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Il est défendu aux directeur, caissier et autres employés ou agents de la caisse de service de la boulangerie de Paris.

306. En principe, le commerce des céréales est, comme tous les autres, accessible à quiconque veut s'y livrer.

Cependant, dans un but d'intérêt général, le législateur se voit forcé d'interdire le trafic des grains à certaines personnes que leur position particulière mettrait à même de spéculer sur la misère du peuple (1). Pour éviter d'avoir à réprimer de tels abus, la loi empêche qu'ils ne se produisent et enlève tout prétexte de faire le mal à ceux qu'elle ne veut pas avoir à frapper.

Les personnes auxquelles est aujourd'hui interdit le commerce des grains sont les commandants des divisions militaires, les préfets et les sous-préfets, les courtiers de marchandises et plus spécialement à Paris les facteurs en gros de grains ou farines à la halle aux blés, les directeur, caissier et tous autres employés ou agents de la caisse de service de la boulangerie de Paris.

307. Le commerce des céréales est aujourd'hui interdit, nous l'avons dit, à certains fonctionnaires dont l'influence pourrait être funeste. La contravention à cette prohibition formelle de la loi est prévue par l'art. 176 ainsi conçu du Code pénal :

<< Tout commandant des divisions militaires, des dé<< partements ou des places et villes, tout préfet ou sous« préfet qui aura, dans l'étendue des lieux où il a droit

(1) Des prohibitions semblables existaient autrefois à l'égard des nobles, des laboureurs, des meuniers, des officiers du roi et de justice, des receveurs et fermiers des droits royaux, des commis aux recettes et caissiers, des peseurs et mesureurs des marchés et des ports, etc.

<< d'exercer son autorité, fait ouvertement ou par des << actes simulés, ou par interposition de personnes, le << commerce des grains, grenailles, farines..... autres que <«< ceux provenant de ses propriétés, sera puni d'une << amende de 500 fr. au moins, de 10,000 fr. au plus, « et de la confiscation des denrées appartenant à ce

«< commerce. >>

Aujourd'hui, les fonctionnaires désignés par la loi, peuvent donc vendre le produit de leurs récoltes dans le lieu même où ils exercent leur autorité, c'est la conséquence du principe que le laboureur, le propriétaire ou le fermier ne fait pas acte de commerce en vendant les fruits de la terre qu'il exploite ou fait exploiter.

Ces mêmes fonctionnaires peuvent, mais seulement en dehors de leurs circonscriptions, faire s'ils le désirent le commerce des céréales. Ainsi, le préfet de tel département peut trafiquer sur les grains dans quelque autre département que ce soit, car, dans ce cas, il n'y a plus à craindre l'action directe, l'influence funeste du fonctionnaire représentant le gouvernement; le préfet d'un département est dans tous les autres un simple citoyen.

308. Une question importante se présente sur les caractères constitutifs du délit prévu par l'art. 176 du Code pénal.

Existe-t-il par le seul fait du commerce dénué de toute intention criminelle? Faut-il au contraire une intention mauvaise, un abus de pouvoir ayant pour but de spéculer sur la misère publique? C'est là un point difficile à résoudre en face des principes du droit criminel.

309. Pour soutenir que l'intention coupable est nécessaire, on fait observer que le fait prévu par l'art. 176 du Code pénal est un délit, puisque la peine est correction

nelle; or, dit-on, pour constituer un délit, l'intention mauvaise est indispensable; d'ailleurs si l'on peut, dans l'intérêt public, défendre aux fonctionnaires de se livrer au commerce des céréales, on ne peut assurément les frapper d'une amende de 500 fr. à 10,000 fr., et de la confiscation pour un fait dénué de toute intention coupable (1).

310. A cela on répond, que l'immixtion de la part d'un préfet, d'un sous-préfet, etc., dans un commerce, tel que celui des céréales, se rapproche bien du monopole, et que d'ailleurs le texte de l'article ne permet pas le moindre doute (2).

311. Cette dernière opinion nous paraît préférable et sa sévérité se justifie facilement dans un intérêt d'ordre public. « La position spéciale des fonctionnaires publics, <«< disait M. Berlier, dans l'exposé des motifs du Code pénal, peut aussi et doit même, en plusieurs circon<< stances, leur faire interdire ce qui serait licite à d'autres << personnes; l'interdiction d'un tel commerce (celui des «< céréales) est juste et convenable même envers les admi<«<nistrateurs qui n'auraient pas la criminelle pensée d'en << abuser (3). » C'est qu'en effet, non seulement il faut éviter l'abus, mais il faut encore que les citoyens ne puissent pas le craindre.

