Images de page
PDF
ePub

Éducation littéraire.

Je pris certain auteur1 autrefois pour mon maître :
Il pensa me gâter; à la fin, grâce aux dieux,
Horace, par bonheur, me dessilla les yeux.
L'auteur avait du bon, du meilleur, et la France
Estimait dans ses vers le tour et la cadence.
Qui ne les eût prisés ? j'en demeurai ravi;
Mais ses traits ont perdu quiconque l'a suivi.
Son trop d'esprit s'épand en trop de belles choses :
Tous métaux y sont or, toutes fleurs y sont roses.
On me dit là-dessus : De quoi vous plaignez-vous?
De quoi? Voilà mes gens aussitôt en courroux;
Hsse moquent de moi, qui, plein de ma lecture,
Vais partout prêchant l'art de la simple nature.
Ennemi de ma gloire et de mon propre bien,
Malheureux, je m'attache à ce goût ancien.

Qu'a-t-il sur nous 2, dit-on, soit en vers, soit en prose?
L'antiquité des noms ne fait rien à la chose,
L'autorité non plus, ni tout Quintilien.

Confus à ces propos, j'écoute, et ne dis rien.

J'avouerai cependant qu'entre ceux qui les tiennent
J'en vois dont les écrits sont beaux et se soutiennent :
Je les prise, et prétends qu'ils me laissent aussi
Révérer les héros du livre que voici 3.

LA FONTAINE.`

Derniers Adieux.

Tu te trompes assurément, mon cher ami, s'il est bien vrai, comme M. de Soissons me l'a dit, que tu me croies plus malade d'esprit que de corps. Il me l'a dit pour tâcher de m'inspirer du courage, mais ce n'est pas de quoi je manque Je t'assure que le meilleur de tes amis n'a plus à compter sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sor: point, si ce n'est pour aller un peu à l'Académie, afin que cela m'amuse. Hier, comme j'en revenais, il me prit au milie de la rue du Chantre une si grande faiblesse, que je cru:

1. Allusion à Voiture, guide aussi dangereux que séduisant.

2. En quoi ce goût est-il supérieur au nôtre?

3. Quintilien dont La Fontaine envoyait un exemplaire à Msr l'évêque de Soissons, plus connu sous le nom d'Huet, évêque d'Avranches.

:

véritablement mourir. O mon cher! mourir n'est rien mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu? Tu sais comment j'ai vécu. Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l'éternité seront peut-être ouvertes pour moi 1.

LA FONTAINE.

A M. de Grignan.

MORT DE TURENNE.

31 juillet 1675.

C'est à vous que je m'adresse, mon cher comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes qui pût arriver en France c'est la mort de M. de Turenne. Si c'est moi qui vous l'apprends, je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Cette nouvelle arriva lundi à Versailles le roi en a été affligé, comme on doit l'être de la mort du plus grand capitaine et du plus honnête homme du monde; toute la cour fut en larmes, et M. de Condom pensa s'évanouir. On était prêt à aller se divertir à Fontainebleau: tout a été rompu. Jamais un homme n'a été regretté si sincèrement; tout ce quartier où il a logé, et tout Paris, et tout le peuple était dans le trouble et dans l'émotion; chacun parlait et s'attroupait pour regretter ce héros. Je vous envoie une très-bonne relation de ce qu'il a fait les derniers jours de sa vie. C'est après trois mois d'une conduite toute miraculeuse, et que les gens du métier ne se lassent point d'admirer, qu'arrive le dernier jour de sa gloire et de sa vie.

Il monta à cheval à deux heures le samedi, après avoir mangé. Il avait bien des gens avec lui : il les laissa tous à trente pas de la hauteur où il voulait aller. Il dit au petit d'Elbeuf : « Mon neveu, demeurez là, vous ne faites que tourner autour de moi, vous me feriez reconnaître. » Il trouva M. d'Hamilton près de l'endroit où il allait, qui lui dit : « Monsieur, venez par ici; on tirera où vous allez. Monsieur, lui dit-il, je m'y en vais je ne veux point du tout être tué aujourd'hui; cela sera le mieux du monde. » I tournait son cheval, il aperçut Saint-Hilaire, qui lui dit le chapeau à la main : « Jetez les yeux sur cette batterie que

1. La lettre est datée du 10 février 1695. La Fontaine mourut deux mois après, le 13 avril, à l'âge de soixante-quatorze ans.

j'ai fait mettre là. » Il retourne deux pas, et sans être arrêté, il reçut le coup qui emporta le bras et la main qui tenaient le chapeau de Saint-Hilaire, et perça le corps après avoir fracassé le bras de ce héros. Ce gentilhomme le regardait toujours; il ne le voit point tomber; le cheval l'emporta où il avait laissé le petit d'Elbeuf; il n'était point encore tombé, mais il était penché le nez sur l'arçon : dans ce moment, le cheval s'arrête, il tomba entre les bras de ses gens; il ouvrit deux fois de grands yeux et la bouche et puis demeura tranquille pour jamais : songez qu'il était mort et qu'il avait une partie du cœur emportée.

