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Orné de sa besace et fier de son manteau,
Cet orgueilleux n'apprend qu'à rouler un tonneau.
Oui, sa lanterne en main, Diogène m'irrite;

Il cherche un homme, et lui n'est qu'un fou que j'évite.
C'est assez contempler ces astres si parfaits;
Anaxagore, enfin, dis-nous qui les a faits.
Mais quelle douce voix enchante mon oreille?
Tandis qu'en ces jardins Épicure sommeille,
Que de voluptueux répètent ses leçons,
Mollement étendus sur de tendres gazons!
Malheureux! Jouissez promptement de la vie;
Hâtez-vous, le temps fuit, et la Parque ennemie
D'un coup de son ciseau va vous rendre au néant :
Par un plaisir encor volez-lui cet instant.

Votre austère rival, pâle, mélancolique,

Fait de ses grands discours résonner le Portique.
Je tremble en l'écoutant: sa vertu me fait peur;
Je ne puis, comme lui, rire dans la douleur;
J'ose la croire un mal, et le crois sans attendre
Que la goutte en fureur me contraigne à l'apprendre.
L'Académie, enfin, par la voix de Platon,

Va dissiper en moi tout l'ennui de Zénon;

Mais de Platon lui-même, et qu'attendre, et que croire,
Quand de ne rien savoir son maître fait sa gloire 1?
Incertain comme lui, n'osant rien hasarder,
Il réfute, il propose, et laisse à décider.
Par quelques vérités à peine il me console;
Il s'arrête, il hésite, il doute et me désole.
Son disciple jaloux 2, prompt à l'abandonner,
Se retire au Lycée, et m'y veut entraîner :
Mais à l'homme inquiet le maître d'Alexandre
Du terrible avenir ne daigne rien apprendre.
Que me fait sa morale, et tout son vain savoir,
S'il me laisse mourir sans un rayon d'espoir?
Loin des longs raisonneurs que la Grèce publie,
Le mystique vieillard 3 m'appelle en Italie.
La mort, si je l'en crois, ne doit point m'affliger:
On ne périt jamais, on ne fait que changer;
Et l'homme et l'animal, par un accord étrange,
De leurs âmes entre eux font un bizarre échange.
De prisons en prisons enfermés tour à tour,

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Nous mourons seulement pour retourner au jour :
Triste immortalité, frivole récompense

D'une abstinence austère et de tant de silence.

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Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi, la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.

Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample et aussi présente que quelques autres. Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m'ont conduit à des considérations et des maximes dont j'ai formé une méthode par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance, et de l'élever peu à peu au plus haut point auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d'atteindre. DESCARTES.

Dieu dans le monde.

Il y a une raison qui fait que le plus grand poids emporte le moindre; qu'une pierre enfonce dans l'eau plutôt que du

bois; qu'un arbre croît en un lieu plutôt qu'en un autre ; et que chaque arbre tire de la terre, parmi une infinité de sucs, celui qui est propre pour le nourrir. Mais cette raison n'est pas dans toutes ces choses : elle est en celui qui les a faites et qui les a ordonnées.

On a beau exalter l'adresse de l'hirondelle, qui se fait un nid si propre, ou des abeilles, qui ajustent avec tant de symétrie leurs petites niches les grains d'une grenade ne sont pas ajustés moins proprement; et toutefois on ne s'avise pas de dire que les grenades ont de la raison.

