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Honte à qui reste en route et finit le dernier!
Les rires, les clameurs stimulent sa paresse.
Aussi, comme chacun dans sa gaîté se presse!
Presque au milieu du champ, déjà brille là-bas
Plus d'un rouge corset entre les échalas.
Voici qu'un lièvre part
La grive au cri perçant

on a vu ses oreilles. fuit et rase les treilles.

Malgré les rires fous, les chants à pleine voix,
Tout panier s'est déjà vidé plus d'une fois,

Et bien des chars ployant sous l'heureuse vendange,
Escortés des enfants, sont partis pour la grange.
Au pas lent des taureaux les voilà revenus,

Rapportant tout l'essaim des marmots aux pieds nus.
On descend, et la troupe à grand bruit s'éparpille,
Va des chars aux paniers, revient, saute et grappille,
Près des ceps oubliés se livre des combats.

Qu'il est doux de les voir, si vifs dans leurs ébats,
Préludant par des pleurs à de folles risées,
Tout empourprés du jus des grappes écrasées !
Fêtez les raisins mûrs! venez de toutes parts,
Enfants sur les tonneaux qui sonnent dans les chars
Grimpez, ô blonde fourmilière !

C'est votre fête à vous, quand on cueille ce fruit;
C'est le jour du fou rire, et des chants et du bruit;
Venez ceints de pampre et de lierre.

Dansez, garçons joufflus, une grappe à la main,
A la cave, au pressoir ne manquez pas demain;
Suivez la vendange à la trace.

LAPRADE1.

L'Ane.

L'âne n'est point un cheval dégénéré, un cheval à queue nue; il n'est ni étranger, ni intrus, ni bâtard; il a, comme tous les autres animaux, sa famille, son espèce et son rang; son sang est pur; et quoique sa noblesse soit moins illustre, elle est tout aussi bonne, tout aussi ancienne que celle du cheval; pourquoi donc tant de mépris pour cet animal si bon, si patient, si sobre, si utile?

Les hommes mépriseraient-ils jusque dans les animaux ceux qui les servent trop bien et à trop peu de frais? On donne au 1. LES SYMPHONIES. (Michel Lévy édit.)

cheval de l'éducation, on le soigne, on l'instruit, on l'exerce, tandis que l'âne, abandonné à la grossièreté du dernier des valets, ou à la malice des enfants, bien loin d'acquérir, ne peut que perdre par son éducation; et s'il n'avait pas un grand fonds de bonnes qualités, il les perdrait en effet par la manière dont on le traite: il est le jouet, le plastron, le bardeau des rustres qui le conduisent le bâton à la main, qui le frappent, le surchargent, l'excèdent sans précautions, sans ménagement. On ne fait pas attention que l'âne serait par lui-même, et pour nous, le premier, le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des animaux, si dans le monde il n'y avait point de cheval; il est le second au lieu d'être le premier, et par cela seul il semble n'être plus rien: c'est la comparaison qui le dégrade; on le regarde, on le juge, non pas en luimême, mais relativement au cheval; on oublie qu'il est âne, qu'il a toutes les qualités de sa nature, tous les dons attachés à son espèce; et on ne pense qu'à la figure et aux qualités du cheval, qui lui manquent, et qu'il ne doit pas avoir.

Il est de son naturel aussi humble, aussi patient, aussi tranquille que le cheval est fier, ardent, impétueux; il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châtiments et les coups : il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture; il se contente des herbes les plus dures, les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent: il est fort délicat sur l'eau, il ne veut boire que de la plus claire, et aux ruisseaux qui lui sont connus: il boit aussi sobrement qu'il mange; et n'enfonce point du tout son nez dans l'eau, par la peur que lui fait, dit-on, l'ombre de ses oreilles. Comme l'on ne prend pas la peine de l'étriller, il se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère; et, sans se soucier beaucoup de ce qu'on lui fait porter, il se couche pour se rouler toutes les fois qu'il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu'on prend de lui; car il ne se vautre pas, comme le cheval, dans la fange et dans l'eau; il craint même de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue; aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval. Il est susceptible d'éducation, et l'on en a vu d'assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle.

BUFFON.

L'Ane.

Moins vif, moins valeureux, moins beau que le cheval,
L'âne est son suppléant et non pas son rival;
Il laisse au fier coursier sa superbe encolure,
Et son riche harnais, et sa brillante allure.
Instruit par un lourdeau, conduit par le bâton,
Sa parure est un bât, son régal un chardon.
Pour lui Mars n'ouvre point sa glorieuse école;
Il n'est point conquérant, mais il est agricole;
Enfant, il a sa grâce et ses folâtres jeux;
Jeune, il est patient, robuste et courageux,
Et paye, en les servant avec persévérance,
Chez ses patrons ingrats sa triste vétérance.
Son service zélé n'est jamais suspendu;
Porteur laborieux, pourvoyeur assidu,
Entre ses deux paniers de pesanteur égale,
Chez le riche bourgeois, chez la veuve frugale,
Il vient, les reins courbés et les flancs amaigris,
Souvent à jeun lui-même, alimenter Paris.
Quelquefois, consolé par une chance heureuse,
Il sert de Bucéphale à la beauté peureuse;
Et sa compagne enfin va dans chaque cité
Porter aux teints flétris les fleurs de la santé.
Il marche sans broncher au bord du précipice,
Reconnaît son chemin, son maître et son hospice:
De tous nos serviteurs c'est le moins exigeant;
Il naît, vieillit et meurt sous le chaume indigent :
Aux injustes rigueurs dont sa fierté s'indigne,
Son malheur patient noblement se résigne.

