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Quand l'ordre social se rétablit avec pompe, lorsqu'on fit l'empire, l'homme qui voulait être la gloire publique de la France, et s'occupait d'attirer, d'absorber dans l'abîme de sa renommée toutes les célébrités secondaires, tourna les yeux vers Ducis; il voulait le faire sénateur, Ducis n'en avait nulle envie : le maître de la France le chercha donc, et voulut l'honorer, le récompenser, l'avoir enfin. En général, il séduisait si facilement, qu'il était tout étonné de trouver quelqu'un qui osât résister, ou même échapper à ses bienfaits.

Un jour, dans une réunion brillante, il l'aborda comme on aborde un poète, par des compliments sur son génie : ses louanges n'obtiennent rien en retour; il va plus loin, il parle plus nettement; il parle de la nécessité de réunir toutes les célébrités, toutes les gloires de la France, autour d'un pouvoir réparateur. Même silence, même froideur. Enfin, comme il insistait, Ducis, avec une originalité toute shaskspearienne, lui prend fortement le bras, et lui dit : « Général, aimez-vous la chasse? » Cette question inattendue laisse le général embarrassé. «Eh bien! si vous aimez la chasse, avez-vous chassé quelquefois aux canards sauvages? C'est une chasse difficile, une proie qu'on n'attrape guère, et qui flaire de loin le fusil du chasseur. Eh bien! je suis un de ces oiseaux, je me suis fait canard sauvage. » Et en même temps il fuit à l'autre bout du salon et laisse le vainqueur d'Arcole et de Lodi fort étonné de cette incartade. VILLEMAIN.

Le Tombeau du Klephte.

Le soleil, mollement balancé sur les flots,
De ses rayons mourants effleurait le rivage,
Et semblait à regret fuir un ciel sans nuage;
A ses fils attentifs Dimos, le vieux Dimos,

Donnait des ordres en ces mots :

<< Allez, enfants, allez, de la source prochaine
Pour le repas du soir qu'on épuise les eaux :
Toi, Lamprakis, digne sang d'un héros,
Fils de mon frère, approche et sois leur capitaine;
Prends, revêts mon armure, et siége à mon côté.
Et vous, mes compagnons, du cèdre qui m'ombrage,
Avec le fer chéri que j'ai longtemps porté

Coupez les verts rameaux; sur un lit de feuillage
Que je repose encor de vous tous entouré!

Hâtez-vous, que du ciel le ministre sacré
Vienne entendre l'aveu des fautes de ma vie,
Et du joug du péché que sa main me délie!...
Sur les champs de victoire où je guidai vos pas,
J'espérais rencontrer, pour prix de ma vaillance,
En frappant l'infidèle un plus noble trépas!
Mon heure a bien tardé, la voici qui s'avance....
Du Klephte, qui meurt dans vos bras,
Préparez, mes amis, la demeure dernière.

Que mon tombeau soit vaste, et debout sur la pierre,
Que j'y puisse combattre au moment du réveil;
Qu'il s'entr'ouvre aux regards de l'Orient vermeil;
Et, lorsque la saison nouvelle

De son souffle embaumé ranimera vos champs,
Le rossignol plaintif et la vive hirondelle
Viendront m'annoncer le printemps. >>

N. LEMERCIER.

Jacques le Maçon.

I.

LE MARI.

Adieu, mes bons petits. Toi, plus frais qu'une pomme,
Mon Paul, un gros baiser. Encore un! encore un!
Femme, entre vos deux bras serrez donc mieux votre homme,
Songez que jusqu'au soir je vais rester à jeun.

LA FEMME.

Vous, Vincent, veillez mieux sur vos échafaudages;
Ah! pour me mettre en deuil il suffit d'un faux pas.
Enfoncez bien vos pieux, nouez bien vos cordages.
Vraiment le long du jour ici je ne vis pas.

LE MARI.

La bâtisse s'achève; avec notre ami Jacques
Bientôt je reviendrai, nous serons joyeux tous :
Du vin, un bon rôti, des œufs rouges de Pâques!
Tu sais, Jacques, tu sais que ta place est chez nous.

II

Courage! encore une journée
Et cette reine des maisons
Dans Paris sera terminée :
Courage, apprentis et maçons

Avec leurs marteaux, leurs truelles,
Et des gravats plein leurs paniers,
Comme ils sont vifs sur les échelles!
Moins vifs seraient des mariniers.

Qu'on prépare un bouquet de fête;
Au pignon il faut le planter.
Les plumes au vent, sur le faîte,
Voyez-vous le moineau chanter?

Eux, ce soir, les gars de Limoge,
Du travail chanteront la fin;
Et vous entendrez votre éloge,
Bourgeois, si vous payez le vin.

III

Ah! quelle rumeur sur la place!
« A l'aide, à l'aide, Limousins!

<< Du foin, de la paille! oh! de grâce,
« Des matelas et des coussins!