:

Tout se fait, dit-on, à propos dans les animaux; mais tout se fait peut-être encore plus à propos dans les plantes. Leurs fleurs tendres et délicates, et durant l'hiver enveloppées comme dans un petit coton, se déploient dans la saison la plus bénigne; les feuilles les environnent comme pour les garder; elles se tournent en fruits dans leur saison, et ces fruits servent d'enveloppes aux grains, d'où doivent sortir de nouvelles plantes. Chaque arbre porte des semences propres à engendrer son semblable: en sorte que d'un orme il vient toujours un orme, et d'un chêne toujours un chêne. La nature agit en cela comme sûre de son effet. Ces semences, tant qu'elles sont vertes et crues, demeurent attachées à l'arbre pour prendre leur maturité : elles se détachent d'elles-mêmes quand elles sont mûres; elles tombent au pied de leurs arbres, et les feuilles tombent dessus. Les pluies viennent, les feuilles pourrissent et se mêlent avec la terre, qui, ramollie par les eaux, ouvre son sein aux semences, que la chaleur du soleil, jointe à l'humidité, fera germer en son temps. Certains arbres, comme les ormeaux et une infinité d'autres, renferment leurs semences dans des matières légères que le vent emporte; la race s'étend bien loin par ce moyen, et peuple les montagnes voisines. Il ne faut donc plus s'étonner si tout se fait à propos dans les animaux cela est commun à toute la nature. Il ne sert de rien de prouver que leurs mouvements ont de la suite, de la convenance et de la raison; mais s'ils connaissent cette convenance et cette suite, si cette raison est en eux ou dans celui qui les a faits, c'est ce qu'il fallait examiner.

Ceux qui trouvent que les animaux ont de la raison, parce qu'ils prennent pour se nourrir et se bien porter les moyens convenables, devraient dire aussi que c'est par raisonnement que se fait la digestion.... Toute la nature est pleine de convenances et disconvenances, de proportions et dis

proportions, selon lesquelles les choses, ou s'ajustent ensemble, ou se repoussent l'une l'autre ce qui montre, à la vérité, que tout est fait par intelligence, mais non pas que tout soit intelligent. BOSSUET.

Le Progrès dans l'Humanité.

Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu'aujourd'hui, et chacune d'elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu'ils en ont : comme ils la reçoivent sans étude, ils n'ont pas le bonheur de la conserver; et toutes les fois qu'elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque la nature n'ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre dé perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égale, de peur qu'ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu'ils y ajoutent, de peur qu'ils ne passent les limites qu'elle leur a prescrites. Il n'en est pas de même de l'homme, qui n'est produit que pour l'infinité. Il est dans l'ignorance au premier âge de sa vie; mais il s'instruit sans cesse dans son progrès; car il tire avantage, non-seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu'il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu'il s'est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu'ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement; de sorte que les hommes sont aujourd'hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes, s'ils pouvaient avoir vieilli jusques à présent, en ajoutant aux connaissances qu'ils avaient celles que leurs études auraient pu leur acquérir à la faveur de tant de siècles. De là vient que, par une prérogative particulière, nonseulement chacun des hommes s'avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l'univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différents d'un particulier.

De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de

tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement : d'où l'on voit avec combien d'injustice nous respectons l'antiquité dans ses philosophes: car, comme la vieillesse est l'âge le plus distant de l'enfance, qui ne voit que la vieillesse chez cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de sa naissance, mais dans ceux qui en sont les plus éloignés ? Ceux que nous appelons anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l'enfance des hommes proprement; et comme nous avons joint à leurs connaissances l'expérience des siècles qui les ont suivis, c'est en nous que l'on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres. PASCAL.

Le Roseau pensant.

L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser: une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer; mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée que nous ne saurions remplir; travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

L'homme est visiblement fait pour penser: c'est toute sa dignité et tout son mérite; et tout son devoir est de penser comme il faut. PASCAL.

L'Idéal et la Nature.

Le génie, c'est surtout, c'est essentiellement la puissance de faire, d'inventer, de créer. Le goût se contente d'observer et d'admirer. Le faux génie, l'imagination ardente et impuissante, se consume en rêves stériles et ne produit rien ou rien de grand. Le génie seul a la vertu de convertir ses conceptions en créations. Si le génie crée, il n'imite pas.

Mais le génie, va-t-on dire, est donc supérieur à la nature, puisqu'il ne l'imite point. La nature est l'œuvre de Dieu; l'homme est donc le rival de Dieu?

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