Enfin, quoique son aigre et déchirante voix
De sa rauque allégresse importune les bois,
Qu'il offense à la fois et les yeux et l'oreille,
Que le châtiment seul en marchant le réveille,
Qu'il soit hargneux, revêche et désobéissant.
A force de malheur l'âne est intéressant;
Aussi le préjugé vainement le maltraite,
En dépit de l'orgueil, il aura son poète :
Homère, qui chanta tant de héros divers,
Auprès du grand Ajax le plaça dans ses vers.
La Fable le nomma le coursier de Silène.
Ami des voluptés, il naquit pour la peine.

Et moi qui déplorai le sort des animaux,

J'ai dû peindre ses mœurs, ses bienfaits et ses maux.

DELILLE.

Le Paon.

Si l'empire appartenait à la beauté et non à la force, le paon serait, sans contredit, le roi des oiseaux; il n'en est point sur qui la nature ait versé ses trésors avec plus de profusion: la taille grande, le port imposant, la démarche fière, la figure noble, les proportions du corps élégantes et sveltes, tout ce qui annonce un être de distinction lui a été donné; une aigrette mobile et légère, peinte des plus riches couleurs, orne sa tête, et l'élève sans la charger; son incomparable plumage semble réunir tout ce qui flatte nos yeux dans le coloris tendre et frais des plus belles fleurs, tout ce qui les éblouit dans les reflets pétillants des pierreries, tout ce qui les étonne dans l'éclat majestueux de l'arc-en-ciel : non-seulement la nature a réuni sur le plumage du paon toutes les couleurs du ciel et de la terre pour en faire le chef-d'œuvre de sa magnificence, elle les a encore mêlées, assorties, nuancées, fondues de son inimitable pinceau, et en a fait un tableau unique, où elles tirent de leur mélange avec des nuances plus sombres et de leurs oppositions entre elles un nouveau lustre et des effets de lumière si sublimes que notre art ne peut ni les imiter ni les décrire.

Tel paraît à nos yeux le plumage du paon lorsqu'il se promène paisible et seul dans un beau jour de printemps; mais si sa femelle vient tout à coup à paraître, si les feux de l'amour, se joignant aux secrètes influences de la saison, le tirent de son repos, lui inspirent une nouvelle ardeur et de nouveaux désirs, alors toutes ses beautés se multiplient, ses yeux s'animent et prennent de l'expression, son aigrette s'agite sur sa tête et annonce l'émotion intérieure; les longues plumes de sa queue déploient, en se relevant, leurs richesses éblouissantes; sa tête et son cou, se renversant noblement en arrière, se dessinent avec grâce sur ce fond radieux, où la lumière du soleil se joue en mille manières, se perd et se reproduit sans cesse, et semble prendre un nouvel éclat plus doux et plus moelleux, de nouvelles couleurs plus variées et plus harmo

nieuses; chaque mouvement de l'oiseau produit des milliers de nuances nouvelles, des gerbes de reflets ondoyants et fugitifs, sans cesse remplacés par d'autres reflets et d'autres nuances toujours diverses et toujours admirables.

Mais ces plumes brillantes, qui surpassent en éclat les plus belles couleurs, se flétrissent aussi comme elles, et tombent chaque année; le paon, comme s'il sentait la honte de sa perte, craint de se faire voir dans cet état humiliant et cherche les retraites les plus sombres pour s'y cacher à tous les yeux, jusqu'à ce qu'un nouveau printemps, lui rendant sa parure accoutumée, le ramène sur la scène pour y jouir des hommages dus à sa beauté : car on prétend qu'il en jouit en effet; qu'il est sensible à l'admiration; que le vrai moyen de l'engager à étaler ses belles plumes, c'est de lui donner des regards d'attention et des louanges; et qu'au contraire, lorsqu'on paraît le regarder froidement et sans beaucoup d'intérêt, il replie tous ses trésors, et les cache à qui ne sait point les admirer. BUFFON.

Le Héron.

Le bonheur n'est pas également départi à tous les êtres sensibles; et la nature elle-même paraît avoir négligé certains animaux qui, par imperfection d'organes, sont condamnés à endurer la souffrance et destinés à éprouver la pénurie. Enfants disgraciés, nés dans le dénûment pour vivre dans la privation, leurs jours pénibles se consument dans les inquiétudes d'un besoin toujours renaissant. Souffrir et patienter sont souvent leurs seules ressources, et cette peine intérieure trace sa triste empreinte jusque sur leur figure, et ne leur laisse aucune des grâces dont la nature anime tous les êtres heureux.

Le héron nous présente l'image d'une vie de souffrance, d'anxiété, d'indigence. N'ayant que l'embuscade pour tout moyen d'industrie, il passe des heures, des jours entiers à la même place, immobile, au point de laisser douter si c'est un être animé. Lorsqu'on l'observe avec une lunette, car il se laisse rarement approcher, il paraît comme endormi, posé sur une pierre, le corps presque droit et sur un seul pied, le cou replié le long de la poitrine et du ventre, la tête et le bec couchés entre les épaules qui se haussent et excèdent de beaucoup la poitrine; et, s'il change d'attitude, c'est pour

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