas, et te rendre à ton père. »

Elle dit, et dans l'ombre échappe à mes regards.
Alors le voile tombe; alors, de toutes parts,
Je vois des dieux vengeurs la figure effrayante;
J'entends tonner les coups de leur main foudroyante,
Tout tombe je crois voir, de son faîte orgueilleux,
Ilion tout entier s'écrouler dans les feux.
Ainsi contre un vieux pin qui, du haut des montagnes,
Dominait fièrement sur les humbles campagnes

Lorsque des bûcherons, réunissant leurs bras,
De son tronc ébranlé font voler les éclats,
L'arbre altier, balançant sa tête chancelante,
Menace au loin les monts de sa chute pesante :
Attaqué, mutilé, déchiré lentement,

Enfin, dans un dernier et long gémissement,
Il épuise sa vie, il tombe, et les collines
Retentissent du poids de ses vastes ruines :
Ainsi tombe Ilion!

DELILLE (Trad. de l'Enéide de Virgile).

Le Vieillard de Tarente.

Aux lieux où le Galèse, en des plaines fécondes,
Parmi les blonds épis roule ses noires ondes,
J'ai vu, je m'en souviens, un vieillard fortuné
Possesseur d'un terrain longtemps abandonné :
C'était un sol ingrat, rebelle à la culture,

Qui n'offrait aux troupeaux qu'une aride verdure;
Ennemi des raisins et funeste aux moissons.
Toutefois, en ces lieux hérissés de buissons,
Un parterre de fleurs, quelques plantes heureuses
Qu'élevaient avec soin ses mains laborieuses,
Un jardin, un verger, dociles à ses lois,

Lui donnaient le bonheur qui s'enfuit loin des rois.
Le soir, des simples mets que ce lieu voyait naître,
Ses mains chargeaient sans frais une table champêtre.
Il cueillait le premier les roses du printemps,
Le premier de l'automne amassait les présents;
Et lorsqu'autour de lui, déchaîné sur la terre,
L'hiver impétueux brisait encor la pierre,
D'un frein de glace encor enchaînait les roseaux,
Lui déjà de l'acanthe émondait les rameaux,
Et, du printemps tardif accusant la paresse,
révenait les zéphyrs et hâtait sa richesse.
Chez lui le vert tilleul tempérait les chaleurs;
Le sapin pour l'abeille y distillait ses pleurs.
Aussi, dès le printemps, toujours prêts à renaître,
D'innombrables essaims enrichissaient leur maître;
Il pressait le premier ses rayons toujours pleins,
Et le miel le plus pur écumait sous ses mains.
Jamais Flore chez lui n'osa tromper Pomone;

Chaque fleur du printemps était un fruit d'automne.
Il savait aligner, pour le plaisir des yeux,
Des poiriers déjà forts, des ormes déjà vieux,
Et des pruniers greffés, et des platanes sombres
Qui déjà recevaient les buveurs sous leurs ombres.
DELILLE (Trad. des Géorgiques de Virgile).

La jeune Tarentine.

ÉLÉGIE.

Pleurez, doux alcyons! ô vous oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétys; doux alcyons, pleurez !
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!

Un vaisseau la portait au bord de Camarine :
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe; étonnée et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétys, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par son ordre bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement;

Et de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes.
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas! autour de son cercueil :

<<< Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée;
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée;
L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux. »
ANDRÉ CHÉNIER.

Satan.

Saisi de désespoir en contemplant les merveilles de l'univers, Satan apostrophe le soleil :

O toi qui, couronné d'une gloire immense, laisses du haut de la domination solitaire tomber tes regards comme le Dieu de ce nouvel univers; toi devant qui les étoiles cachent leurs têtes humiliées, j'élève une voix vers toi, mais non pas une voix amie; je ne prononce ton nom, ô soleil! que pour te dire combien je hais tes rayons.

Ah! ils me rappellent de quelle hauteur je suis tombé, et combien jadis je brillais glorieux au-dessus de ta sphère! L'orgueil et l'ambition m'ont précipité. J'osai, dans le ciel même, déclarer la guerre au Roi du ciel. Il ne méritait pas un pareil retour, lui qui m'avait fait ce que j'étais dans un rang éminent... Élevé si haut, je dédaignai d'obéir; je crus qu'un pas de plus me porterait au rang suprême et me déchargerait en un moment de la dette immense d'une reconnaissance éternelle....

Oh! pourquoi sa volonté toute-puissante ne me créa-t-elle pas au rang de quelque ange inférieur? je serais encore heureux, mon ambition n'eût point été nourrie par une espérance illimitée....

Misérable! où fuir une colère infinie, un désespoir infini? L'enfer est partout où je suis, moi-même je suis l'enfer.... O Dieu, ralentis tes coups! N'est-il aucune voie laissée au repentir, aucune à la miséricorde, hors l'obéissance ? L'obéissance! l'orgueil me défend ce mot. Quelle honte pour moi devant les esprits de l'abîme! Ce n'était pas par des promesses de soumission que je les séduisis, lorsque j'osai me vanter de subjuguer le Tout-Puissant.

ils

Ah! tandis qu'ils m'adorent sur le trône des enfers, savent peu combien je paye cher ces paroles superbes, combien je gémis intérieurement sous le fardeau de mes douleurs.... Mais si je me repentais, si, par un acte de la grâce divine, je remontais à ma première place?... Un rang élevé rappellerait bientôt des pensées ambitieuses; les serments d'une feinte soumission seraient bientôt démentis! Le tyran le sait; il est aussi loin de m'accorder la paix que je suis loin de demander grâce. Adieu donc, espérance, et avec toi, adieu, crainte et remords; tout est perdu pour moi. Mal, sois mon unique bien! Par toi du moins avec

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le Roi du ciel je partagerai l'empire peut-être même régnerai-je sur plus d'une moitié de l'univers, comme l'homme et ce monde nouveau l'apprendront en peu de temps. CHATEAUBRIAND (Trad. du Paradis perdu de Milton).

Le Paradis.

Comme un subit éclair qui, nous frappant en face,
Paralyse la vue et dans notre œil efface
L'impression des corps les plus volumineux,

Ainsi m'enveloppa par devant, par derrière,
D'un voile éblouissant une vive lumière

Et me couvrit au point que je ne voyais plus.

« L'Amour, dont les doux feux dans ce ciel se répandent, Pour disposer le cierge à ces feux qui l'attendent,

D'un semblable salut accueille les élus. »

Cette brève répouse, à peine de l'oreille
Elle m'entrait au cœur, que soudain, ô merveille!
Je sentis une force étrange me venir,

Et la vue en mes yeux se ralluma perçante,
Et telle qu'il n'est point de flamme si puissante
Que mon regard dès lors n'eût pu la soutenir.

Etje vis un torrent de flammes toutes vives,
Un fleuve de splendeurs coulant entre deux rives
Où d'un printemps sans fin s'étalait le trésor.
De ce fleuve sortaient des milliers d'étincelles
Qui tombaient au milieu de ces fleurs éternelles
Et semblaient des rubis enchâssés dans de l'or.
Puis, ivres de parfums, les clartés fulgurante
Au torrent merveilleux se replongeaient vivantes,
Et quand l'une y rentrait, une autre en jaillissait.
« Le désir qui t'enflamme à présent de connaîtr
Le sens de ce qu'ici tu viens de voir paraître,
Plus il gonfle ton cœur, d'autant mieux il me plaît;

Mais avant d'apaiser la soif qui te consume
Il te faudra goûter de cette eau sans écume. >>
Le Soleil de mes yeux ainsi m'avait parlé;

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