On crie, on pleure; M. d'Hamilton fait cesser le bruit et ôter le petit d'Elbeuf, qui s'était jeté sur ce corps, qui ne le voulait pas quitter, et qui se pâmait de crier. On jette un manteau; on le porte dans une haie; on le garde à petit bruit; un carrosse vient, on l'emporte dans sa tente: ce fut là où M. de Lorges, M. de Roye, et beaucoup d'autres pensèrent mourir de douleur; mais il fallut se faire violence, et songer aux grandes affaires qu'il avait sur les bras. On lui a fait un service militaire dans le camp, où les larmes et les cris faisaient le véritable deuil : tous les officiers pourtant avaient des écharpes de crêpe; tous les tambours en étaient couverts, qui ne frappaient qu'un coup; les piques traînantes et les mousquets renversés : mais ces cris de toute une armée ne se peuvent pas représenter, sans que l'on en soit ému. Ses deux véritables neveux étaient à cette pompe, dans l'état que vous pouvez penser. M. de Roye tout blessé s'y fit porter; car cette messe ne fut dite que quand ils eurent repassé le Rhin. Je pense que le pauvre chevalier était bien abîmé de douleur.

Quand ce corps a quitté son armée, ç'a été encore une autre désolation; partout où il a passé ç'a été des clameurs; mais à Langres ils se sont surpassés ils allèrent tous audevant de lui tous habillés de deuil, au nombre de plus de deux cents, suivis du peuple; tout le clergé en cérémonie; ils firent dire un service solennel dans la ville, et en un moment se cotisèrent tous pour cette dépense, qui monte à cinq mille francs, parce qu'ils reconduisirent le corps jusqu'à la première ville, et voulurent défrayer tout le train. Que dites-vous de ces marques naturelles d'une affection fondée sur un mérite extraordinaire? Il arrive à Saint-Denis ce soir ou demain; tous ses gens l'allaient reprendre à deux lieues d'ici; il sera dans une chapelle en dépôt en attendant

qu'on prépare la chapelle. Il y aura un service, en attendant celui de Notre-Dame, qui sera solennel. Mme DE SÉVIGNÉ.

Regrets maternels.

Voici un terrible jour, ma chère fille; je vous avoue que je n'en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites et à tous ceux que je fais, et combien il s'en faut qu'en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer. Mon cœur est en repos quand il est auprès de vous : c'est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire.

Ce qui s'est passé ce matin me donne une douleur sensible, et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons: je les ai senties et les sentirai longtemps. J'ai le cœur et l'imagination tout remplis de vous; je n'y puis penser sans pleurer, et j'y pense toujours: de sorte que l'état où je suis n'est pas une chose soutenable; comme il est extrême, j'espère qu'il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouve que tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux qui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu'à ce que j'y sois un peu accoutumée; mais ce ne sera jamais assez pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser.

Je ne dois pas espérer mieux de l'avenir que du passé. Je sais ce que votre absence m'a fait souffrir; je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai point assez embrassée en partant: qu'avais-je à ménager? Je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse; et je ne vous ai point assez recommandée à M. de Grignan; je ne l'ai point assez remercié de ses politesses et de toute l'amitié qu'il a pour moi.

Je suis déjà dévorée de curiosité; je n'espère de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous. Dieu me fasse la grâce de l'aimer quelque jour comme je vous aime. Jamais un voyage n'a été si triste que le nôtre; nous ne disions pas

un mot. Adieu, ma chère enfant, aimez-moi toujours : hélas! nous revoilà dans les lettres. Ma fille, plaignez-moi de vous avoir quittée. Mme DE SÉVIGNÉ.

Une Nouvelle extraordinaire.

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste; une chose que l'on ne peut pas croire à Paris (comment la pourrait-on croire à Lyon?); une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d'Hauterive; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire; devinez-la : je vous le donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens?

:

[ocr errors]

Eh bien il faut donc vous la dire: M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Mme de Coulanges dit Voilà qui est bien difficile à deviner; c'est Mme de la Vallière. Point du tout, madame. — C'est donc Mlle de Retz? Point du tout, vous êtes bien provinciale. Vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c'est Mlle Colbert. Encore moins. C'est assurément Mlle de Créqui. - Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, Mademoiselle, Mademoiselle de... Mademoiselle... devinez le nom : il épouse Mademoiselle, ma foi! par ma foi! ma foi jurée! Mademoiselle, la grande Mademoiselle; Mademoiselle, fille de feu Monsieur; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV; mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans; Mademoiselle, cousine germaine du roi; Mademoiselle. destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.

« PrécédentContinuer »