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rester étranger à toutes les transmissions qui ont été faites de ladite filière et à tout ce qui a pu en résulter entre les parties (1). >> t

420. Le tribunal de commerce du Havre, et après lui la Cour de Rouen, ont jugé que la clause introduite dans un marché, suite du marché de P... (c'est-à-dire avec indication du premier vendeur) n'a pas pour effet d'affranchir le vendeur de toute responsabilité, pour le cas où son vendeur lui-même viendrait à ne pas exécuter son obligation (2); tel n'est pas du moins l'usage sur la place du Havre. Le second vendeur ne peut donc se soustraire à la garantie qu'en stipulant qu'il déclare ne pas garantir pour le cas où le premier vendeur ne livrerait pas.

Sur la place de Paris, une telle énumération suffirait pour exonérer le second vendeur; cela est du moins, attesté par un certificat, produit dans l'affaire jugée par la Cour de Rouen et fourni par plusieurs négociants et courtiers de commerce de Paris.

421. Lorsque dans une vente en filière de grains ou farines, le dernier acquéreur a accepté la livraison du premier vendeur, c'est envers celui-ci, qu'il est obligé au paiement du prix, en vertu du principe de l'art. 1.165 (3).

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Cette question, toujours résolue en ce sens par le tribunal de commerce de Marseille, l'a été également par la Cour d'Aix, dans une espèce, où l'acheteur prétendait avoir à exercer une compensation, à l'encontre de son dernier vendeur:

(1) Jugement du 16 juin 1852 (Teulet et Camberlin, Journal des tribunaux de commerce, 1852, no 219, p. 268).

(2) Arrêt du 23 avril 1852 (Annales de la science et du droit commercial, 1853, 2° part., p. 501).

(3) Voir no 419.

« Attendu, dit le jugement confirmé, qu'il résulte des bulletins du poids public, qui ont été produits, que Hugon (dernier acheteur') a reçu les blés dont s'agit, non de Chaisleau et compagnie, ses vendeurs, mais de Rodocanachi fils et compagnie ( vendeurs primitifs ); Qu'en consentant à recevoir la marchandise de tout autre que ses vendeurs directs, sans réserve ni protestations, il a pris implicitement l'obligation d'en payer le prix à celui qui lui en faisait la livraison... >>

La Cour, de son côté, motivait ainsi son arrêt :

« Attendu que Rodocanachi fils et compagnie, vendeurs primitifs d'une marchandise payable comptant, la détenaient encore lorsque Désiré Hugon, à qui Christian l'avait revendue, s'est présenté pour en prendre livraison.Attendu, qu'en la recevant, Hugon a bien su qu'elle lui était remise par Rodocanachi et compagnie, auxquels il devait, par conséquent, en payer le prix au lieu et place de Christian, dont il était en ce moment le représentant et l'ayant cause. → Que le paiement est, aux termes de l'art. 1612 du C. civ., la condition sine quâ non de la délivrance qui lui a été faite ; qu'il ne peut donc s'y soustraire en excipant d'une compensation qu'il aurait à apposer à son vendeur immédiat, des mains duquel il n'a point reçu la marchandise. Adoptant d'ailleurs les motifs des premiers juges, confirme (1). »

Cette solution nous semble équitable; en effet, si les

(1) Arrêt du 12 février 1848 (Annales de la science et du droit commercial, 1850, 2° part., p. 345). Voir aussi arrêt de la Cour de Rouen du 17 avril 1847 (Devilleneuve et Carette, 1848, 2o part., p. 454). Jugement du tribunal de commerce de Marseille du 15 novembre 1843 (Annales de la science et du droit commercial, 1845, 2o part., p. 190). — Arrêt de la Cour de Rouen du 17 mars 1849 (Id., 1851, 2o part., p. 156).

intérêts du dernier acheteur sont lésés, il ne peut que se l'imputer à lui -même, puisqu'il pouvait refuser la livraison de tout autre que de ses vendeurs, vis-à-vis desquels il voulait exercer la compensation.

422. Mais quel prix doit payer l'acheteur qui prend livraison. Est-ce le prix pour lequel il avait acheté ? Esice le prix pour lequel avait vendu celui qui lui fournit livraison ?

La difficulté vient de ce que, dans une filière, l'acheteur et le vendeur qui exécutent le marché par la livraison peuvent être séparés par de nombreux intermédiaires pour lesquels le marché n'était que fictif. Ainsi, dans une espèce soumise à la Cour de Rouen, il y avait vente de 25 pièces 3/6, par un sieur Laurent, aux sieurs Lafond; par ceux-ci aux sieurs Bruneau et Roger, puis enfin par ces derniers à Noury-Vallée, qui prit livraison du premier vendeur Laurent; la question est de savoir quel prix doit, dans ce cas, payer l'acheteur qui se livre.

