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CHAPITRE VIII.

Conduite du cardinal, relativement à l'armée.

Il n'est rien qui répande plus d'éclat sur la couronne que les succès à la guerre. Toutes les fois Richelieu était à l'armée avec le roi, ou que lorsqu'il en conduisait seul les opérations, il accumulait les moyens, il imposait la plus sévère discipline, il punissait les fautes avec la dernière rigueur, aucune négligence n'était tolérée; et remarquez que, pendant son ministère, Louis XIII n'a jamais commandé sans l'avoir avec lui; mais lorsque le cardinal n'était pas à l'armée, il ne

s'occupait que du soin d'y maintenir son autorité personnelle; et pour y parvenir, il compromettait la gloire de nos armes, et même le salut de l'armée.

Je crois trouver ici une preuve frappante qu'il n'avait point, par sa tyrannie, fortifié l'autorité royale.

Sa passion de dominer lui faisait exposer à de grands périls les intérêts du roi et de l'Etat dans la conduite de la guerre. Il nommait plusieurs généraux qui commandaient alternativement. On voit même dans ses nombreuses lettres aux maréchaux de Chaulnes et de Châtillon, qu'ils commandaient ensemble la même armée. Les lettres leur sont adressées collectivement; tous les ordres leur sont donnés à tous les deux ensemble. Il sentait l'inconvénient d'un tel système; mais il avoue qu'il obtenait ainsi des avis secrets que les généraux lui transmettaient les uns sur les autres. Quelle plus forte preuve voudrait-on exiger que cet homme ne connaissait et ne cherchait que son autorité personnelle? Ce n'était pas au roi, mais à lui-même, qu'il voulait attacher les grands seigneurs et les généraux. Il en résultait nécessairement des méfiances et des divisions.

Dans les dernières années de sa vie, l'armée campée devant Perpignan était partagée en deux

partis qui s'appelaient mutuellement les royalistes et les cardinalistes. Cette division montrait l'attachement d'un parti à sa personne; mais elle prouvait par cela même que l'affermissement de l'autorité royale n'était pas le but unique de ses travaux, et qu'il songeait bien plus à étendre et à fortifier sa propre autorité. Etrange manière d'affermir le trône, que de partager avec lui les sentiments d'une armée!

Dans d'autres temps, lorsqu'il envoya une armée contre le comte de Soissons, elle marchait à regret, elle manifestait son mécontentement; elle fut battue et dispersée. Le péril de Richelieu eût été imminent, si le prince n'avait pas péri. Voilà donc le résultat d'un système dont le but était sa grandeur personnelle, et non la grandeur du roi: tantôt une armée partagée entre le roi et lui, tantôt une autre armée qui se laisse battre par haine pour lui.

Il convient lui-même que les principaux chefs de l'armée de Lorraine avaient beaucoup de mécontentements.<< Quand ils voyaient quelqu'un de << la part du roi ou de ses plus confidentes créatures, << ils les tenaient pour espions, et cherchaient plu<< tôt des excuses de ne rien faire, que des moyens

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d'agir. » Il parle un instant après de la lassitude des soldats et de leur peu d'affection.

« Les deux grandes armées du roi, qui étaient «< capables de ruiner les Impériaux et de les chas<< ser honteusement au-delà du Rhin, ne firent «< autre chose que se tenir sur la défensive, et les

empêcher d'entrer en France. La jalousie des chefs, fatale à la France, en fut une des (< principales causes. »

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Il peint ensuite avec force les divisions des généraux, le mécontentement et l'insolence des troupes, et principalement des corps d'élite. Tout ce désordre ne devait-il pas résulter du système par lequel il rendait les généraux les espions les uns des autres? Il avoue qu'il y avait dans tous les cœurs une haine secrète contre le gouvernement; «< de sorte qu'il y en avait presque au<< tant qui eussent désiré que l'ennemi eût em« porté l'avantage sur nous, qu'il y en avait qui << souhaitaient que le succès fût à la gloire du roi. »

Il crut remédier à un mal causé par sa funeste politique, en donnant les ordres les plus sévères contre les officiers et les soldats qui avaient quitté l'armée sans congé. On en voit les détails dans ses lettres au cardinal de la Valette, général de l'armée favorisée par lui. Mais il convient luimême que cette sévérité ne produisit pas l'effet qu'il en attendait.

Lorsque les Espagnols s'avancèrent en Picardie

et prirent la ville de Corbie, la même discorde régna entre les chefs de l'armée française.'Ils n'obéissaient qu'à ceux de leurs supérieurs pour lesquels ils avaient de l'affection. Les Espagnols, en pleine retraite, devant une armée très-supérieure en nombre, ne furent pas poursuivis; ils enlevèrent même plusieurs régimens français qui n'étaient pas sur leurs gardes; l'armée était livrée au désordre et à la confusion. Il écrivait alors au cardinal de la Valette : « Il semble qu'il y ait « bénédiction à crier contre le gouvernement. »

Au siége de Fontarabie, on vit encore les suites funestes de son système d'avoir plusieurs généraux remplis de jalousie les uns envers les autres; et puisqu'il dit lui-même qu'il recevait des avis secrets que les généraux lui transmettaient les uns sur les autres, on peut croire que ce n'était pas sans dessein qu'on voyait dans l'armée d'Espagne M. le Prince, père du grand Condé; le duc de la Valette, l'archevêque de Bordeaux et les généraux la Force et Grammont, dans une mésintelligence continuelle: Richelieu ne voulait pas laisser un général maître absolu des opérations; il aurait craint le succès ne l'eût trop élevé, et l'eût rendu maître de l'esprit de son armée. Quand les choses sont conduites ainsi, elles amènent le découragement et le dégoût du service;

que

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