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Ensuite il ajouta : « Ces topazes brillantes,
Ce fleuve éblouissant et ces fleurs souriantes,
Sont du suprême Vrai le prélude voilé.

Non pas que l'enveloppe ici soit fort épaisse;
Mais le voile provient surtout de ta faiblesse,
Et ton regard n'est pas encore assez profond. >>
Tel, réveillé plus tard que son accoutumance,
L'enfant se précipite avec impatience,

Sur le sein nourricier collant son petit front:

Pour faire de mes yeux des miroirs plus limpides,
Ainsi je m'élançais vers ces flammes liquides
Où l'on se purifie en se désaltérant.

Et quand j'en eus mouillé le bord de ma paupière,
Le fleuve s'écartant de sa forme première
M'apparut rond, de long qu'il me semblait avant.

Et puis, comme, caché sous le masque, un visage
Nous apparaît tout autre, alors qu'il se dégage
De ce masque emprunté, voile artificiel :

Ainsi les belles fleurs, ainsi les étincelles
Exultèrent soudain plus vives et plus belles,
Et je vis clairement la double Cour du Ciel :

O toi par qui j'ai vu, Splendeur de Dieu lui-même !
Tout l'éclat triomphal du royaume suprême,
Donne-moi de le dire ainsi que je l'ai vu!

L. RATISBONNE (Trad. de Dante) 1.

L'Idolatrie.

Le monde avait vieilli dans l'idolâtrie, et, enchanté par ses idoles, il était devenu sourd à la voix de la nature qui criait contre elles. Quelle puissance fallait-il pour rappeler dans la mémoire des hommes le vrai Dieu, si profondément oublié, et retirer le genre humain d'un si prodigieux assoupissement!

Tous les sens, toutes les passions, tous les intérêts combattaient pour l'idolâtrie. Elle était faite pour le plaisir : les divertissements, les spectacles, et enfin la licence même 1 LA DIVINE COMÉDIE. (Michel Lévy édit.),

y faisaient une partie du culte divin. Comment accoutumer des esprits si corrompus à la régularité de la religion véritable, chaste, sévère, ennemie des sens et uniquement attachée aux biens invisibles? Saint Paul parlait à Félix, gouverneur de la Judée, de la justice, de la chasteté et du jugement à venir. Cet homme effrayé lui dit : « Retirez-vous quant à présent je vous manderai quand il faudra. > Ces discours étaient incommodes pour un homme qui voulait jouir sans scrupule, et à quelque prix que ce fût, des biens de la terre.

Voulez-vous voir remuer l'intérêt, ce puissant ressort qui donne le mouvement aux choses humaines? Dans ce grand décri de l'idolâtrie que commençaient à causer dans l'Asie les prédications de saint Paul, les ouvriers qui gagnaient leur vie en faisant de petits temples d'argent de la Diane d'Ephèse s'assemblèrent, et le plus accrédité d'entre eux leur représenta que leur gain allait cesser; « et nonseulement, dit-il, nous courons fortune de tout perdre; mais le temple de la grande Diane va tomber dans le mépris; et la majesté de celle qui est adorée dans toute l'Asie, et même dans tout l'univers, s'anéantira peu à peu. >>

Que l'intérêt est puissant, et qu'il est hardi quand il peut se couvrir du prétexte de la religion! Il n'en fallut pas davantage pour émouvoir ces ouvriers. Ils sortirent tous ensemble criant comme des furieux: La grande Diane des Ephésiens! et traînant les compagnons de saint Paul au théâtre, où toute la ville s'était assemblée. Alors les cris redoublèrent, et durant deux heures la place publique retentissait de ces mots : La grande Diane des Ephésiens! Saint Paul et ses compagnons furent à peine arrachés des mains du peuple par les magistrats, qui craignirent qu'il n'arrivât de plus grands désordres dans ce tumulte.

