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vous étiez tranquilles, vous aviez un commerce immense, vous veniez d'affaiblir vos rivaux; ils convenaient eux-mêmes de leur abaissement. Mais des hommes prévoyants annonçaient une révolution, on leur répondait : Tout est tranquille, nous sommes riches et heureux.

Et, il Ꭹ a peu d'années, à Madrid, à Naples, à Turin, tout était tranquille la veille d'une révolution. Au moment de la conjuration qui éclaté à Pétersbourg, tout était dans la plus profonde tranquillité. Mais les causes existaient. Il en était de même en France. Des causes multipliées agissaient depuis long-temps, et ont entraîné la convocation des Etats-Généraux.

Et quand cette convocation fut amenée par ces causes que distinguaient très-bien les esprits clairvoyants, ces mêmes causes entraînèrent nos assemblées à ces folies et à ces fureurs

que nous déplorons. La peur nous avait donc profondément aveuglés. Elle nous empêchait de voir les causes qui devaient bientôt amener le danger extrême.

Le courage actif appartient aux femmes comme aux hommes. Il les élève et les rend immortelles. La peur flétrit le cœur de l'homme, anéantit ses facultés, son intelligence, et produit ces terribles éblouissements que nous avons vus pendant toute la révolution.

L'homme valeureux peut être téméraire, mais non pas l'homme courageux, parce que le courage ne peut appartenir qu'à l'intelligence, qui sait prévoir et prévenir. La valeur peut ne pas voir le danger, et s'y précipiter; le courage jamais. C'est lui qui inspirait au grand Condé la maxime que j'ai citée : Il faut craindre son ennemi de loin, pour ne pas le craindre de près. Bossuet, avant de citer ces paroles du prince, s'écrie: Ecoutez, c'est la maxime qui fait les grands hommes. Touts nos ministres ont suivi une maxime contraire. Ils n'ont pas craint les ennemis de loin; aussi, dans le dernier moment, les ont-ils craint de près. Cela ne pouvait être autrement; car, pour préparer le succès, il faut craindre de loin, et de fort loin. C'était le courage extraordinaire, inébranlable du grand Condé qui lui apprenait à craindre, et par conséquent à prévoir et à tout préparer pour le combat.

CHAPITRE IV.

Chambre des Députés en 1820. Renouvellement d'un cinquième. Je suis député du Calvados.

Tableau de la Chambre et de ses usages.

L'ASSASSINAT du duc de Berri rallia un moment les âmes généreuses. En tombant sous le fer de l'assassin, il déploya sa grande âme toute entière. Ses ennemis même en furent frappés; et le rapport si simple et si touchant de M. Dupuytren, son chirurgien, sera un monument éternel de la grandeur d'âme de ce prince.

Le cri de son sang nous appelait, nous animait; mais le gouvernement ne nous répondait

pas; nous rougissions de lui et de nous-mêmes. Les royalistes ne pouvaient rien sans lui; il les avait repoussés; et tel qu'il était il ne pouvait revenir vers eux. Je dois répéter qu'il ne se décida à parler du crime que quarante-trois jours après l'exécrable jour. Je fis alors un ouvrage intitulé du Gouvernement représentatif en France. Je le commençais par l'expression de nos douloureux regrets; j'y démontrais combien nous étions loin de comprendre ce genre de gouvernement, combien étaient fausses et ridicules nos imitations des usages et des lois de l'Angleterrre; j'y montrais combien notre caractère était opposé à l'esprit de ce gouvernement mixte. Je parlais de notre conduite parlementaire si légère, et souvent si puérile.

A la fin de 1820, un cinquième de la Chambre dut être renouvelé. Les royalistes voulurent bien se souvenir de moi, et me portèrent dans Seine-et-Marne, dans Indre-et-Loire, dans le Calvados, et dans l'arrondissement d'Aix. Ancien président de l'administration de Seine-etMarne, trois fois son député, nommé par ses électeurs candidat au Sénat, je penchais pour cette élection; mais la conduite de son préfet envers moi, me contraignit à me séparer de ce département; ce fut avec un regret infini. J'eus

une longue correspondance avec le préfet. Elle me convainquit que par faiblesse il faisait pencher la balance du côté des libéraux. Une preuve du crédit que j'avais conservé, malgré ses assertions et ses démarches, c'est que j'engageai mes amis à porter en ma place M. Emmanuel d'Harcourt. Ils le portèrent, et il fut nommé.

M. de Montlivaut, préfet du Calvados, se conduisit bien différemment envers moi. Il m'offrit

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son crédit avec autant de franchise que de politesse; d'autres royalistes se joignirent à lui. Je regardai mon élection comme certaine, quoique je ne dusse pas me rendre dans ce département, parce que je n'y avais pas alors mon domicile politique. M. de Richelieu manifesta un vif désir que je ne fusse pas nommé; mais M. de Montlivaut lui déclara qu'on ne pourrait empêcher mon élection. Je dis ma détermination à M. le duc de Duras, qui devait présider le collége d'Indre-et-Loire, et qui voulait bien appuyer mon élection; j'en instruisis aussi M. Bacot de Roman, qui me portait dans ce département, ainsi que M. le sous-préfet d'Aix. Je priai celui-ci d'accorder son appui à M. le général Donnadieu, à qui les évènements de Grenoble avaient donné tant de titres auprès des royalistes. Il fut nommé.

Un article du Conservateur, signé de M. de

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