<< Si l'un à cette pierre blanche

<< Peut s'accrocher, ils sont sauvés....
<< Ah! tous deux font craquer la planche!
<< Ils vont tomber sur les pavés. »

Et vers l'étai qui se balance,
Ils restent là, les bras en haut;
Alors, dans le morne silence,
On entendit sur l'échafaud :

« J'ai trois enfants, Jacque, une femme! >>
Jacque un instant le regarda :

« C'est juste! » dit cette bonne âme,

Et dans la rue il se jeta.

IV

Ah! ton nom, ton vrai nom, que ma voix le répande Toi que j'appelai Jacque, ô brave compagnon! Inconnu qui portais une âme douce et grande, Pour l'honneur du pays, héros, dis-moi ton nom!

Sommes-nous au-dessous des temps de barbarie? Les tiens dans ton hameau ne t'ont point rapporté!

1. Ce fait est historique et s'est produit à Paris.

1

Ils ne t'ont point nommé saint de leur confrérie!
Les rimeurs se sont tus! l'orgue n'a point chanté!

Des amis, un surtout, pleurant sur ton cadavre,
Quelques mots du journal, voilà ton seul honneur :
Honte à qui voit le mal sans que le mal le navre,
Ou qui voyant le bien n'est ivre de bonheur !

BRIZEUX 1.

Une lecture de l'Imitation de Jésus-Christ.

J'étais dans ma prison, seul dans une petite chambre et profondément triste. Depuis quelques jours, j'avais lu les Psaumes, l'Evangile et quelques bons livres. Leur effet avait été rapide, quoique gradué. Déjà j'étais rendu à la foi, je voyais une lumière nouvelle, mais elle m'épouvantait et me consternait en me montrant un abîme, celui de quarante années d'égarement. Plein de ces désolantes idées, mon cœur était abattu et s'adressait tout bas à Dieu que je venais de retrouver, et qu'à peine connaissais-je encore. Je lui disais: «Que dois-je faire ? Que vais-je devenir ? J'avais sur ma table l'Imitation, et l'on m'avait dit que, dans cet excellent livre, je trouverais souvent la réponse à mes pensées. Je l'ouvre au hasard, et je tombe, en l'ouvrant, sur ces paroles : « Me voici, mon fils! Je viens à vous parce que vous m'avez invoqué.» Je n'en lus pas davantage; l'impression subite que j'éprouvai est au-dessus de toute expression, et il ne m'est pas plus possible de la rendre que de l'oublier. Je tombai la face contre terre, baigné de larmes, étouffé de sanglots, jetant des cris et des paroles entrecoupées. Je sentais mon cœur soulagé et dilaté, mais en même temps comme prêt à se fendre. Assailli d'une foule d'idées et de sentiments, je pleurai assez longtemps sans qu'il me reste d'ailleurs d'autre souvenir de cette situation, si ce n'est que c'est sans aucune comparaison ce que mon cœur a jamais senti de plus violent et de plus délicieux, et que ces mots : « Me voici, mon fils! > ne cessaient de retentir dans mon âme et d'en ébranler puissamment toutes les facultés.

1. POÉSIES. (Didier édit.'

LAHARPE.

SIXIÈME PARTIE

GENRE PHILOSOPHIQUE, MORAL ET RELIGIEUX

Critique des Philosophes anciens.

Que de héros fameux! quels graves personnages!
Que vois-je? la Discorde, au milieu de ces sages!
Et de maîtres entre eux sans cesse divisés,
Naissent des sectateurs l'un à l'autre opposés.
Nos folles vanités font pleurer Héraclite,
Ces mêmes vanités font rire Démocrite.

Quel remède à nos maux que des ris ou des pleurs!
Qu'ils en cherchent la cause, et guérissent nos cœurs.
Habitant des tombeaux, que t'apprend leur silence?
« Les atomes erraient dans un espace immense;
Déclinant de leur route, ils se sont approchés;
Durs, inégaux, sans peine ils se sont accrochés.
Le hasard a rendu la nature parfaite :

L'œil au-dessus du front se creusa sa retraite;
Les bras au haut du corps se trouvèrent liés;
La terre heureusement se durcit sous nos pieds.
L'univers fut le fruit de ce prompt assemblage;
L'être libre et pensant en fut aussi l'ouvrage. »

Par honneur, Hippocrate, ou par pitié du moins,

Va guérir ce rêveur si digne de tes soins.

C'est à l'eau dont tout sort que Thalès nous ramène; L'air seul a tout produit, nous dit Anaximène;

Et l'éternel pleureur assure que le feu

De l'univers naissant mit les ressorts en jeu.
Pyrrhon, qui n'a trouvé rien de sûr que son doute,
De peur de s'égarer, ne prend aucune route;
Insensible à la vie, insensible à la mort,

Il ne sait quand il veille, il ne sait quand il dort;
Et de son indolence, au milieu d'un orage,

Un stupide animal est en effet l'image.

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