Joignez à l'intérêt des particuliers l'intérêt des prêtres qui allaient tomber avec leurs dieux; joignez à tout cela l'intérêt des villes que la fausse religion rendait illustres, comme la ville d'Ephèse qui devait à son temple ses priviléges, et l'abord des étrangers dont elle était enrichie : quelle tempête devait s'élever contre l'Eglise naissante, et faut-il s'étonner de voir ses apôtres si souvent battus, lapidés et laissés pour morts au milieu de la populace!

BOSSUET.

Homère.

Je ne suis qu'un Scythe, et l'harmonie des vers d'Homère, cette harmonie qui transporte les Grecs, échappe souvent à mes organes trop grossiers; mais je ne suis plus maître de mon admiration, quand je vois ce génie altier planer, pour ainsi dire, sur l'univers, lançant de toutes parts ses regards embrasés, recueillant les feux et les couleurs dont les objets étincellent à sa vue, assistant au conseil des dieux, sondant les replis du cœur humain, et bientôt, riche de ses découvertes, ivre des beautés de la nature, et, ne pouvant plus supporter l'ardeur qui le dévore, la répandre avec profusion dans ses tableaux et dans ses expressions; mettre aux prises le ciel avec la terre, et les passions avec ellesmêmes; nous éblouir par ces traits de lumière qui n'appartiennent qu'aux talents supérieurs; nous entraîner par ces saillies de sentiment qui sont le vrai sublime, et toujours laisser dans notre âme une impression profonde qui semble l'étendre et l'agrandir. BARTHÉLEMY.

Les Grecs et les Romains.

L'honneur, la bonne conscience et la religion sont audessus des plaisirs grossiers. Par de tels sentiments, les anciens Romains avaient appris à leurs enfants à mépriser leur corps, à le sacrifier pour donner à l'âme le plaisir de la vertu et de la gloire. Chez eux, ce n'étaient pas seulement les personnes d'une nàissance distinguée, c'était le peuple entier qui était tempérant, désintéressé, plein de mépris pour la vie, uniquement sensible à l'honneur et à la sagesse. Quand je parle des anciens Romains, j'entends ceux qui ont vécu avant que l'accroissement de leur empire eût altéré la simplicité de leurs mœurs.

Avant les Romains, les Grecs, dans les bons temps de leurs républiques, nourrissaient leurs enfants dans le mépris du faste et de la mollesse : ils leur apprenaient à n'estimer que la gloire; à vouloir, non pas posséder les richesses, mais vaincre les rois qui les possédaient; à croire qu'on ne peut se rendre heureux que par la vertu. Cet esprit s'était si fortement établi dans ces républiques, qu'elles ont fait des choses incroyables, selon ces maximes si contraires à celles de tous les autres peuples. FÉNELON.

1. Élevaient.

Bataille d'Andrinople.

Le 9 août 378, au lever du jour, l'armée se mit en mouvement. On laissa dans la ville le trésor et les bagages sous la garde des grands officiers de la couronne. La journée était très-chaude et le soleil très-ardent, lorsque vers midi, à trois lieues d'Andrinople, dans la direction de la petite ville de Nice, on aperçut les avant-postes des barbares. Les Goths ne s'attendaient pas à être attaqués ce jour-là, et leur cavalerie, sous la direction des chefs Alathée et Saphrax, était éloignée à quelque distance du gros de leur armée. Pour lui laisser le temps de rejoindre, Fritigern usa de strątagème et envoya des parlementaires à Valens. Ces députés avaient ordre d'annoncer de sa part que, pourvu qu'on le munît d'un sauf-conduit et qu'on lui livrât quelques otages, il était prêt à venir traiter lui-même de sa soumission.

L'idée de vaincre sans coup férir souriait toujours à Valens, et quelques heures précieuses furent perdues dans ces pourparlers. Ils duraient encore lorsqu'on apprit que les Goths avaient pris l'offensive, et que le sang coulait déjà à l'aile droite : la cavalerie était arrivée.