425. Parmi les auteurs, M. Devilleneuve, pense que le prix à payer est celui auquel l'acheteur avait acheté, par cette raison, que la livraison est le seul lien de droit entre les parties, et que la prise de livraison est un fait qui émane de la volonté de l'acheteur. «Tant que cette livraison, dit M. Devilleneuve, n'avait pas eu lieu, le premier vendeur et le dernier acheteur mis ainsi inopinément en présence,auraient pu se prévaloir, l'un à l'égard de l'autre, de la nullité de la série tout entière de marchés à terme, dont ils étaient les deux extrêmes; ils auraient pu se refuser à l'exécution de la vente, chacun en ce qui le concernait. S'il en a été autrement, si l'acheteur a pris livraison, ce à quoi il n'était pas obligé, il est donc naturel d'en conclure, qu'il a entendu payer la marchandise, le prix pour

lequel il l'avait achetée, et non celui pour lequel elle avait été vendue, et qu'il pouvait ignorer ou du moins qui n'avait pas été la cause déterminante de son acquisition (1). »

424. Quant à la jurisprudence, elle ne s'est pas prononcée d'une manière bien certaine; nous ne trouvons qu'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Rouen, et plus tard confirmé purement et simplement par la Cour. Le jugement avait rejeté, sans donner aucun motif de sa décision, les conclusions par lesquelles le dernier acheteur demandait à payer seulement le prix auguel avait vendu le premier vendeur (2).

425. La question est donc encore presque neuve et mérite d'être examinée.

Peut-on adopter sans contestation l'opinion de M. Devilleneuve? nous ne le pensons pas; en fait et droit cet avis nous paraît réfutable.

En fait, est-il juste que le vendeur primitif reçoive peut-être de ses denrées un prix plus élevé que celui auquel il avait vendu ? non évidemment, car alors il profiterait de son imprudence. Supposons, par exemple, que Pierre, premier vendeur, a vendu à Paul, premier acheleur, 100 hectolitres de blé à 26 fr. l'hectolitre, et qu'après plusieurs marchés successifs, Jacques, dernier vendeur, ait vendu ces mêmes denrées à raison de 28 fr. l'hectolitre à Jean, dernier acheteur. Si le marché entre Pierre et Paul est sérieux, Pierre ne recevra que 26 fr. par hectolitre; si au contraire le marché, n'étant pas sérieux, Jean, dernier acheteur, demande livraison et est obligé de payer

(1) (Devill. et Carette, 1848, 2e part., p. 455, note 2).

(2) Arrêt du 17 avril 1847 (Devill. et Carette, 1848, 2e part., .p. 454).

le prix auquel il avait acheté à Jacques, Pierre trouve un avantage à son imprudence, puisqu'il touche 28 fr. au lieu de 26 fr., prix auquel il avait lui-même estimé sa marchandise.

En droit, la question nous semble aussi très-délicate. Le vendeur et l'acheteur qui se trouvent en présence ne sont pas liés par un contrat consenti entre eux deux : dans l'exemple que nous supposions tout à l'heure, Pierre, premier vendeur, n'a pas fait le marché avec Jean, dernier acheteur, Pierre a vendu à Paul, moyennant 26 fr. l'hectolitre, Jean a acheté de Jacques, moyennant 28 fr.; il n'y a pas de vente entre Pierre et Jean, car il n'y a pas de prix déterminé, et l'art. 1591 du Code Napoléon veut que leprix de la vente soit déterminé et désigné par les parties.

C'est qu'en effet, Jean (dernier acheteur) ne demande pas la livraison à Pierre (premier vendeur) en son nom personnel. Il la demande comme représentant l'acheteur direct de Pierre, c'est-à-dire Paul. N'obtenant pas livraison de son vendeur direct, il a pris sa place, et prenant successivement celle de tous les vendeurs intermédiaires, il arrive vis-à-vis de Pierre au lieu et place de Paul.

Ce n'est pas là une fiction, c'est un fait apprécié, du reste, par la Cour d'Aix, comme par nous. «< Attendu, dit-elle, dans un arrêt déjà cité (1), que Rodocanachi fils et compagnie, vendeurs primitifs d'une marchandise payable comptant, la détenaient encore lorsque Désiré Hugon, à qui Christian l'avait revendue, s'est présenté pour en prendre livraison. - Attendu qu'en la recevant, Hugon (dernier acheteur) a bien su qu'elle lui était remise par Rodocanachi fils et compagnie (premiers ven

(1, No 421.

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