D'ailleurs, la discussion à laquelle a donné lieu, dans le Conseil d'Etat, l'art. 176 du Code pénal, et la rédaction définitive qui a été adoptée, prouvent assez quelle a été l'intention du législateur. Dans la séance du 29 octo

(1) M. Faustin Hélie, Théorie du Code pénal, t. II, p. 635. (2) M. Carnot, Commentaire sur le Code pénal, t. I, p. 538 et suiv. (3) Exposé des motifs de M. Berlier, conseiller d'Etat, orateur du gouvernement, dans la séance du Corps législatif du 6 février 1810 (Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, t. XXX).

bre 1808, le projet de l'art. 176 fut présenté, il frappait le fonctionnaire qui s'était immiscé dans le commerce des grains, même en l'absence de toute intention mauvaise. Il est bien vrai, qu'après une discussion animée, à laquelle prirent part plusieurs hommes éminents, MM. Joubert, Berlier, le duc de Cambacérès, etc., l'article fut renvoyé à la commission. Mais celle-ci persista dans l'opinion qu'elle avait d'abord émise, et l'article fut adopté dans la séance du Conseil du 5 août 1809, tel qu'il se lit aujourd'hui dans le Code. Or, nous avons vu que cet article frappe << tout commandant... qui aura, dans l'étendue des lieux où << il a droit d'exercer son autorité, fait ouvertement ou par « des actes simulés, ou par interposition de personnes, le << commerce des grains, grenailles, farines... » Cela, du reste, devait être; punir seulement chez les fonctionnaires, les faits ayant pour but d'amener la hausse ou la baisse des grains, c'eût été reproduire à leur égard, en les adoucissant, les dispositions des art. 419 et 420, et nous voyons au contraire l'orateur du gouvernement déclarer «< que la po<«<sition spéciale des fonctionnaires, peut et doit, en cer<< taines circonstances, leur faire interdire ce qui serait « licite à d'autres personnes. >>

Nous devons dire du reste que l'art. 176 du Code pénal est jusqu'à ce jour resté sans application judiciaire, et que la mesure préventive a su faire éviter toute mesure répressive.

312. Le commerce des grains est également interdit aux courtiers de marchandises qui, d'après l'art. 78 du Code de commerce «< ont seuls le droit de faire le cour<«<tage des marchandises et d'en constater le cours. »

En effet l'art. 85 du même Code porte « que...... le << courtier ne peut dans aucun cas et sous aucun prétexte

<< faire des opérations de commerce... Il ne peut s'inté«<resser directement ou indirectement, sous son nom ou << sous un nom interposé, dans aucune entreprise com<<< merciale. >>

315. L'art. 87 punit toute contravention à cette défense << de la destitution et d'une condamnation d'amende qui « ne peut être au-dessous de 3,000 fr. sans préjudice de « l'action des parties en dommages-intérêts. >>

Ces peines doivent-elles être prononcées toutes deux par le tribunal correctionnel, ou l'autorité judiciaire doitelle laisser l'administration prononcer la destitution? C'est là une question grave, mais d'un ordre trop général, pour que notre cadre restreint nous permette de la discuter. Disons seulement que par un arrêt rendu, chambres réunies, la Cour de cassation a reconnu à l'autorité judiciaire le droit de prononcer les deux peines de l'amende et de la destitution (1).

314. Les facteurs à la halle aux blés de Paris, auxquels l'édit de 1690, qui les a institués, interdisait le commerce des céréales, ne peuvent pas le faire davantage aujourd'hui. La prohibition inscrite dans la loi ancienne a été reproduite par le règlement du bureau central du 15 germinal an IV, en ce qui concerne les facteurs de la vente des farines en gros. L'art. 6 est ainsi conçu : « Les fac<«<teurs et factrices chargés de la vente des farines en gros << ne peuvent, sous peine de destitution (2), faire aucun «< commerce de grains, farines ou grenailles pour leur

(1) Arrêt du 26 janvier 1853. (Devill. et Carette, 1853, 1re part., p. 129). Voir aussi (Id., Id.) le savant réquisitoire de M. le procureur avocat général Nicias Gaillard.

(2) Cette prohibition devrait être prononcée par l'autorité administrative. Si celle des courtiers doit être prononcée par l'au

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