L'assaut des barbares fut terrible. Plus d'une fois les Romains s'étaient mesurés avec eux en bataille rangée; mais dans toutes les occasions précédentes ils avaient eu affaire à de petits corps d'aventuriers qui ne présentaient que peu de surface, et qu'on pouvait dérouter par la supériorité des manoeuvres. Ici c'était un peuple entier qui se ruait avec le poids irrésistible d'une masse d'eau torrentielle. Les légions, débordées à droite et à gauche, en tête et en queue, ne savaient où faire face ni à qui s'en prendre. La chaleur était étouffante; tout à coup, comme le soleil baissait pourtant déjà à l'horizon, elle s'accrut d'une façon inattendue jusqu'à devenir insupportable. Au même moment on découvrit à l'horizon une ligne de flammes s'avançant comme la marée : c'était un vaste incendie d'herbes et de broussailles que les Goths, maîtres de toute la campagne, avaient allumé, et qui, s'étendant rapidement, eut bientôt enveloppé l'armée romaine comme d'un cercle de feu. Ce terrible auxiliaire, annoncé déjà par les prédictions populaires, pénétra les esprits de terreur. Le jour tombait; des nuages de poussière et de fumée remplissaient l'air; les Romains étaient dévorés d'une soif ardente l'empereur lui-même, plein d'épouvante, ne donnait aucun ordre, recu

:

lait et avançait sans but et au hasard. Sa cavalerie enfin lâcha prise la première et tourna bride; son exemple fut rapidement imité par toutes les légions.

Au moment où Valens s'apprêtait à suivre lui-même l'armée en déroute, il fut blessé d'un coup de flèche, qui le mit hors d'état de se mêler aux fuyards. Soutenu par quelques hommes de son escorte, il fut porté dans la cabane d'un paysan, où il reçut les premiers soins. Mais l'incendie se propageait de moment en moment, et la cabane elle-même fut aussi gagnée par les flammes. Chacun alors pensa à sa sûreté les gens de la suite de l'empereur s'enfuirent par la porte ou par les fenêtres, et le malheureux prince resta seul sur le lit où on l'avait déposé, sorte de bûcher où l'attendait le supplice qu'il avait infligé lui-même à tant d'innocents. Son corps ne fut jamais retrouvé. A. DE BROGLIE 1.

Les Francs 2.

Parés de la dépouille des ours, des veaux marins, des urochs et des sangliers, les Francs se montraient de loin comme un troupeau de bêtes féroces. Une tunique courte et serrée laissait voir toute la hauteur de leur taille et ne leur cachait pas le genou. Les yeux de ces barbares ont la couleur d'une mer orageuse; leur chevelure blonde, ramenée en avant sur leur poitrine, et teinte d'une liqueur rouge, est semblable à du sang et à du feu. La plupart ne laissent croître leur barbe qu'au-dessus de la bouche, afin de donner à leurs lèvres plus de ressemblance avec le mufle des dogues et des loups. Les uns chargent leur main droite d'une longue framée, et leur main gauche d'un bouclier qu'ils tournent comme une roue rapide ; d'autres, au lieu de ce bouclier, tiennent une espèce de javelot nommé angon, où s'enfoncent deux fers recourbés; mais tous ont à la ceinture la redoutable francisque, espèce de hache à deux tranchants dont le manche est recouvert d'un dur acier : arme funeste que le Franc jette en poussant un cri de mort, et qui manque rarement de frapper le but qu'un œil intrépide a marqué. Ces barbares, fidèles aux usages des anciens Germains, 1. L'EGLISE AU IVe SIÈCLE. (M. Lévy édit.)

2. Le principal mérite de ce tableau où l'imagination de l'écrivain s'est donné carrière au moins pour la composition et l'ordonnance de la scène, c'est d'avoir révélé à Augustin Thierry son génie historique (Voyez la Préface des Récits mérovingiens).

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